Chapitre 36

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1er mai, Malibu

Vargas gara sa Firebird à côté de la Mustang de Shaina. L’avocat se dit en regardant les deux véhicules, que comme les hommes, les voitures avaient pris de l’embonpoint en trente ans. Vue de l’arrière, la Pontiac paraissait bien étroite, à côté du massif du cabriolet. Shaina ouvrait la porte de la maison lorsqu’on entendit le son caractéristique d’une Harley à l’échappement libéré qui montait les lacets. Antonio Vargas salua la jeune femme et précisa en souriant que Cheyenne Lovett, son enquêtrice était sur le point de les rejoindre.

— On l’entend venir de loin. Vous allez sûrement être surprise par son style, mais dans son domaine, elle est excellente.

Shaina bloqua le portail automatique pour permettre à la moto d’entrer, et le laissa ainsi, dans l’attente des Français. Cheyenne stoppa son engin, un roadster noir mat sans aucun chrome et le calme revînt aussitôt.

La conductrice ôta son casque, libérant une longue chevelure d’un noir de jais. Elle était vêtue d’une veste en peau de daim, de longues franges pendant le long de ses manches, et d’un pantalon de même facture, les pieds chaussés de courtes bottes. Elle offrit à son hôtesse une poignée de main plutôt virile, tout en vissant un regard de loup dans les yeux de la jeune femme.

— Bonjour, vous devez être Shaina. Je suis Cheyenne Lovett, mais mes amis m’appellent souvent Pocahontas, vous devinez pourquoi.

— Bonjour Cheyenne, je suis enchantée de faire votre connaissance. John nous attend sur la terrasse. Nos amis Français ne devraient pas tarder à nous rejoindre.

Shaina guida ses invités à travers la maison. John s’affairait sur sa cuisine d’extérieur, une bouteille de bière à portée de main. Philippe était à ses côtés.

— Je vous présente John, mon mari et voici Philippe, un chirurgien français, ancien collègue de John, qui a passé la journée avec nous à la clinique. Philippe, voici Antonio Vargas, l’avocat que Brigitte nous a recommandé, ainsi que son adjointe, Cheyenne Lovett.

Le médecin français fût électrisé par le regard direct de l’arrivante.

— Lequel de vous deux ai-je entendu arriver ? Harley-Davidson, je présume. Je roule moi aussi en Harley.

— C’est moi. Je sais que je ne passe pas inaperçue, mais comme l’a écrit Edgar Poe, on ne prête pas attention à ce qui est le plus visible. Il aurait pu ajouter, « audible ». C’est un atout dans mon métier.

— Voulez-vous boire quelque chose ? Servez-vous dans le frigo. Le reste de notre petit groupe est sur la route. Nous ferons les présentations quand ils seront là.

Brigitte, Julie et Ange arrivèrent quelques minutes plus tard. Brigitte ressentit immédiatement une attirance pour Cheyenne. Cette dernière avait ôté son blouson, sous lequel elle ne portait qu’un débardeur ajusté, moulant une poitrine que l’avocate trouva immédiatement à son goût. Une sensualité animale se dégageait de sa personne, à laquelle nul, homme ou femme, ne pouvait rester indifférent.

Antonio rompit le charme en se présentant. Brigitte lui répondit en précisant par quel canal elle avait été amenée à suggérer de faire appel à lui. Vargas fût flatté que sa réputation s’étende au-delà du comté de Los Angeles. Il présenta son enquêtrice, en précisant qu’elle avait travaillé un temps pour le FBI avant de se convertir au privé.

— Les Fédéraux n’appréciaient pas trop mon style vestimentaire ni certaines de mes méthodes, précisa-t-elle. Je soupçonne aussi certains de mes supérieurs de ne pas avoir accepté mes orientations sexuelles.

Ange imagina un moment comment réagirait son groupe à Versailles s’il y faisait entrer une telle bombe à retardement. La police française n’était probablement pas encore prête non plus.

— Nous ne sommes pas habitués à travailler avec un policier, fit remarquer Vargas.

— Rassurez-vous, je suis en vacances, répondit Ange.

— C’est plutôt moi qui mène les investigations pour le groupe, je suis journaliste, compléta Julie, en guise de présentation.

John invita tout le monde à prendre place autour de la table, tandis qu’il allait chercher les victuailles préparées pour le dîner.

Lorsque chacun eut partagé les éléments en sa possession, Ange fit une rapide synthèse. Connecter les fils et relier les bribes d’informations formaient l’essentiel de sa compétence, au-delà de ses qualités de leader.

— Nous avons donc deux personnages-clés dans cette affaire. D’un côté ce médecin arriviste, Mc Lay qui a séduit Sam Page et qui ambitionne de prendre un poids plus important dans Sunny Vale. De l’autre, nous avons un entrepreneur aux connexions opaques, qui lui aussi souhaite investir dans la clinique. Je pense, John, que tu as du souci à te faire. Il nous manque des éléments factuels, mais Cheyenne pourra peut-être nous éclairer. McLay et Blankart se connaissent-ils ? McLay pourrait-il être un homme de paille du cartel qui par ailleurs soutient Blankart et PPI ?

— McLay était bien devenu un familier de Samantha Page, confirma Cheyenne. J’ai de bonnes relations avec les sociétés de gardiennage et je sais que sa voiture a été aperçue à plusieurs reprises près de chez elle. La dernière fois, c’était samedi soir. La police aussi le sait, enfin, elle sait qu’une Camaro blanche se rendait souvent à Pacific Palisades. Ils sont passés chez Ocean Security avant moi. S’ils connaissent leur métier, ils feront vite le lien avec votre associé.

— La bonne nouvelle, c’est que cela met définitivement Shaina hors de cause. L’instinct d’avocat de Brigitte avait parlé.

— Je n’ai pas encore pu trouver de lien entre le Dr McLay et Phil Blankart, mais je sais que le beau docteur avait des loisirs très onéreux. Il est connu dans certains cercles de jeux où il a perdu pas mal d’argent ces derniers temps et il n’y a pas beaucoup de façons de payer ce genre de dettes. L’argent qu’il envisageait d’investir dans Sunny Vale ne provient pas de ses économies personnelles. Si la mafia ou un cartel veut se payer une clinique pour permettre à certains de ses barons de se faire oublier, alors c’est la bonne méthode.

— Oui, et l’affaire se déplace. Il ne s’agit plus de défendre Shaina dans une affaire criminelle mais de protéger Sunny Vale contre une magouille financière, avec de l’argent sale sur, ou plutôt sous, la table. Vous suivez toujours, demanda Brigitte ?

— Vous savez, nous sommes pragmatiques, tant que vous payez les honoraires et les frais, notre temps vous appartient, dit Vargas.

John était assommé par ces découvertes. Il découvrait simultanément que son jeune associé était probablement téléguidé par le crime organisé et qu’il était sur le point de faire rentrer son établissement dans un engrenage infernal.

— Il est bien entendu que nous vous paierons ce qu’il faudra. Montrez-nous le vrai visage de Steve McLay. Pour ce qui concerne Blankart et PPI, il est bien évident que nous ne voulons plus les voir approcher de Sunny Vale.

C’est Shaina qui venait de s’exprimer avec rage. Elle comprenait soudain qu’elle aussi avait été prise au piège du médecin ambitieux et beau parleur. Elle craignait de plus qu’il soit impliqué dans la mort de son amie.

— Si c’est lui qui a tué Sam, je veux bien lui faire l’injection moi-même.

Brigitte était peinée d’entendre la jeune femme s’exprimer ainsi. Elle savait que la Californie n’avait pas encore réussi à abolir la peine capitale, faute de majorité et cela lui était insupportable, mais en même temps, elle comprenait la réaction de Shaina.

— Il passera plus probablement le reste de sa vie en prison. C’est peut-être suffisant.

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