Une dague dans le cœur

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 Une chaise grinçait.

 Non pas qu’il fût à ce point froussard, mais l’idée qu’un homme s’y était installé lui avait maintes fois traversé l’esprit. Et pourquoi maintenant ? Quelques objets décident de faire du bruit une fois la nuit tombée, et pas avant. C’est comme ça. La logique du monde ! À croire que tout est fait pour vous empêcher de fermer l’œil. Il se retourna dans son lit et remonta sa couette jusqu’à son cou en jetant un regard à la fenêtre.
 Des branches plus maigres que des bras de nymphe s’y balançaient et hurlaient au vent, sans que cessassent les grincements. Une forme se dérobait sur le mur en face, dessinant des courbes et des membres entrelacés. Des paroles lui revinrent : « Vous vous écoutez bien, mais trop, Trevor. », et des images, toujours les mêmes. Une semaine plus tôt, l’assemblée avait mis à mal ses nerfs : « Vous devriez laisser votre siège à quelqu’un de plus jeune. » Perverse sollicitude. L’ancienneté justifierait-elle son évincement ? Il passa une main sur son front, couvert de sueur, et grogna quelque chose sur son lit, dur comme du bois. Ses poils se hérissèrent, et un vent glacial s’échappa des volets écartés. Il mit pied à terre pour les refermer, écartant d’un geste pressé les rideaux éclairés par la Lune. Ce fait décomposait les formes ; et des ombres volatiles glissaient sur les murs comme des spectres danseurs.

 Elle ne grinçait plus.

 Enfin il pouvait s’allonger et attendre qu’un rêve le saisisse de ses bras. Ses pieds nus avaient inscrits la chaleur du parquet, singulière, mais si bonne. Étiré ; penché ; il sentit enfin son étreinte chaleureuse mais, songeant encore à ses démons, ne pouvait l’accueillir pleinement : « Cessez d’insister ». Il voulut déglutir, mais une boule dans sa gorge grossissait avec les minutes. Recroquevillé, il tenait pour responsable sa barbe frottant l’oreiller : « Regardez-vous, bientôt sénile ! ».

 Plus un bruit.

 Étrange comme les pensées peuvent tout effacer. Il devrait tout rejeter, et diriger ses envies vers d’autres horizons – une autre passion l’envahit. Ce jeune homme du conseil aux yeux plus brillants que des saphirs, sa peau, pas encore entachée par des mains étrangères ou son labeur. Idée idiote, mais parfaite pour trouver le sommeil. Coulé dans son matelas, il sentait ce corps jeune et vigoureux grimper sur le sommier. Sans taire une vaine jalousie, il sentait la silhouette se blottir contre lui : « Vous pourriez recevoir de la visite. » avait-il entendu ce matin. Quelle importance ? L’entendre respirer, souffler dans son cou – n’était-ce pas son droit ? Ces longues années de solitude pesaient sur son corps vieillissant qu’une rêverie seule permettait d’oublier. S’oublier en commun, d’ailleurs.

 Son lit grinçait.

 Sa grâce figurée l’émerveillait encore. Il aurait pu se noyer dans ses lèvres à peine rosées par la candeur des premiers jours. À quel point la jeunesse s'épanouit-elle dans les bras d'un autre ? Il croyait y retrouver la sienne, si tendre.

 Un objet froid glissa sur son torse, gonflé de désirs inavouables, écorchant d’un trait son cœur affaibli : « Adieu ». Si près à présent. Si froid. Glaçant. Si beau. Ce visage cherché dans l'obscurité d'un songe ne pouvait qu'être un masque ? Aucune importance, puisqu’il expirait bientôt. On ouvrit la fenêtre. Plus un bruit. Plus un souffle.

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