CHAPITRE 4 -première partie

9 minutes de lecture

« J’aurai pris tellement de volume que je serai incontournable"

(M. Ionnett)

– Ce tonnerre et cette lumière m’ébranlèrent si fort que je ne pus même pas honorer mon épouse, ce soir là. Or, depuis 4 années, ma puissance ne cesse de grandir... Je me demande si ce n’est pas vérité que ces coupes ont un pouvoir…

Le roi marqua une pause pour laisser résonner ces paroles pleines de mystère, puis reprit :

– Je sais que tu es frappé, Alcuin, du bon sens, alors donne-moi ton avis !

L’érudit homme de foi rassembla ses souvenirs.

– J’ai ouï une légende relatant qu’après avoir récupéré le vase de Soisson mis hors d’usage par un Franc, Rémi le fit fondre pour en tirer trois coupes. Peut-être en détiens-tu deux d’entre elles !

– Mais pourquoi auraient-elles un pouvoir ? Et lequel ?

– Dans chacune des coupes il y aurait un clou...

– Heureusement que ce ne sont pas des pneus...!

– Assurément...! répondit Alcuin qui ne connaissait pas ce mot, en prenant une plume.

– Que fais-tu ?

– Je note. Il me faut encore enrichir mon vocabulaire dans la langue des Francs... Donc, que signifie « pneu » ?

– Cela vient du grec ! Tu connais le grec, tout de même !

– Évidemment : eurêka, feta, gyros, nikos aliagas...! Cependant, je ne vois pas la signification que revêt ce mot dans ton esprit.

– Eh bien... J’ai entendu ça un jour dans la bouche de Hilde, une devineresse en Alsace, qui...

– Je la connais.

– Bon, on va dire qu’il s’agit de quelque poche d’air...

– Hilde ?

– Non, le pneu.

– Très bien, je note... Mais revenons à ces coupes : sais-tu si elles comportent des clous ?

– Je regarderai...

– Maintenant ?...

– Plus tard. Parle-moi encore de cette histoire de clous.

– On dit que ce seraient les clous du Christ...!

– Sacrebleu ! s’écria Charles d’un air faussement étonné.

– Je ne te le fais pas dire ! Rémi aurait fait réaliser 3 coupes. Dans chacune d’elles, aurait été inséré l’un des clous ayant servi à crucifier Jésus.

– Et comment ces clous seraient-ils arrivés dans les mains de Rémi ? Il voulait se reconvertir en charpentier ? demanda Charles sur un ton moqueur.

– Non, mais dans l’église, rien ne se perd...!

– Sauf la virginité !

– Pourquoi oses-tu parler ainsi ?

– Pour rien, pour rien... Peu importe, je suis le roi, j’ai le droit de m’exprimer comme je l’entends !

– Il y a le droit divin...

– Je le laisse à Dieu.

– Mais... tu es chrétien, non ?

– Oui. Mais pas crétin ! Alcuin, je t’ai fait venir en mon palais pour ton érudition et afin de diriger la mise en place de l’instruction dans mon royaume, alors cesse de me raconter des balivernes d’Arverne. J’ai peine à croire à ton histoire de vase de Soisson à 3 clous digne d’une conteuse de bonne aventure ! déclara Charles en levant son doigt puis lui-même de sa chaise. Car il faut savoir qu’au paravent il était assis.

Il marcha de long en large, visiblement un peu énervé par ce nouveau témoignage un brin fabuleux. Sa longue chevelure se soulevait au rythme de ses pas, sous le souffle du vent froid qui s’engouffrait par les fenêtres et dont il n’était plus protégé grâce au paravent puisque celui-ci ne l’avait pas suivi. Vous suivez ?

Alcuin de l’oeil l’observa en silence puis se leva à son tour et, avant de se voir décocher une autre flèche de monarque, prit congé en concluant :

– Crois ce que tu veux, grand roi, je ne parlais finalement que d’une légende...!

Charles avait rencontré Alcuin en Italie. Cet Anglo-saxon s’y était rendu en espérant rapporter des nouilles à York, sa ville natale. Malheureusement, elles n’avaient pas encore été importées de Chine ; l’homme s’était donc recentré sur l’activité ecclésiastique, notamment pour tisser des relations avec la papauté.

Cet érudit, habile et malin, a laissé au cours du règne de Charlemagne une empreinte plus connue des historiens que celle de Nabil dont les écrits seront littéralement effacés par Eginhard avec sa « Vita Karoli » au titre semble-t-il inspiré par Liutfried d’Alsace qui, contraint à la sobriété, se plaignait souvent d’un « Wieder Carola ! ».

Cela dit, revenons à Alcuin. Il aimait aussi le pouvoir mais préférait – quitte à se limiter – l’exercer par la connaissance plutôt que par la force. Sa fonction à la tête de l’enseignement lui permettait ainsi de former l’élite du royaume selon les préceptes chrétiens qui demeuraient crédibles en ces temps où la science n’avait pas encore beaucoup progressé.

Or Alcuin ne voyait pas Nabil d’un bon oeil. Certes, il souffrait de quelque problème de vue, mais pas seulement. Il doutait de la foi chrétienne de cet homme qui trouvait toujours un prétexte pour ne pas aller à la messe. Soit une affaire à régler au bourg, soit une affaire à bourrer en règle, ou encore du texte à transcrire dans le cadre de la biographie royale. Et c’était là, en fait, que blessait le bât : la biographie du roi. Alcuin, devenu l’ami de Charles, nourrissait l’ambition de s’en occuper. Malheureusement, Nabil – arrivé dans l’entourage du monarque avant lui – avait déjà été chargé de cela par l’intéressé comme nous l’avons vu au premier chapitre. Toutefois, Alcuin estimait que, s’il parvenait à discréditer Nabil, il pourrait faire d’une pierre deux coups : préserver Charles d’un mauvais coup et prendre la place de biographe. Il ne savait pas, alors, que le fameux Eginhard allait, quelques années plus tard, occuper cette fonction. De toutes façons, il avait déjà fort à faire avec l’école...

Ceci dit, mon propos n’est pas de vous conter l’Histoire de France officielle mais de vous révéler certains faits relatés dans le Grimagine, ce vieux grimoire, trouvé par hasard dans mon armoire, et dont les pages nous font voyager à travers le passé jusqu’en des temps immémoriaux.

Donc, avant de remonter jusqu’aux origines des hommes aux sapins et autres hommes des tavernes, revenons à Alcuin que l’attitude et l’allure de Nabil préoccupent au plus haut pourpoint.

Pour lui, la seule solution était de faire espionner Nabil.

Il fit alors venir un moinillon de confiance dont le petit oiseau le charmait : le jeune Celse Irque. Le guidant jusqu’à une fenêtre du palais, Alcuin lui indiqua le biographe – que l’on apercevait près de la lice par un concours de circonstances en train de converser avec une damoiselle – et lui tint à peu près ce langage :

– Vois cet homme. Il faut que tu le suives et viennes régulièrement me conter ce qu’il fait. S’il te menace de sévices, ton sang ne doit faire qu’un tour, novice, et tu lui cloueras le bec.

– Il m’a l’air d’être un étranger...

– Il prétend être de Reims, mais j’en doute. S’il reconnaît avoir des parents venus d’Orient, il y a raison de penser qu’il en a gardé les croyances !

– Cela signifierait-il qu’il est dangereux... pour nous ?

– Pour le roi et l’Église !

– J’y vais alors, de ce pas !

– Hâte-toi tant qu’il est encore là... mais sois discret !

Le jeune homme hocha la tête et sortit.

Une femme entra.

– Hilde ? Je ne m’attendais pas à te voir ici ! s’exclama Alcuin.

Moi non plus. C’est toujours un peu embêtant quand un personnage apparaît soudain dans une histoire sans que ce soit prévu. Mais, bon, va falloir faire avec, comme on dit. Écoutons-la.

– Je suis venu mettre Charles en garde car j’ai eu une vision.

– Je t’écoute...

– Tu n’es pas Charles.

– Alors, allons le voir ensemble, belle dame, l’invita le sarcastique ecclésiastique.

Tous deux longèrent les couloirs froids du palais pour rejoindre le logis royal.

Le Magne les accueillit, lui aussi surpris de la présence de Hilde.

– Mon roi, je dois te dire de te méfier...

– De qui ?

– De toi-même.

Alcuin sursauta.

– Que dis-tu là, femme ? s’étonna le roi. J’attendais que tu me dises « D’Alcuin car il n’est pas du coin » ou « Gare à Nabil, c’est un goupil » ou encore « Prends garde à Hildegarde »...

– Justement, il s’agit de ton épouse.

Le roi resta muet et songeur. Cette devineresse était-elle en train d’insinuer qu’Hildegarde le trompait...? Comme si elle avait deviné ses pensées, elle reprit :

– Et tu ne dois pas douter de sa fidélité mais prendre garde à la préserver...

– Quelqu’un chercherait-il à la tenter ou à lui nuire ?

Hilde le regarda un instant de ses yeux noirs sans mot dire ni maudire.

Le roi s’impatienta :

– Vas-tu parler, à la fin ?

– J’ai fait un vilain songe ou m’est apparu Hildegarde criant en donnant le jour à 9 enfants !... Et elle en a perdu la vie !

– Balivernes d’Arvernes ! À-t-on déjà vu femme porter autant de bébés à la fois !?

– C’était un songe. Le songe est un signe, une image de l’avenir, souvent une parabole ! Peut-être s’agit-il, dans ce cas, d’un neuvième enfant, tout simplement. Quoi qu’il en soit, chaud lapin que tu es, tu uses ton épouse en de multiples couches et tu dois prendre garde à la ménager !...

– Bon, dans ce cas, je vais partir massacrer les Saxons, ça lui fera une paix royale pendant quelques temps ; ensuite, nous irons passer quelques mois à Dietenhoven, histoire de se changer les idées... Maintenant, retourne en Alsace, Hilde, et va porter cela à l’Auberge du moulin rouge ; j’ai ouï dire qu’un rejeton y était né de mes oeuvres... commanda le roi en tendant une bourse à la devineresse.

– C’est la vérité ; je l’ai vu et on ne peut s’y tromper : sa tignasse est ornée d’une mèche rousse comme celle de ta barbe ! commenta la femme avant de sortir.

– Il n’est peut-être pas prudent d’aller guerroyer déjà. Ne crois pas tout ce que raconte cette femme ! prévint Alcuin. Seul Dieu est omniscient...!

– Si c’était le cas, nous ne serions pas là, il n’aurait pas créé l’Homme ! déclara le roi, lucide, en riant.

Comme quoi, les guerres tenaient à peu de choses...

Je voudrais profiter ici de cette dernière remarque du monarque pour apporter la précision suivante : dans les écrits historiques, il n’est pas fait mention de paroles à caractère mécréant de la part de Charlemagne ; cela, sans doute, est dû au fait que les témoignages d’époque, communément pris en référence, proviennent essentiellement des écrits d’ecclésiastiques tels que ceux d’Eginhard ou d’Alcuin, bien en mal de par leurs positions et convictions, de pouvoir ternir l’image du personnage. C’est en fait dans le Grimagine, mon ouvrage de référence à moi, que j’ai trouvé trace de certains dialogues et dont je soupçonne, entre autres, Nabil de les y avoir rapportés.

Bon, j’ai l’impression que certains d’entre vous commencent à s’ennuyer, surtout les lecteurs, qui veulent en général de l’action ; les lectrices, quant à elles, sont peut-être plus fleur (de lys) bleue.... En revanche, j’ai constaté que le sexe, ça intéresse toujours tout le monde...!

Malheureusement, je suis obligé de suivre la chronologie des témoignages consignés dans le Grimagine. Et ils sont nombreux ! J’imagine déjà le blé que je vais me faire en rapportant tout ce qui y est consigné !

Mais voilà que je m’égare une fois de plus, comme cela a déjà été le cas dans les autres tomes... Qui a dit « pouce » ? Bon, passons.

Pour en revenir au récit, sachez qu’une fête avait été organisée avant le départ de la troupe pour la guerre en Saxe.

Il y avait là Robert et son accordéon qui mettait l’ambiance en faisant tourner les mouchoirs, la jeune Mathilde qui tentait de se laisser éclater un ballon contre les fesses par son cousin Germain tandis que la Meteor coulait à flots.

Quoi...? Nooooon! Vous y avez cru ?

Mais, bien sûr que tout ça est faux ! Sauf pour la Mathilde qui avait effectivement un cousin germain, chose naturelle au sein d’un peuple germanique.

En vrai, la fête se déroulait dans la grande salle du palais royal. On avait disposé de longues tables en « U » sur lesquelles des guirlandes de coupes et d’assiettes en étain attendaient vins et volailles tandis que les mains s’avançaient vers les corbeilles de fruits pour faire patienter les estomacs.

En face de la tablée centrale, se succédaient, à dextre, acrobates mobiles et jongleurs à trois balles, au centre, sur une estrade carrée drapée de bleu, se produisait une contorsionniste, et à senestre près la fenestre, les ménestrels.

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