Chapitre XIV.5

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Pour la première fois de la journée, Max se sentit mieux, cette douce intimité avec Marcy — et le cognac aidant — fit remonter le baromètre de sa paix intérieur, sinon au beau fixe, du moins hors des zones dépressionnaires qui le hantaient depuis ce matin. Marcy avait vu juste, comme la plupart du temps, l’un comme l’autre n’éprouvait aucun désir que la vie de bureau — ou un quelconque équivalent — puisse combler : de toute façon, dans un monde où le héros moderne est immanquablement le créateur de Startup (patron ou chef d’entreprise étant devenu tellement désuet et presque péjoratif depuis l’annonce de la troisième révolution industrielle) ils ne pouvaient guère que se contenter d’être de bons petits soldats, tirer leurs quelques marrons du feu, et profiter du peu de temps qui reste pour endosser le seul rôle qui puisse leur convenir : celui du dilettante, espèce aussi sûrement éteinte en ce XXIe siècle que celle du pauvre Dodo. Le cognac — d’une excellente année — semblait avoir donné à Marcy des facultés quasiment télépathiques (en plus de joues de plus en plus rose pivoine), car elle déclara suavement :

— Hé oui, mon pauvre Max, quel dommage que nous ne soyons pas des personnages de Wilde, de Wodehouse ou de Somerset Maugham, à pouvoir cultiver nos loisirs sans trop se soucier des contingences financières !

— Je ne te contredirais pas, ma très vénérable sœur, du reste, je crois que Maugham disait qu’il n’y a rien d’aussi dégradant que le constant souci des moyens d’existence !

— Tout juste petit frère, et il disait aussi — si ma mémoire est bonne — que la faculté de citer est un substitut commode à l’intelligence !

— Aurais-tu cette charitable pensée à l’encontre de notre si adorable sœur Teresa ?

— Si peu… Il n’empêche qu’elle est peut-être la plus pure de nous trois : elle s’habille comme une gamine des rues sortie droit d’un roman de Dickens, se fiche royalement de ce qu’on pense d’elle, passe son temps entre bouquiner, rêvasser, écrire et tirer quelques subsides de ce pauvre Georges. Et elle est heureuse !

— Je vais te faire une confidence, Marcy ; si j’ai refusé certains stages ou boulots — outre la question de la paye —, c’est parce qu’ils m’auraient éloigné de Stratford : cela va te paraître un peu cliché, mais je ne crois pas que je supporterai longtemps d’être séparé de toi, de Teresa, de Lucy et de cette adorable petite chose emplumée qu’est Star ; il ne se passe jamais rien à Stratford et pourtant je ne saurais vivre à un autre endroit…

Avant que Max ait pu terminer, Marcy se pencha vers lui, noua ses bras autour de ses épaules et l’embrassa :

— Mon adorable frère, des clichés de cette sorte valent toutes les plus belles formules, si littéraires qu’elles puissent être !

— Alors c’est le moment de lever encore nos verres ! dit-il en joignant le geste à la parole.

— On ne peu plus d’accord, Sinn Féin ! comme dirait Star.

Fatigué, mais quelque peu réconforté par les sages paroles de sa sœur ainée, Max n’eut même pas à demander l’asile pour la nuit à cette dernière :

— Tu m’as l’air complètement à plat, mon pauvre Max, tu peux rester dormir ici, avec moi si tu veux ; d’autant plus que si Teresa refait un autre cauchemar, tu es à nouveau bon pour une nuit blanche…

Max n’en espérait pas tant et s’installa ; comme Teresa, Marcy adoptait en général pour dormir une tenue assez dépouillée, à savoir une brassière de sport confortable ou un simple t-shirt plus un caleçon, et après avoir gentiment souhaité une bonne nuit à son frère, elle s’endormit près de lui comme une masse.

Mais alors que Max commençait à sommeiller, Marcy bâilla un peu puis se retourna brutalement et son bras protecteur — mais ô combien pesant — tomba lourdement sur la poitrine de son frère qui, réveillé en sursaut, pensa que le plafond venait de lui tomber sur la tête !

Elle avait le sommeil lourd et — au vu de son gabarit — il ne pouvait guère la faire remuer. Réussissant tout de même à se dégager un peu il s’étira et, voulant boire un peu d’eau, il essaya d’attraper la bouteille sur la table de chevet. Mais à ce moment Marcy, qui s’était remise sur le dos, s’étira elle aussi et son bras gauche heurta violemment l’épaule de Max, qui lâcha la bouteille d’eau dont la moitié du contenu se rependit généreusement sur son bras et sa portion de lit.

Il réussit, en se tortillant un peu et au prix du sacrifice d’un oreiller qu’il réussit à glisser entre les bras de Marcy, à retrouver un peu de liberté et sombra dans un sommeil bien mérité, quoiqu’un peu humide suite à l’incident de la bouteille d’eau.

Cela ne dura pas très longtemps, puisqu’une ruade de Marcy l’expédia au bas de son lit. Et à présent, celle-ci, étalée de tout son long, occupait toute la surface disponible. N’ayant aucune intention de dormir par terre, Max étudia rapidement la question et finit par décider de pousser suffisamment Marcy pour retrouver sa place, mais sans toutefois la réveiller, ce qui fut loin d’être évident.

Avec efforts et délicatesse, il put reconquérir sa place. Mais, juste après qu’il se soit allongé, Marcy referma soudainement ses bras autour de son frère ce qui bloqua prestement ce dernier contre son giron sans qu’il ait eu le temps de dire ou faire quoi que ce soit.

Une fois de plus, Max soupira, cette situation le laissant tout de même assez partagé : d’une part dormir entre les bras de Marcy, la joue fermement plaquée contre l’opulente poitrine de cette dernière n’était somme toute pas foncièrement désagréable, sans compter qu’elle affichait un sourire si bienveillant qu’il n’aurait pas eu le cœur de la réveiller. D’autre part, il se sentait quelque peu dans la peau d’un chaton, lapin ou quelque autre souris pris entre les pattes du brave Lennie Small dans Des souris et des Hommes. Et même si Marcy s’en sortait infiniment mieux que le malheureux héros de Steinbeck, de la même manière sa prodigieuse force physique pouvait causer quelques dommages involontaires et il n’avait pas vraiment envie que, lors d’un élan de tendresse nocturne, son ainée lui casse plusieurs côtes ou fasse un nœud plat avec sa trachée !

Un instant, il songea à Star : Elle aurait vendu son âme pour se trouver à sa place en ce moment, et peut-être même celle de sa miss L.L.Lemon en plus si elle avait pu se glisser à sa place entre les bras d’une Marcy dénudée lors de leur dernière baignade (si toutefois lesdites âmes n’étaient déjà pas mises en gage lors de quelques ténébreux pactes faustiens, dont la charmante blondinette, tout comme Teresa, avait le secret) et il se plut un instant à imaginer Marcy câliner amoureusement cette gentille et douce petite chose blonde jusqu’à ce que sa colonne vertébrale se plie en accordéon et que ses yeux gigotent comme ceux de Kermit la grenouille, le tout au son du Amhrán na bhFiann.

Bien que fort peu charitable envers sa meilleure amie, cette pensée lui apporta néanmoins un sommeil étonnement réparateur. Pour être tout à fait honnête les choses n’étaient pas toujours aussi problématiques et Max, lors de gros coups de cafard qui ne l’épargnait pas lui non plus, était bien heureux d’être entouré du cocon doux et protecteur de ses sœurs, même s’il était parfois quelque peu remuant. Max avait aussi ses défauts puisqu’il avait tendance à parler dans son sommeil et craignait de ce fait, à tort ou à raison, de tenir des propos déplacés lors de ces rêves. En témoigne cette scène curieuse, mais véridique où, se réveillant avec à ses côtés une Teresa très attentive qui notait des choses sur un carnet, cette dernière très intriguée l’interrogea aimablement sur ce qu’il entendait par la phrase : « Non merci, pas d’ornithorynque pour le moment, je prendrais le prochain… ».

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