Chapitre 45

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2 mai, Coldwater Canyon

Ana Polina habitait une agréable maison, modeste en taille selon les standards hollywoodiens, mais logée au fond d’une impasse, sur Coldwater Canyon Drive, juste en dessous de son intersection avec Mulholland. La propriété était entourée d’arbres, protégeant la terrasse et la piscine, situées à l’arrière, de toute vue indiscrète. Elle s’y était installée trente ans plus tôt avec son compagnon, Juan Marques, artiste plasticien qui y avait également établi son atelier.

Ana avait été la muse et le modèle favori de l’artiste. Plusieurs œuvres, tableaux et sculptures, la représentaient dans des attitudes tantôt lascives, tantôt tourmentées, mais toujours nue. Elle assumait pleinement ces représentations qui n’étaient à ses yeux qu’une continuité de son propre travail. Elle modelait les formes féminines et son compagnon les sublimait dans son art. Ana et Juan partageaient une même passion pour les corps féminins qui se prolongeait dans leur mode de vie, héritage de leurs années de jeunesse.

Dès qu’elle avait atteint le sol américain, dans les années 80, grâce à Mikhaïl Gorbatchev, Ana avait adopté les pratiques libres et indépendantes de la Californie d’alors. Elle avait fait la connaissance d’un jeune étudiant en arts plastiques, ayant lui aussi fui la dictature de son pays d’origine. Elle avait posé pour lui et ils avaient décidé de lier leurs destins dans une union libre et sans interdits. Ils aimaient la nature, le soleil et vivre nus, aussi souvent que possible.

Pour l’heure, Ana préparait un repas dont les plats s’inspiraient de ses racines russes et des apports latino-américains de Juan. Pas de sandwich à la dinde ni de hamburgers sur la table, mais plutôt zakouski et vareniki, combinés avec des empenadas et du chimichurri. Juan avait prévu des vins argentins, Torrontés et Malbec.

Peu avant l’heure convenue, Ana qui déambulait vêtue d’un simple short en jean annonça à son conjoint qu’elle allait se doucher et s’habiller. Juan, totalement nu, contempla la silhouette de son égérie qui filait devant lui, exagérant son déhanchement à son attention. Si Ana s’était retournée à ce moment, elle aurait pu juger visuellement de l’effet produit par sa démarche. Juan suivit sa compagne jusqu’à la salle de bains et comme elle se penchait pour faire glisser son short, vint se plaquer contre ses fesses offertes. Il n’eut pas besoin de forcer pour se faire accueillir. Ana se redressa, lui permettant de prendre ses seins à pleines mains pendant qu’il commençait de lents mouvements. Les deux amants avaient beau vivre ensemble depuis plus de trente ans, leur complicité et leur désir l’un pour l’autre restaient intacts, comme aux premiers temps de leur amour. Les doigts de l’artiste glissèrent doucement de la poitrine vers le sexe soigneusement épilé, trouvant le bouton caché entre les chairs tendres. La respiration d’Ana s’accéléra, son corps se cambra et elle jouit pour le plus grand bonheur de Juan, puis se libérant de son amant, elle s’accroupit à ses pieds pour l’entrainer dans l’extase de ses mains et de sa bouche. Puis, comme deux adolescents, ils se glissèrent ensemble sous la douche, tout en continuant à s’embrasser et se caresser.

***

À leur retour de Palm Springs, un peu plus tôt, les filles avaient demandé à Philippe comment elles devaient s’habiller pour se rendre chez Ana. Comme la plupart des hommes, le médecin n’avait pas réellement d’idée sur la question. Il n’avait eu l’occasion de discuter avec sa consœur qu’en tenue de bloc opératoire et ne connaissait pas son style vestimentaire. Il se remémora toutefois ses sourires charmeurs et la remarque de John à son sujet.

— Je crois que vous pouvez opter pour des tenues audacieuses. Je pense qu’Ana appréciera.

Quelques minutes plus tard, les quatre amis étaient en route pour les hauteurs de Los Angeles. Le chemin le plus direct depuis Venice Beach aurait été de prendre Coldwater Canyon Drive depuis Beverly Hills mais comme ils étaient un peu en avance, Brigitte préféra remonter un peu Sunset Boulevard et monter vers Mulholland Drive par Laurel Canyon. Le détour en valait la peine et leur permit d’admirer le paysage depuis le point de vue panoramique.

Il était un peu plus de 19 heures lorsque Brigitte arrêta la voiture devant le domicile d’Ana Polina. Le portail s’ouvrit pour les laisser pénétrer. Ana les accueillit avec chaleur, vêtue d’une simple tunique au décolleté profond. Juan se tenait légèrement en retrait, portant un ample pantalon de coton et une chemise blanche. Tous deux étaient pieds nus. Ana présenta son compagnon, Philippe ses amis.

— Nous sommes heureux de vous recevoir ici. Nous espérons que vous trouverez l’endroit à votre goût et que vous passerez une agréable soirée en notre compagnie.

— Il ne saurait en être autrement, et nous vous remercions sincèrement, répondit Philippe. Je sais que tu m’as dit de ne rien apporter, mais ce serait trop impoli. Si tu peux mettre ces bouteilles au frais, ce sera un petit peu de France à déguster tout à l’heure.

Philippe tendit deux bouteilles de champagne Blanc de Blanc à Juan. Ana applaudit.

— J’adore le champagne de France, en Russie il n’y avait que cette infâme piquette de Crimée. Entrez visiter notre maison. Nous sommes ici depuis trente ans et nous avons essayé de la décorer à notre image. Juan est artiste, peintre et sculpteur, toutes les œuvres que vous voyez ici sont de lui.

— Juan a un remarquable talent, et un modèle admirable dit Philippe en admirant les toiles.

— Ces formes sont extrêmement sensuelles ajouta Brigitte, faisant glisser sa main sur la courbe d’un sein de métal. C’est toi aussi ?

— Les seins, c’est mon univers répondit leur hôtesse. J’aime que les femmes soient fières des leurs comme je le suis des miens. Même à mon âge.

— Que diriez-vous de passer à table proposa Juan ? Le dîner est prêt. Comme vous l’avez compris et sûrement entendu pour ce qui me concerne, ni Ana ni moi ne sommes de véritables yankees. J’ai pour ma part fui l’Argentine de Videla pendant la sale guerre et je suis venu étudier ici. Ana de son côté à quitté l’Union Soviétique. Nous avons emporté avec nous quelques souvenirs de notre jeunesse. Le repas sera plutôt russe, les vins argentins.

— Avec plaisir, dit Ange, toujours partant pour un vrai repas.

Les trois couples prirent place autour d’une grande table sur la terrasse. Ana était une remarquable cuisinière et les vins étaient exquis. Ana et Juan montrèrent l’étendue de leur vaste culture artistique, sujet pour lequel Ange n’avait normalement que peu d’attirance, pourtant il se sentit captivé par l’expérience que les deux "immigrés" avaient développée au carrefour des tendances de la fin du 20e siècle. Julie pour sa part était vivement intéressée par les travaux de Juan et bien que le sujet fut très éloigné de ses thèmes de reportage habituel, elle eut envie d’écrire sur cet artiste attachant.

Il fallut attendre le dessert pour que le sujet brûlant arrive sur la table.

— Nous avons eu des informations sur le Docteur McLay, dit Philippe. C’est en réalité un chirurgien hollandais, qui a pris une fausse identité.

— Hollandais, ça ne m’étonne pas, je lui trouvais des manières bien européennes, commenta Ana.

— Son attirance pour Sam Page n’était pas désintéressée. Il est associé à des personnages louches qui avaient des vues sur la société de Sam et aussi sur la clinique.

— Vous pensez que c’est lui qui l’a tuée ? C’est affreux.

— Nous n’avons aucune certitude précisa Ange, et à vrai dire, il n’y avait aucun bénéfice. McLay et ses amis avaient plutôt besoin de Sam vivante.

— Qui sait, ajouta Brigitte, une femme jalouse peut-être. J’en ai défendu plusieurs, qui ont osé éliminer une rivale après avoir été trahies par un homme. Les jurés sont souvent assez sensibles à leur détresse.

— Une maîtresse négligée par Steve McLay, c’est ce que vous voulez dire ?

— Oui, c’était un séducteur n’est-ce pas ?

— En effet, mais je ne suis pas le genre de femme qu'il recherche. Je crois que je l’impressionnais un peu avec mon accent russe et ma vie de hippie, mais je connais une autre femme qui aurait pu avoir ce comportement.

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