Le Monstre

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Je ne sais pas où je suis, pas plus que je ne me souviens d’y être arrivé. Pourtant je suis là, dans cet étrange endroit face à la créature la plus monstrueuse qui soit. J’ai peur, mais je ne peux pas m’enfuir. Il m’a enlevé à ma famille, il m’a fait prisonnière.

Il fait si sombre ici, la lumière me manque, je voudrais sortir. Je me souviens de l’affreuse odeur qui régnait quand nous somme descendu. Les égouts sont vraiment le pire endroit au monde, c’est répugnant ! Et pourtant c’est là qu’il vit. Ou du moins c’est par là qu’il passe pour rentrer chez lui.

Je suis installé dans un joli salon. C’est étrange de se dire que je me trouve à des mètres sous terre et qu’à deux pas de là se trouve les égouts les plus répugnant du monde.

Mon ravisseur n’a rien d’humain. Il est pâle comme la mort. Ses longs cheveux blancs sont étonnement brillant dans un monde aussi sombre que cet endroit. Et ses yeux… deux billes noires qui ne me lâchent pas un instant du regard. Je me sens épié, surveillé. Chacun de mes mouvements et inspecté, disséqué. Je me demande encore pourquoi il m’a emmené. Il ne parle jamais, il se contente de disparaître ou de me regarder fixement pendant des heures.

Même ses vêtements sont étranges. Un chapeau haut-de-forme noir sur ses cheveux immaculés, un costume sombre élégant d’un autre âge et une canne au pommeau d’or magnifique.

Parfois il me fait penser à ces vampires dans les histoires que je lisais le soir. Ces êtres qui ne sortent que la nuit et qui kidnappent de jeunes filles pour en faire des enfants de la nuit à leur tour.

Je ne sais plus trop depuis combien de temps je suis ici. Il n’y a pas de montre ni d’horloge. Il n’aime pas voir le temps qui passe et je n’ai rien d’autre à quoi m’accrocher. Que puis-je bien faire ici ? Je m’ennuie autant que j’ai peur. Je ne sais plus quoi faire. J’ai juste envie de m’endormir et de me réveiller dans mon lit, dans cette chambre trop petite que je partage depuis toujours avec ma sœur.

Je crois qu’il a compris que je me sens seule.

Aujourd’hui il est venu vers moi et m’a tendue sa main gantée, ses yeux captant les miens comme des aimants. J’ai sus tout de suite, sans vraiment savoir comment, que je peux le suivre, que je ne crains rien. Mais la peur et la méfiance sont toujours là, dans un coin de ma tête.

Nous sortons de sa cachette, traversons l’enfer empuanti des égouts et arrivons enfin à l’échelle. Il me laisse passer en première. Je ne peux m’empêcher de le regarder fixement quelques minutes avant d’agripper les barreaux et de commencer l’ascension. Je me retrouve au milieu de la rue. Les gens passent sans me voir. Il émerge à son tour des égouts et remet la plaque à sa place avant de me prendre par la main.

Il me guide dans les rues jusqu’à sa voiture. Sa voiture ? Je n’en reviens pas ! Comment une créature comme lui vivant dans une planque dans les égouts pouvait avoir une limousine pareille ?

Il m’ouvre la portière et m’invite à entrer. Je ne me fais pas prier.

C’est la première fois que je monte dans une limousine et je trouve l’habitacle immense. Il s’installe à côté de moi, referme la portière avant d’arranger ses gants blancs sur ses doigts. Puis il tape le plafond de sa canne et la voiture démarre. Je n’avais même pas vue le chauffeur. Mais y en avait-il seulement un ?

Nous roulons pendant un moment. Je regarde par la fenêtre, hypnotisé par le décor qui défile sous mes yeux. Je sens son regard sur moi mais je n’y prête pas attention. Très vite je reconnais le chemin que nous empruntons. Jamais je n’aurais pensé revoir cette route un jour. Nous traversons le centre-ville, puis nous en éloignons vers les coins sauvages de la Camargue. Je vois les ranchs et les campings passer en un éclair, flou sous mes yeux, si net dans ma mémoire.

Je ne comprends pas. Je me tourne vers lui, méfiante. Il se contente de serrer le pommeau de sa canne dans ses mains, le regard résolument tourné devant lui.

Très vite nous prenons le petit chemin de campagne que j’ai parcouru pendant des années avec ma sœur et ma mère. Nous dépassons les petites maisons de mes anciens voisins, arrivons bientôt devant la mienne.

J’aperçois à ma droite un champ d’orchidées violettes aussi hautes que des tournesols. Je n’hésite pas un instant. Profitant de son attention détournée j’ouvre la portière et saute de la voiture en marche. Je m’élance ensuite dans le champ de fleur sans un regard en arrière. Je sais qu’il me poursuit, je l’entends derrière moi mais je ne peux pas m’arrêter, c’est ma seule chance !

Je tourne en rond un moment, essayant de le semer avant de ressortir du champ. Je m’arrête net, regardant de tout côté. Je prie intérieurement pour que quelqu’un, n’importe qui, me voit !

C’est là que je l’aperçois, mon père. Il est juché sur une échelle de l’autre côté de la barrière et coupe les branches de l’olivier de bohème qui s’étend toujours un peu plus chaque année. L’espoir renait enfin en moi.

– Papa ! Papa je suis là !

J’agite les mains et je crie le plus fort que je peux. Papa regarde-moi, pitié !

Puis il se tourne enfin vers moi. Un immense sourire illumine mon visage. Il me regarde. Puis il détourne les yeux et redescend de son échelle comme si de rien n’était. Je me fige, interdite alors que le monstre s’avance derrière moi. Il se poste à mes côtés et regarde avec moi l’échelle se replier et mon père s’en aller.

J’ai l’impression de mourir à l’intérieur, j’ai tellement mal.

Puis je comprends enfin. Je me souviens de toute mon enfance, de toutes les promesses non tenues, de toutes les menaces qu’il nous a lancé à ma mère, ma sœur et moi.

Je me tourne vers la créature à côté de moi. Il me regarde de ses yeux sombre. Les larmes coulent, je les laisse faire.

J’ai enfin compris.

Il me tend la main, je la prends avec un sourire reconnaissant.

Il n’a jamais été le monstre. Le monstre avait toujours été ce père absent, ce père horrible qui n’était plus un père pour moi depuis longtemps. Et ensemble nous repartons loin de ce passé que je préfère oublier.

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