Tablette Evezh

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De ses grands yeux fins et clairs, Ismaia fixait la fresque ornant le plafond du hall de l’apalez adraisé reconstruit. Symbole d’une Komunozhra se relevant après chaque coup qui lui était porté, ce bâtiment était également celui d’Ashron.

Pourquoi les avait-il trahis ? se demanda-t-elle en marchant.

Il était bien trop faible pour embraser la cause des divinités, lui répondit sa voix intérieure, celle de son Axem. »

Mais aucun mot ne lui vint en réponse car un désaccord naissant l’empêchait d’approuver. La puissance d’Ashron dépassait celle de la Komunozhra, au point d’avoir vaincu tous les autres Exetras Primes sans son Axem. L’appellation « divinités» était donc exagérée.

Sa réflexion fut interrompue par un eraié criant frénétiquement son nom. L’Exetra Prime fixa cet être insignifiant qui courrait vers elle en gesticulant maladroitement.

« L’Harzerezh Memac’htiern ! Ils sont en vue !

— Enfin ! Je me demandais quand ils se décideraient à attaquer, répondit-elle en souriant à pleines dents. »

L’omniscient Alter l’ayant déjà prévenu avant de partir, elle s’était préparée et la venue de ces faibles êtres l’enchantait. Ces eraiés feraient face à toute la Komunozhra dirigée par le dernier et unique Exetra Prime.

Ravie par la bataille qui s’annonçait, un doux frisson d’excitation lui parcourut le corps. Sous son commandement, l’Harzerezh allait s’éteindre dans un combat qui s’annonçait aussi bref que sanglant.

Puis elle se débarrasserait de l’Axem en elle pour devenir comme Ashron, tout puissant.

Soudain, un violent mal de crâne interrompit son excitation pour la muer en peur glaçante. Tremblantes, ses mains étaient incapables de répondre à ses ordres, tout comme ses jambes qui ne la tenaient plus.

« Après tout ce que j’ai fait pour toi ? s’enerva sa familière voix intérieure.

Que m’arrive-t-il ?

Ton esprit se brouille d’envies qui ne sont pas à ta portée. Skyva s’étant enfin décidé, tu ne me sers plus à rien. »

La fin de ces mots annonça le début d’un insondable labeur pour Ismaia. Sa vue se brouilla pour rapidement laisser place au néant. L’instant d’après, ses autres sens s’effacèrent lentement pour ne laisser que l’angoisse emplir son être. Noyée dans cette horrible émotion, elle sentit doucement son esprit s’endormir avant de laisser définitivement la place à celui de son Axem, Dragavoar.

Rouvrant les yeux, ce dernier s’éveilla d’un long rêve dont il avait contrôlé les évènements. L’entité extraeraiéé détailla ses mains, fines, longues et rosâtres sous tous les angles. Il fixa longuement ce cinquième doigt qui la composait.

« A quoi ça sert ? se demanda-t-il.

— Memac’htiern ! Nous attendons vos ordres ! coupa l’eraié qui était resté sans bouger à la regarder se comporter bizarrement. Ils arrivent !

— Concentrer le feu des canons à Via sur les nijves. Laissez les troupes au sol entrer dans la cité. La guérilla urbaine tournera à l’avantage de nos exetras déployées dans Adrais. Dans le cas contraire, sa destruction dans un feu d’hahud nous apportera la victoire. Veillez à mettre les pierres de Via à l’abri.

— Bien Memac’htiern ! »

Dragavoar fixa l’exetra qui quittait le hall pour exécuter ses ordres. Il adressa un dernier regard à la fresque au-dessus de lui et dont la signification lui échappait.

Puis il sorti l’apalez.

Les portes d’entrée du petit village d’Yvalis se dressaient devant eux, ouvertes, avec personne pour les accueillir. Observant le début de ruelle qu’ils s’apprêtaient à emprunter, Vallia sentit son cœur battre dans sa poitrine. À ses côtés, Ashron laissa son esprit repenser aux raisons de leur présence ici, à l’entrée du village qu’elle affectionnait tant.

La piste de Serath les avait d’abord menés à Ishria où ils n’avaient rien trouvé, jusqu’à remarquer les inscriptions de sang disséminées dans les restes de leur abri. Partout il était écrit Mayelle dans une écriture carmine et répugnante. Puis Vallia trouva une double lame similaire à celle du défunt Adony, plantée dans leur lit renversé. Mais ce ne fut qu’à la vue des effets ayant appartenu à Killei suspendus à un arbre que leurs soupçons se confirmèrent.

Ashron fut tiré de ses pensées par Vallia qui lui prit la main. Le pas assuré, ils arpentèrent les désertes ruelles pour rejoindre l’embered. Arrivés devant, Ashron fixa la nouvelle tombe à côté de celles de Killei et d’Adony. Voyant le nom inscrit, son cœur se serra si fort qu’il crut que son sang ne circulait plus. Heureusement, la douce main de Vallia qui serrait la sienne le rassura suffisamment pour l’empêcher de vaciller.

Soudain, Ashron vit la silhouette de Serath apparaître face à eux, sans qu’un bruit ne soit perceptible.

« Tu es bel et bien sauf, lança ce dernier en dessinant cet habituel sourire sur son visage »

L’ancien Exetra Prime intensifia son azur regard. Tout en détaillant son ancien ami devenu ennemi, il resta muet.

« Nous sommes nés tous les deux sur cette île. Nous sommes liés par quelque chose de plus puissant que les liens fraternels et pourtant, tu es là à me faire face, comme un adversaire le ferait.

— C’est ce que nous sommes devenus. Le reste appartient au passé, se décida à répondre Ashron.

— C’est ce passé qui a fait de nous des divinités. Pourquoi le rejeter ?

— Ashron, ce n’est pas… commença Vallia, avant d’être interrompu par l’eraié qui ne l’écoutait plus.

— Nous ne sommes pas des divinités mais de simples eraiés manipulés par les Axems. Ne cherche pas à me faire revenir. Skyva ne manipulera plus mon esprit. C’est fini.

— En es-tu réellement sûr ? Tu avais pourtant conscience de tes actes. Etais-tu vraiment contrôlé ? Pourquoi avoir pris tant de plaisir durant l’Exetranen ? Explique-moi, je ne comprends pas. »

Fixant l’ennemi face à eux, Vallia comprit la manipulation. Meurtri par ces deux heoles d’Exetra Prime, l’esprit d’Ashron était affaiblit par la possession de Skyva. Il ne pouvait gagner seul le combat qui se jouait ici. De sa main ferme et douce, elle serra celle de l’eraié pour que rien ne puisse la faire lâcher.

« Prends tes responsabilités plutôt que de blâmer Skyva. Elle t’a affranchi des limites morales que tu t’imposais. Les eraiés n’existent que grâce au sacrifice des Axems qui réclament légitimement leur dû.

— Je sais ce que j’ai fait. Mais… balbutia Ashron. Je rachèterai mes fautes!

— Auprès de qui ? De Mayelle ? »

L’esprit d’Ashron se recroquevilla à l’évocation de ce nom. Sa plaie encore ouverte subsistait comme une incision béante dans son être. Laissant la douleur prendre le pas sur ce dernier, des flammes azurées commencèrent à émerger du néant pour envelopper son corps.

« Laisse le remord se transformer en colère. Regarde à tes côtés, c’est à cause d’elle que Mayelle est morte ! Et c’est toi qui as laissé Adony et Killei mourir ! Toi qui es responsable de l’Exetranen et de ces millions morts eraiés.»

Le contrôle de son corps perdu, Ashron ne put réfréner l’azur de sa Via qui envahissait la petite place devant l’emzivaded. Alertés par la lumière bleue qui luisait dans tout Yvalis, des enfants étaient sortis et fixaient la confrontation qui allait avoir lieu.

Soudain, Ignis vint s’écraser sur l’ennemie faisant face à Ashron et Vallia, le projetant avant d’entièrement embraser son corps. L’eraiéé fixa l’exetra qui s’enflammait à cause de sa hahud et détailla le visage aux traits inconnus qui se déformait sous l’action de la chaleur.

« Tes tentatives de manipulation, j’y mettrai fin ! Toujours ! s’écria Vallia en tirant le bras d’Ashron pour l’enlacer dans les siens. »

Les souvenirs d’Ashron affluaient dans sa tête, provoquant douleurs et blessures à son esprit. Face à lui, une cité en ruine, des eraiés gisant dans un flot sanguin abondant, des flammes azurées s’échappant d’eux et absorbées par des êtres teintés d’un noir bleuté, peignaient le tableau s’illustrant à ses yeux.

Lui se tenait à côtés d’eux, la marche implacable et usant d’une gigantesque lame pour découper membres et têtes eraiéés.

L’Exetranen.

L’instant d’après, Serath était là à lui faire face, le regard vide mais fou. Derrière Ashron se dressait une majestueuse bête faite d’écailles. Et en retrait de son ennemi, sortait du sol putride une gigantesque créature dont la rance laideur ne pouvait être décrite. Au battement de cil suivant, ils croisèrent le fer.

La rébellion.

Puis il s’éveilla pendant l’hweld’acec et se redressa en sueur. Autour de lui se tenaient les neufs Exetras Primes le fixant avec un regard satisfait. Etrangement il se sentait bien, plus puissant et prêt à faire respecter les axiomes par le purgat.

La Komunozhra.

Soudain, la réminiscence de son errance sur Aliard, les rencontres réchauffant son esprit meurtri et la douleur de les perdre, Adony, Killei et Mayelle, acheva la clarté de son être.

L’Harzerezh.

Tandis qu’il se sentait glisser vers le néant, une odeur familière, rassurante et agréable, réveilla délicatement ses sens. Ce savant mélange de fleurs des plaines d’Aliard avec un soupçon d’huiles primordiales des lacs d’Udran, était connu de son cœur. Cette flagrance appartenait à celle peuplant ses plus beaux rêves, et dont le souvenir lui avait permis de tenir sur Ishria durant l’Exetranen et pendant son intégration dans l’Harzerezh. Cet arôme émanait de celle qu’il aimait tant depuis cette belle rencontre un hweld’acec d’Adrais.

Vallia.

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