Il est là, sur le quai, à attendre. Ce jeune homme brun aux allures de gentleman ne semble pas dépasser la vingtaine. Dans ce lieu morne qu’est la gare, il est cette petite lumière capable de repousser l’obscurité. Ses émotions bouillonnent en lui comme un volcan. Cela se voit malgré son calme apparent. Son regard se porte de part et d’autre de la voie, scrutant l’horizon. Sa barbe naissante s’accroche à son écharpe lorsqu’il tourne la tête. L’air est glacé. Normal pour un mois de février. Malgré ses gants et son écharpe, il semble gelé. Mais qu’est-ce que le froid lorsqu’on est dans l’attente d’une chose aussi importante ? La faible lumière du soleil, filtrée par les nuages gris, traverse le toit en verre et éclaire les quais. Plus loin devant lui, l’immense horloge cuivrée joue son cliquetis régulier. Entraînée dans cette mélodie, la valse des aiguilles se poursuit, cadencée, rythmée à la perfection.

  Une annonce retentit dans la gare, annonçant l’arrivée prochaine d’un train. Prudent, il effectue un pas en arrière, s’éloignant de la voie. Son cœur bat plus vite, son souffle se saccade. Il ferme les yeux, essayant d’apaiser cette angoisse qui l’envahit. Il ne l'a jamais rencontrée… Est-elle comme sur les photos qu'il recevait ? Sa voix est-elle aussi mélodieuse qu’au téléphone ? Jusqu'ici, leur relation n'avait été que virtuelle... Il a peur… L’express tant attendu entre en gare dans un crissement strident et retentissant. Les wagons colorés passent devant lui et progressivement, ralentissent. Les portes s’ouvrent enfin, libérant leurs passagers. La foule s’agite, se précipite hors du train. Derrière elle, les valises noires suivent docilement. Enfin, elle apparaît.

  Tâche de couleur sur cette toile cendrée, elle est là… Cette jeune fille aux cheveux bleus, tant attendue, tant désirée… Rébecca descend du train, une petite valise colorée la suit de près. Un bonnet noir se tient sur sa tête, penchant légèrement vers l’arrière. Elle porte un manteau violet terne, magnifiquement associé à sa chevelure bleue tombant jusqu’à sa poitrine. Un pantalon anthracite serre ses jambes, les protégeant du froid. Malgré l’agitation environnante, le son de ses bottines résonne. Son regard parcourt la gare, la découvrant pour la première fois. Elle semble perdue… Son visage est marqué d’inquiétudes. Malgré tout, elle est telle qu’il l’avait imaginée. Son cœur martèle violemment et inlassablement sa poitrine. Il a l’impression que sa cage thoracique va exploser. Son souffle est court, irrégulier.

  Son mental prend peu à peu le pas sur la peur. Il marche dans sa direction. Sur ses lèvres, un sourire apparaît, et ne cesse de grandir. Chacun de ses pas le rapproche un peu plus de la personne qu’il convoite. Soudain, la jeune fille aux cheveux teints l’aperçoit. Elle s’extirpe de la foule et court vers lui. Rébecca se jette dans ses bras, se serrant contre lui. Et le temps s’arrête… Leurs regards se croisent. Aucun mot n’est prononcé, mais tout est dit. Lentement, leurs visages se rapprochent l’un de l’autre. Il glisse ses mains sur les hanches de Rébecca, elle passe ses bras autour de son cou. Ils ne sont plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre. Ils ferment les yeux, leurs lèvres se caressent. Collés l’un à l’autre, ils se laissent envelopper dans ce bonheur qu’est le leur.

  Lorsqu’il les ouvrit à nouveau, il était assis sur une chaise, face au tableau. Le cours se déroulait comme à son habitude, chacun travaillant dans le calme. Face à lui, le livre d’exercices était grand ouvert. Perplexe, un peu déboussolé, il regarda son camarade d’un air étonné. Celui-ci lui répondit avec un sourire.

— « Tu étais ailleurs je crois.

— Oui, désolé… »

Une larme coula sur sa joue. Il la chassa d’un revers de la main et ils se penchèrent tous les deux sur le livre, sans prononcer un mot.