Chapitre 3 1/4

3 minutes de lecture

 Les chèvres des grottes sont des animaux à sang froid. Exposez-les à un environnement plus froid qu'à l'accoutumée, et elles s'endormiront paisiblement, entrant en hibernation jusqu'au retour d'une température plus propice à leur organisme... ou jusqu'à leur dépérissement.

Compendium des étranges animaux

 "Si vous avez déjà vu une biquette, vous pouvez dire que vous connaissez les nains : ils sont tous deux poilus, têtus, et, bon sang de bois, ils défendent farouchement leur territoire."

Anonyme

 Lieserl occupait ses journées du mieux qu'il le pouvait.

 Elles commencaient toujours de la même manière. Thrill et lui préparaient le petit déjeuner d'ingrédients que le nain se plaisait à varier chaque jour, dont l'enfant s'émerveillait des goûts et des odeurs. Par là même, il acquit les compétences de bases de la cuisine, bien qu'elles ne dépassent guère le stade de l'ébouillantement de l'eau et de la découpe approximative des aliments.

 Celles de l'archiveur n'étaient pas non plus très avancées. Il laissait souvent cuire les plats trop longtemps - ou trop peu - et oubliait les assaisonnements. Mais cela leur importait peu, car plus que la réussite des recettes, c'était la joie avec laquelle ils les préparaient qui les nourrissaient. Qui alimentaient leur relation, chaque jour plus forte.

 Puis, Thrill devait se rendre à Grand'Arch pour accomplir ses devoirs d'archiveur, laissant seul Lieserl. Au début, il avait trouvé mille-et-une façons de s'amuser dans les vastes pièces du foyer. Il construisait des cabanes de chaises, se défiait à faire le tour de la demeure sans toucher le plancher, transformait chaque objet en arme imaginaire pour lutter contre de féroces dragons. Il s'était même découvert une passion pour la lecture - une capacité qu'il ignorait jusqu'alors posséder.

 Thrill ne s'était jamais formalisé du désordre toujours grandissant qu'il trouvait à son retour. Bien au contraire, la cabane était devenue un endroit propice à la narration de contes effrayants et de légendes perdues avant d'aller dormir, et le nain s'était souvent essayé à l'acrobatique pratique du "Le sol est de la lave !". Qui finissait irrémédiablement en chute spectaculaire, mêlée de fou rire.

 Mais, peu à peu, l'ennui s'était fait ressentir. Ainsi que la solitude. Tous les dragons étaient vaincus, et tous les livres de la bibliothèque avaient été entièrement dévorés.

 Thrill l'avait constaté, furtivement, par la pagaille qui ne croissait plus. Pour pallier à cela, le nain avait alors ramené un cadeau inattendu au jeune garçon.

 En le voyant, Lieserl avait fait les gros yeux, et posé l'éternelle question.

  • Qu'est-ce que c'est ?
  • C'est une chèvre. Une chèvre des grottes. Beaucoup de nains en possèdent, à Grand'Arch. D'ailleurs, aussi loin que remonte notre histoire, elles ont toujours été avec nous. Elles fournissent du lait, de la laine, et puis ça mange toutes les ordures.

 Lieserl s'était approché, et avait tendrement commencé à la caresser. La chèvre lui avait répondu par un bêlement et petit coup de tête approbateur.

  • Je vais la mettre dans le jardin. Tu crois que tu vas pouvoir t'en occuper ? avait demandé l'archiveur.
  • Oh oui !
  • Tant mieux ! Mais d'abord, il faut lui trouver un nom.
  • Un nom ? avait répété Lieserl en réfléchissant. Que penses-tu de Belette ?
  • Belette ? Pourquoi Belette ? C'est une chèvre !
  • Bah oui... c'est joli, Belette, pour une chèvre !

 Thrill avait soupiré, puis haussé les épaules en souriant.

  • Bon, comme tu veux. Va pour Belette !

 Avec ce nouveau compagnon de jeu, et l'accès au jardin, d'innombrables occupations furent révélés, sauvant Lieserl de la monotone routine qui s'installait. Pour un temps.

 Car du contact permanent de l'extérieur et de la ville, à portée des yeux mais proscrit, avait grandi le désir de franchir la frontière que représentait la muraille cerclant la maisonnée. Et d'une envie régulièrement refoulée, l'irraison finit toujours par succéder.

 Lieserl s'était juré qu'il ne resterait que quelques minutes en dehors des limites établies. Il avait agilement franchi la paroi, hésité une dernière fois, puis s'était lancé. Un bêlement avait retenti, presque accusateur à ses oreilles.

  • Ne t'en fais pas, Belette. Je reviens vite, avait-il dit en se retournant. Et surtout, ne dis rien à Thrill !

 Les minutes devinrent des heures, les heures, une matinée. Il avait presque visité la totalité du quartier des habitations, s'émerveillant des constructions naines, épiant les conversations des passants, et savourant sa nouvelle liberté, quand il revint.

 Belette l'attendait, bêlant de joie le retour de son maître. Ainsi que Thrill.

 Sans une remarque, il l'avait invité à déjeuner.

  • Tu n'es pas fâché ? avait demandé timidement Lieserl.

 Un sourire s'était dessiné sur le visage du nain, chassant ses craintes.

  • Non, p'tit bonhomme. Jamais je ne t'obligerais à faire quoi que ce soit, ni ne t'empêcherais à aller là où tu le souhaites.

 Lieserl s'était demandé beaucoup de choses, à ce moment-là. Et s'il allait dans un endroit interdit ? Ou pire, dangereux ? D'où venait la pointe de tristesse qu'il percevait dans les paroles de Thrill ? Mais, pour la toute première fois, il n'en posa aucune.

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