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J’étais content de retrouver la vie de famille, d’oublier tous ces sentiments. J’étais malheureux de ne plus avoir cette bande chaleureuse autour de moi. Je redevenais le petit garçon, mais j’étais un jeune homme, avec une vie amoureuse et sentimentale, une vie sexuelle. Quand je repensais à mon weekend avec Édouard, le rouge me montait, de honte et du manque. Ma petite sœur ne me quittait pas des yeux, me taquinant, heureuse de ma présence. Maman ne disait rien, mais je voyais ses yeux briller quand elle me regardait. Elle ne voyait plus son petit bébé, mais un jeune homme, sans doute parfait à ses yeux. Papa me harcelait de caresses, de petits coups, ne sachant comment causer à ce garçon qui avait poussé si vite et qu’il sentait changé en profondeur. Le duvet sous le nez ne rendait pas complètement compte des changements.

Nous roulions pour retrouver notre lieu habituel de vacances : une grande maison en bord de plage que mes parents et leurs amis louaient depuis toujours, dans mes souvenirs. J’allais retrouver mon petit frère, leur fils unique, Élias. Bien que plus jeune que moi de deux ans, nous passions notre temps à jouer ensemble. Nous dormions dans la même chambre, passant les soirées à nous raconter des histoires, à nous battre. Je l’adorais et il me le rendait, en me regardant avec des yeux admiratifs. Plus grand, je savais toujours plus de choses que lui et j’aimais lui montrer, lui apprendre. Mon affectation pour lui était intacte, entière, mais je me demandais quand même comment cela allait se passer. J’avais hâte de le revoir, mais à quoi allions-nous jouer ? J’avais d’autres préoccupations, sans forcément envie de régresser de deux ans.

J’arrivais tourmenté, espérant retrouver la magie des étés passés, rêvant aussi de vivre des aventures sentimentales avec la bande d’enfants que nous côtoyions chaque année. Élias me sauta dans les bras et j’étais heureux de le voir, de le sentir toujours aussi proche. Sans hésitation, je décidais de retrouver mon rôle de grand frère.

Je n’avais pas remarqué lors de nos embrassades de retrouvailles, mais le soir, dans la chambre, alors que nous nous déshabillions, je vis qu’il avait considérablement changé. Grandi, forci, il faisait plus vieux que son âge. Cette transformation n’avait en rien altéré sa beauté. Habitué à le voir, j’avais oublié sa figure d’ange blond, son regard doux et son sourire envoutant. Malgré mon expérience, encore récente avec Édouard, je le regardais en étant fier d’avoir un tel petit frère. Lui, quand il croisait mon regard, me souriait de toute sa gentillesse, de sa joie de me revoir.

Tous nos amis de vacances avaient changé. Nous vivions en maillot de bain la plupart du temps. Nous étions du même âge, à quelques années près. Les plus grands, comme moi, n’étaient plus les mêmes. Les formes s’étaient développées, les traits avaient muri. Je ne savais plus comment regarder ces filles et ces garçons. Je ne pouvais éviter d’évaluer mon attirance, mon admiration ou ma déception devant l’une, l’un, l’autre. Où était passée notre innocence, car cet embarras était partagé par tous, hormis les plus jeunes. Je n’arrivais pas à être présent. Je me laissais aller à rêvasser sur tous ces corps exposés, si jeunes, si harmonieux, si tentants, admirant ces filles et ces garçons.

Je commençais un petit flirt avec Amandine. Plutôt, je me laissais mener, par jeu. Nous savions l’un et l’autre que ce serait sans lendemain. J’étais préoccupé par Éric, troublé par son corps si bien fait, si souple, si attirant. Ils n’étaient pas les seuls, mais les plus fascinants pour moi.

Les soirs, nous discutions avec Élias. Nous nous racontions notre année. Je lui parlais des amitiés que j’avais nouées, sans entrer dans les détails. Il me poussait à tout lui dire, avide de grandir, de vivre des aventures sentimentales.

– Tu as changé, Sylvain !

– Bien sûr ! Et toi aussi.

– Je veux dire, dans tes rapports avec les autres. Il se passe quoi avec Amandine ?

– Nous jouons à flirter, à faire comme si nous étions amoureux. Elle est jolie, tu ne trouves pas ?

– Oui. Pourquoi aucune fille ne s’intéresse à moi ?

– Tu as le temps. Ne t’en fais pas, elles seront toutes à tes genoux !

– Et avec Éric ?

– Quoi, avec Éric ?

– Tu le regardes d’une drôle de façon.

J’avais oublié que sous son charme, il avait un esprit vif et observateur.

– Disons que je le trouve beau. J’aimerais être comme lui, pas un tas d’os maigrichon.

– Moi, je te trouve beau aussi.

– Parce que tu me connais depuis toujours comme ça. Non. Éric, lui, c’est un beau garçon !

– Tu vas flirter aussi avec lui ?

– Mais non ! C’est un garçon ! Comme moi !

– Je me demande si un garçon peut aimer un autre garçon.

– Comment ça ?

– Depuis longtemps, moi, je trouve les garçons plus beaux et plus intéressants que les filles. Des fois, j’ai envie d’en embrasser, de les toucher, de les caresser.

– Oui, il y a des amis que l’on aime beaucoup et qu’on a envie d’embrasser. Je t’ai dit, moi cette année, j’ai fait la connaissance de Camille. C’est vraiment très fort, notre amitié.

– Tu ne veux pas comprendre ?

– Comprendre quoi ?

– Je n’ose pas en parler. Sylvain, avec toi, j’ai confiance. Je suis attiré par les garçons, pas par les filles.

– Tu es jeune. Tu vas changer. Attends de voir.

– Sylvain, tu as déjà couché ?

– Non. Enfin, oui.

– Avec une fille ?

– Nous nous sommes embrassés et touchés.

– Mais tu as fait l’amour avec elle ?

– Non. J’aurais bien aimé, mais elle m’a dit qu’elle avait une petite amie.

– Tu n’as jamais couché alors ?

– Élias, tu me poses des questions…

– Mais tu m’as dit que tu avais couché ?

– Oui !

– Mais alors, si ce n’est pas avec une fille, c’était avec un garçon ?

– Oui ! Personne ne le sait. Je ne sais pas pourquoi je te le dis. Oui, j’ai eu une expérience avec un garçon.

– C’était bien ?

– Non, Élias. Pas de question comme ça !

– Alors, tu es comme moi. Tu préfères les mecs ?

– Je ne sais pas. J’aime les filles. J’aime les garçons. Je découvre, je ne sais pas. L’important, pour moi, ce n’est pas le sexe, mais ce qui va avec, la tendresse, les caresses, les baisers, les sentiments surtout.

Il m’avait exténué et obligé à me livrer entièrement. Ses questions étaient les miennes, sans réponse. Il n’était encore qu’un enfant. Il me le prouva immédiatement en m’attaquant, en rejouant une de ces batailles qui étaient nos habitudes. Je le terrassais toujours. Cela le faisait rire. Cet été, il était aussi grand que moi, plus lourd. Je n’étais pas sûr d’avoir le dessus.

Effectivement, je dus me bagarrer pour enfin arriver à le chevaucher en lui bloquant les bras avec mes jambes. Tout à ma difficulté de le dompter, j’avais oublié notre discussion préalable. Nous sommes essoufflés de cette lutte. Je suis sur lui, immobile. Je baisse les yeux et je croise les siens. Il me sourit d’une façon étrange. Il lève ses mains, attrape mes bras et m’oblige à me pencher vers lui. Je bascule en avant et nos lèvres se rencontrent. Je me débats, je m’écarte.

– Non ! Élias ! Pas ça ! Tu ne peux pas. Je suis comme ton frère. Et tu es si jeune.

– Je ne te plais pas ?

– Élias, je t’adore, je t’aime. Tu le sais. Tu es un beau brin de garçon, depuis toujours. Tu es attirant. Mais non, je ne veux pas t’embrasser. Ce n’est pas ça mon affection pour toi.

– Sylvain, quand tu étais sur moi, j’ai senti ton désir. J’ai vu…

– Rien du tout. Dans la bagarre, je me suis excité, mais ça ne veut rien dire.

Je lui mentais, je me mentais. Mais la réalité était impossible.

– Excuse-moi. J’ai quand même bien aimé ton contact et ta rudesse. Moi, je te le dis, tu me fais quelque chose !

– Élias, on arrête, s’il te plait.

– Tu veux bien quand même me faire un câlin ?

Le monstre ! Il utilisait son charme irrésistible, sachant que ça marcherait. Je cédais et me mis contre lui. Il s’endormit, m’empêchant de bouger. Je n’arrivai pas à trouver le sommeil. Ses révélations, ses interrogations me travaillaient. Autant que les miennes. Oui, malgré mon affection fraternelle, Élias ne m’était pas indifférent. Je ne voulais pas l’admettre. Mais il était si jeune, je le connaissais depuis si longtemps qu’il était impossible que nous ayons une relation autre qu’affectueuse.

Les soirs suivants, il joua l’indifférent. Nous jouions aux cartes, en bavardant. Je savais que ce n’était qu’un répit et qu’il allait reprendre ses interrogations et ses demandes. Il recommença doucement. Il était vraiment tourmenté par ses attirances. Je le rassurais. Alors il se laissait aller, me décrivant chacun de nos camarades et ce qu’ils avaient d’intéressant pour lui. Il observait finement. Il me racontait ses copains de classe, de sport. Il ne parlait que des garçons qui le faisaient rêver. Il se libérait, heureux de pouvoir, enfin, parler de ce qui le ravageait. Je l’écoutais. J’avais aimé mes gestes avec Fabrice, avec Édouard. J’aimais le contact de Charly. Mais je n’avais pas cette force et cet attrait absolu qu’il me décrivait. Il ne savait pas ce que ses parents pensaient des garçons comme lui. Mais il savait que ce n’était pas convenable, qu’il n’était pas « normal ». Comment résister ? Pour l’instant, seul son esprit s’emportait sur le sujet. Depuis quelque temps, sa sexualité s’éveillait et le travaillait dans la même direction.

J’étais son confident. Il me voulait comme guide, comme initiateur. Soir après soir, je refusais. Il me harcelait si gentiment, il me connaissait si bien, qu’il savait qu’il atteindrait son but.

Je ne voulais pas, je ne savais comment résister. La grâce d’Élias entamait ma fermeté. Je voulais avant tout le rassurer, apaiser ses tourments. Finalement, passer à l’acte, au concret, légèrement, me sembla incontournable. Effectivement, il fut soulagé. Nous n’avions pas fait grand-chose, mais il avait franchi le pas. Maintenant, il était prêt à assumer ses gouts et ses tendances. Ses réflexions me bouleversaient. Ma responsabilité était énorme. Moi-même j’étais hésitant, en recherche. En fait, il se servait de moi pour sa propre progression. Il m’écoutait et, en même temps, m’utilisait comme miroir. Pour Élias, je me serai damné. Je ne sais pas si je l’ai aidé. J’ai essayé de le protéger. Mon affection grandissait de jour en jour devant son éclosion.

À la fin du séjour, en se quittant, devant les parents, mon petit ange me fit un léger et discret baiser sur la bouche et me susurra un merci ému dans le creux de l’oreille. Je le regardais partir, se retournant avec un clin d’œil, alors que je rangeais soigneusement ces souvenirs de vacances, heureux, impatient de le revoir l’année prochaine.

Élias, c’était mon petit frère, celui que je n’ai jamais eu. Nous avions passé tous nos étés magiques de l’enfance à jouer sur cette plage. Je ne l’avais jamais regardé vraiment, juste protégé, aidé, débordant de tendresse pour ce petit en admiration devant le grand. Je regardais s’éloigner ce magnifique éphèbe dans son commencement, mon cœur empli de mon amour et de mon admiration pour mon frère éternel.

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