Chapitre 18 : Palais

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31 août 2115, 02:00

Loyva

Ambassade Catysmope

L'ambassadeur alien était à table avec les deux militaires depuis quelque temps, lorsqu'il demanda au général de lui expliquer la situation.

« C'est assez simple, monsieur. Au sein de l'Armée, un groupe d'officiers et de soldats tient le Quartier Général et a décidé de ne plus obéir au gouvernement. Ils disent que celui-ci est faible, n'agit jamais et a peur d'engager des actions. Le Conseil s'en est inquitété et a pris une décision en assiégeant le QG et la rébellion.

-Et vous, vous êtes encore avec le gouvernement ? Mais ces officiers ont raison ! Mon prédécesseur n'a cessé de me répéter l'inaction permanente du Conseil de Mars, et depuis que j'ai repris sa fonction, je n'ai pu que le constater. Pourquoi ne rejoignez vous pas vos camarades et ne ralliez pas d'autres hommes ?

-Vous me demandez de participer activement à la rébellion ?

-Je n'irais pas par quatre chemins. Si j'étais à votre place, je le ferais.

-C'est vrai ? Vous êtes pour ces traîtres ?

-Des traîtres ? Des gens lucides, voulez vous dire. Et c'est leur lucidité qui les met en danger. Ne grâce, général, je vous le demande. N'agissez pas contre vos frères, ils sont dans leur plein droit.

-Et bien, si j'avais su, je n'aurais pas pris le temps de vous raconter n'importe quoi.

-Comment cela ?

-Nous ne sommes pas ici pour veiller à la sécurité. En réalité, j'ai fait échapper le capitaine des prisons du ministre, et nous avons atterri ici. C'est moi qui dirige les forces rebelles. »

L'ambassadeur fixa Hanrel, puis Tenson, puis de nouveau Hanrel. Il donna un grand coup de poing sur la table. Mais les officiers restèrent calmes. Et soudain, il eut un grand éclat de rire.

« Par la fenêtre ! Vous m'avez bien eu ! Et j'ai été assez bête pour vous croire. Un coup de maître, général.

-Oh. Merci, je suppose.

-Excellent, par la fenêtre ! Mais pourquoi être venu chez moi ? Quel rapport avec votre sédition ?

-A vrai dire, c'était tout à fait involontaire. Nous cherchions à nous rendre chez l'amiral Nox, qui est mon ami.

-Mais le quartier général de votre marine n'est-il pas de l'autre côté de la ville ?

-Oui, je sais bien. Quand je vous dis que c'était involontaire...

-Effectivement. Et bien, si vous devez aller chez l'amiral et que vous êtes recherché, hors de question que je vous laisse y aller seul. Venez, nous partons sur le champ.

-Mais nous sommes en pleine nuit ?

-Personne ne nous arrêtera, pas de souci. Femme ! Que l'on prépare ma voiture, je transporte nos deux invités.

-Très bien, j'appelle le chauffeur. Mais homme, je te préviens : rentre rapidement, ne t'avise pas de faire comme d'habitude ! Et ne t'arrêtes pas en chemin, vous perdriez du temps.

-C'est promis, oui, ca va, j'ai compris... »

Ils se rendirent dans la cour de l'ambassade, entrèrent tous les trois à l'arrière du véhicule de luxe et quelques secondes plus tard, il démarra pour emprunter les rues de la capitale. Il y avait encore des gens dehors, qui avaient l'air tout aussi pressés et occupés que lorsqu'il faisait grand jour. Tandis qu'ils roulaient, leur hôte leur montrait par la fenêtre les bâtiments devant lesquels ils passaient.

« Alors général : vous et votre capitaine êtes en permanence au QG, ici à la capitale ?

-Pas complètement, ambassadeur. C'est mon cas mais le capitaine fait partie des troupes postées près de la frontière avec la zone neutre. Il est arrivé il y a quelques jours et nous n'avons pas eu le temps de le préparer aux us et coutumes de la diplomatie, veuillez l'excuser.

-Je comprends. Moi-même, je ne suis pas passionné par cette charge. Vous savez, capitaine, être ambassadeur sur Orthor est généralement une charge qui revient au troisième ou quatrième enfant. Je fais partie des rares qui n'est pas viscéralement ennuyé par ses missions. Mais puisque vous n'étiez pas à Loyva, ce quartier vous est inconnu ?

-Oui, ambassadeur.

-Et bien, chaque capitale planétaire en possède un. Nous venons de quitter l'ambassade Catysmope, la mienne. Nous avons passé l'ambassade Zavoskys, ce sont de très bons amis à moi et à mon peuple. Si vous regardez à gauche, vous verrez celle des Vexamans, de gros banquiers. Je devrais d'ailleurs les recontacter... A droite, les ambassades Polomoss et Wygozs. En face, le bâtiment très artistique, c'est celle des Kolbarbas. Des génies que je trouve ennuyants, mais des génies tout de même. Et à côté, celle des Deydriks, que je ne connais pas très bien.

-Et cette ambassade un peu isolée ?

-Oh oui, je ne la vois presque jamais. Personne ne les connaît, ou alors ils ne s'en rappellent pas. C'est celle des Zarouskavas. C'est un peuple assez particulier. Ils n'ont ni vaisseaux, ni armes à feu, ni véhicules comme celui-ci, rien. Ils sont axés sur l'agriculture, l'élevage, ils bâtissent avec du bois et de la pierre, combattent avec des épées et des arcs. Vous savez comment ils se déplacent ? Sur des bêtes. Pas de véhicules vous dis-je, alors ils apprivoisent des animaux et s'en servent de moyens de transport. Certains les trouvent retardés. »

Tandis qu'il leur parlait de la capitale et de comment un Catysmope pouvait s'y sentir, le véhicule continuait à filer, presque seul sur la route. Tout à coup, les deux pointes dont parlait Hanrel auparavant arrivèrent droit devant. La voiture s'arrêta à la barrière d'entrée, et le chauffeur présenta sa carte de conducteur de l'ambassadeur. Les gardes ouvrirent l'entrée et laissèrent la voiture entrer. Celle-ci fit le tour de la cour avant de s'arrêter devant les escaliers du Quartier Général, qui ressemblait d'ailleurs à un ministère.

« Vous y voici. Général, vous connaissez les lieux, je peux donc vous laisser. Capitaine, vous ne parlez pas beaucoup, mais ce fut un plaisir aussi, sachez le. Votre visage m'est agréable. »

Hanrel remercia chaleureusement l'ambassadeur de son aide, puis gravit les marches, suivi du Terrien. Un garde le vit arriver et allait lui demander ses papiers, lorsqu'il le reconnut.

« Général Hanrel !

- Menez-moi à l'amiral Nox, et immédiatement je vous prie.

-A vos ordres mon général ! »

Sur le chemin, ils croisèrent de nombreux soldats et officiers, qui au lieu d'être en gris, étaient en bleu. Mais on pouvait repérer les mêmes ronds de couleurs sur leurs épaules. Tous regardaient avec surprise le général rebelle qui était dans leur Quartier Général, accompagné d'un officier que personne ne connaissait. Chacun faisait passer le mot de son arrivée. Ils purent enfin arriver au bureau de l'amiral. Le garde entra, essoufflé, et annonça le général qui n'attendit pas pour s'engouffrer dans la pièce. L'Amiral Nox bondit de sa chaise.

« Loggs ! Mais qu'est ce que tu fais là ?

-Kapon, mon vieux ! Je ne te raconte pas les ennuis que j'ai. »

Les deux hommes se prirent alors dans les bras, chaleureusement.

« Loggs, on me parle de rébellion ! Du haut de mes tours, on peut voir la place principale bondée de troupes du gouvernement. Je n'arrête pas de recevoir des indications depuis deux semaines sur un affrontement avec des militaires de ton QG. Que se passe t-il ? Personne n'a de rapports concrets en dehors du conseil.

-C'est un peu long à expliquer. Pour faire simple, nous avons deux Terriens avec nous. Le capitaine Tenson, que voici.

-Ah, bonsoir capitaine. Vous êtes donc militaire ?

-Oui monsieur.

-Quelle arme ?

-Infanterie, monsieur.

-Dommage. Mais ce n'est pas grave, vous pouvez rester dans mon QG quand même. »

Les deux hommes rirent, puis Hanrel reprit, sérieusement.

« Le second Terrien est avec le commandant Zalos.

-Ah oui, Zalos ! Comment va ton neveu ?

-Kapon ! Nous n'avons pas le temps.

-Pardon, pardon. Je t'écoute.

-Tenson s'est brouillé avec le Conseil parce qu'ils sont ingrats. Je me suis brouillé par la suite avec eux. Evidemment, ils ont pris cela pour de la sédition, et m'ont fiché comme rebelle. Tout le QG a décidé qu'il fallait agir et a décidé de nous soutenir. Résultat, nous sommes assiégés par au moins mille machines et agents, sans pouvoir rien faire. Ils ont lancé un assaut il y a une semaine, et ils ont capturé Tenson et Zalos. Cette nuit, avec le second Terrien, nous les avons libérés. Puis nous avons dû nous séparer, et j'ai décidé de venir ici. Nous avons besoin de toi.

-Tout cela est très amusant. Figure toi que j'ai tenté de raisonner le Conseil. Ils m'ont dit qu'à huit heures précises du matin, je perdais mon poste d'amiral pour sédition également. Ils vont promulguer un décret qui exclue tous les gens soupçonnés d'affolement.

-Je vois. Nous allons être tous les deux virés, je crois.

- Jusqu'à huit heures, je suis encore amiral et tu es encore général. De quoi as-tu besoin ?

-Il te reste quelques bâtiments opérationnels ?

-La flotte Martienne n'est plus ce qu'elle était. Mais les derniers qui nous restent ont été entièrement retapés. En dix minutes, je peux mettre tout le monde sur le pied de guerre.

-Et à quoi penses-tu ?

-Une petite action sur la place. Et sur le palais du conseil, c'est juste à côté. Pourquoi ne pas en profiter ?

-Ca ne m'étonne même pas de toi. Depuis le temps que tu veux leur faire ravaler leurs sottises. »

Les deux hommes éclatèrent à leur tour de rire. Tenson souriait en voyant ces deux chefs se liguer. Il comprenait que cette fois, l'action serait différente. Mais il pensait à son lieutenant. Si eux n'étaient pas arrivés au bon endroit, est-ce qu'elle et Zalos avaient réussi ? Non, sinon l'amiral leur en aurait parlé. Il se demandait où diable Federico avait pu arriver, et il s'inquiétait.

*

31 août 2115, 03:00

Palais des Nuages

Mais il n'était nul besoin de s'inquiéter pour le lieutenant. Elle était en ce moment assise en tailleur sur un canapé, regardant Zalos lui parler de Mars et des Martiens. Elle avait beaucoup parlé de la Terre mais exigeait désormais l'inverse.

« Allez, Zalos. Expliquez moi, vous n'avez pas de femmes ! Cette question m'obsède depuis que nous l'avons compris. Pourtant, vous avez des jeunes, des vieux, des familles. Je n'ai pas vu d'enfants, en revanche.

-Enfin lieutenant, c'est assez gênant !

-Allez, s'il vous plaît. Je ne vois pas comment cela pourrait l'être.

-Bien, si vous insistez, je veux bien vous expliquer. Mais ne jugez pas.

-Je vous le promets.

-Il existe dans de rares endroits sur Mars, en profondeur, des cavernes. Celles-ci sont remplies de grandes cascades, où coulent une sorte d'eau. Mais en réalité, c'est un liquide qui était à l'époque considéré comme très sacré, aux origines inconnues. De façon étrangement régulière, un jeune Martien sort de chaque cascade en traversant ledit liquide. Ils se rencontrent, se parlent...

-Attendez. Ils viennent de...naître ? Et ils se parlent ?

-La faculté de parler est innée aux Martiens. La grande majorité des autres peuples ne possèdent pas ce don, c'est vrai. Si cela peut vous rassurer, ce ne sont que quelques mots. Ils doivent tout apprendre grâce aux plus âgés. Ils se parlent donc, puis sortent de la caverne. Aux origines, ils commençaient à s'organiser en une petite communauté et à chasser, cueillir, pour vivre, jusqu'à ce qu'une nouvelle « portée » n'arrive, augmentant les rangs. Chaque caverne était comme un temple. Et chaque caverne possédait donc sa tribu. Pendant longtemps, Mars était divisé en un nombre incalculables de tribus, qui ont fini par se battre pour contrôler les cavernes de cascades. Puis, l'une des tribus a surpassé les autres. En s'emparant de plusieurs points, elle a pu rallier les nouveaux arrivants et augmenter sa population, et donc son armée. Une partie des autres tribus se rallièrent volontairement, les autres furent conquises. La tribu Kanon les surpassa et commença à unifier la planète sous sa bannière, qui resta en paix intérieure. Un jour, un gouverneur se rebella contre l'autorité toute-puissante du Conseil de Mars et proclama la séparation de sa région, et de ses cavernes. Plusieurs gouverneurs le rejoignirent, et depuis, leurs descendants ne sont plus considérés comme Martiens. C'est ce dont je vous parlais l'autre jour, au « Somuz enfoui ».

-Donc si je comprends bien, vous naissez en sortant de derrière une cascade ? Mais, comment arrivez-vous là ? Il faut bien une... conception ?

-C'est là le moment gênant. Le liquide dont je vous parlais. Durant la période qui sépare deux naissances, celui-ci fermente et développe les cellules biologiques qui constituent l'être. Puis, le corps se forme et s'associe à ces cellules, qui ne sont pas directement en lui. Lorsque les deux sont réunis, le futur Martien se renforce encore un temps, puis sort enfin.

-Le corps se forme et s'associe aux cellules ? Mais comment ?

-Cela, je n'ai pas les compétences pour l'expliquer. Ce que je vous raconte, ce n'est que l'hypothèse communément admise de nos scientifiques. Rien ne peut aller au-delà des cascades : le liquide fait fondre instantanément ce qui traverse son liquide. Robots...et Martiens. Un chercheur a perdu la vie de façon assez atroce en essayant. Depuis, plus personne ne pénètre dans ces lieux.

-C'est... Plus que curieux. Vous avez là une façon bien étrange de voir le jour.

-Pour nous, c'est normal. Et vous, alors ? Vous ne m'avez toujours pas expliqué pourquoi il y avait deux types de Terriens ? Est-ce lié ? »

Un petit rire survînt.

« Ah non, ne riez pas sans m'expliquer pourquoi !

-Ne m'en voulez pas, s'il vous plaît. C'est que... En réfléchissant bien, votre naissance n'est pas plus étrange que la nôtre. Elle est un peu particulière.

- Expliquez-moi. »

Toujours en riant, elle lui répondit :

« Euh...Je ne sais pas si c'est une bonne idée. Oubliez cela pour le moment, cela vaut mieux.

-Serais-je trop bête pour comprendre ?

-Oh, bien sûr que non. Chaque chose en son temps. Il se fait tard, mieux vaut aller nous coucher. Qui sait si tout à l'heure nous n'aurons pas de la visite.

-Comme vous voulez. Oh, mais dites moi. Vous aviez refusé de vous changer devant tout le monde au QG, avec votre capitaine. Dois-je également supposer que les Terriens préfèrent avoir un lit à part ?

-Disons que oui, effectivement. Nous prendrons des lits différents.

-Quelle planète étrange. Bien, je vais en préparer deux dans ce cas.

-Et Zalos ? Serait-il possible d'avoir deux chambres séparées ?

-Tant d'énergie à dépenser pour simplement dormir ! Mais soit, nous aurons deux chambres avec un lit chacun. »

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