Chapitre 23 : L’arrivée à Scaracande

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 Le voyage par propulsion gravitationnelle était étonnement très stable et peu bruyant. Une fois le tunnel gravitationnel ouvert, le vaisseau fut automatiquement happé à l’intérieur et n’eut plus qu’à se laisser porter par le flot jusqu’à destination.

 Le trajet jusqu’à Koutcha devait durer une douzaine d’heures. Adallia et l’enquêteur en profitèrent pour aller se reposer dans le compartiment des couchettes. BIDI-O, lui, allait et venait pour visiter l’ensemble du transporteur.

 Bien qu’Adallia eût l’impression d’être éreintée physiquement à cause de la téléportation, elle avait aussi retrouvé sa motivation depuis qu’ils avaient quitté Mazabeha. Elle était excitée à l’idée de pouvoir continuer ses recherches et surtout, de se rendre dans un monde cybernétique pour la première fois de sa vie. Elle repensa à toutes ses études et son travail acharné pour en arriver là. Elle avait toujours rêvé de se rendre chez les Cyborgs et allait enfin réaliser son rêve.

 Perdue dans ces pensées réconfortantes et bercée par la légère vibration due à la traversée du tunnel gravitationnel, la jeune femme finit par sombrer dans un sommeil profond.


✽✽✽


 Quand elle se réveilla bien plus tard, Adallia se sentit un peu pataude. Quoique son corps réclamait encore du repos, elle n’avait plus envie de dormir.

 L’environnement du vaisseau était particulièrement tranquille à l’exception de quelques bruits de pas et de chuchotements. La jeune femme s’étira longuement pour faire craquer ses os et tendit la tête pour voir si Kendar Wo-Cysbi était toujours là. À la vue de sa couchette vide, elle en déduit que ce dernier était vraisemblablement parti faire autre chose. Adallia se redressa et consulta son connecteur relié au programme de l’ordinateur de bord du transporteur. Ils n’étaient désormais plus très loin de leur destination.

 Elle voulut écrire un message à Kaïlye pour lui dire qu’ils seraient bientôt en vue de Koutcha, mais une voix intervint inopinément :


 Pas la peine, Adallia, je lui ai déjà écrit, fit BIDI-O en surgissant de nulle part.


 La jeune femme sursauta en l’entendant subitement près d’elle.


 Ah désolé, dit l’Androïde en voyant sa réaction, je ne voulais pas te faire peur.

 Ce n’est pas grave, BIDI-O, lui répondit Adallia en riant. La prochaine fois, essaie d’être plus discret.

 Hahaha, je vais m’y employer.


 Adallia bailla sans ménagement et demanda :


 Sinon, à part cela, tu n’as pas trouvé le temps trop long ?

 Une machine ne s’ennuie jamais, tu sais. Nous n’avons jamais assez de temps pour faire tout ce que nous voulons.

 Contente de l’entendre dire. Et à part visiter le vaisseau, tu as fait quoi ?

 J’ai cherché des Androïdes pour discuter. Mais le commandant du vaisseau m’a dit qu’il n’y en avait très peu qui se rendaient sur Koutcha.

 T’as-t-il dit pourquoi ?

- Le Gouvernement ne donne pas d’autorisation facilement aux Androïdes.

 Hm... Tu es l’exception qui confirme la règle alors.

 On dirait bien. L’équipage était surpris de me voir et m’a posé des questions sur ma présence.

 Tu ne leur as rien dit sur nos recherches, j’espère ? s’enquit nerveusement Adallia.

 Rassure-toi, je leur ai simplement expliqué que j’avais une autorisation spéciale. Ils n’ont pas cherché à en savoir plus quand ils ont compris que je voyageais dans un cadre officiel.


 Adallia se doutait que la Confédération voyait d’un mauvais œil la présence d’Androïdes chez les Cyborgs. La jeune femme espérait que cela ne poserait de problème à BIDI-O lorsqu’ils seraient sur Koutcha.


Au fait, sais-tu où se trouve Kendar Wo-Cysbi ? demanda-t-elle.

 Oui, il est sur le pont d’observation.

 Et si on allait le rejoindre ?

 Entendu.


 La jeune femme et l’Androïde quittèrent le compartiment des couchettes et prirent la direction du pont d’observation situé au dernier étage. En chemin, ils bavardèrent à propos de Kaïlye. BIDI-O lui avait envoyé un long message dans lequel il avait décrit leur périple jusqu’à Koutcha et comment il avait étudié les moteurs à propulsion ionique ainsi que son idée de miniaturiser cette technologie pour les insérer dans des motos-jet. Lui aussi était heureux de voyager si loin et de voir enfin de ses propres yeux robotiques toutes les choses qu’il avait étudiées pendant des années. Kaïlye serait sûrement heureuse de le voir de la sorte, et Adallia se dit qu’elle lui enverrait aussi un message une fois installée sur Koutcha.

 Les deux compagnons discutèrent de leurs impressions sur Mazabeha et des doutes qu’avait exprimés Adallia concernant leur présence en un tel lieu et sur la bonne tenue de leur mission. Comme il l’avait déjà fait auparavant, l’Androïde réitéra à la jeune femme sa conviction de faire ce qu’il croyait être juste et nécessaire. Son approche et sa détermination ne manquèrent pas de conforter Adallia quant à l’objet de leur voyage. En voyant l’expression d’une telle confiance, la jeune femme interrogea :


 Est-ce que tu ressens toujours les effets de tes expérimentations en transrobotique ?

 Je n’ai plus d’absence, ni de voix qui se détraque depuis que j’ai arrêté les tests, répondit honnêtement le petit robot.

 Donc, d’après toi, cela n’a pas eu de conséquences à long terme sur ton principe d’instabilité ? continua de demander Adallia.

 Pourquoi ? Tu penses que j’ai changé ? questionna à son tour BIDI-O qui devinait une arrière-pensée.

 Je trouve que tu es plus sûr de toi maintenant.

 C’est drôle que tu dises cela. Kaïlye m’a fait aussi la remarque avant notre départ.  Si plusieurs personnes te le disent, alors c’est probablement vrai.


 L’Androïde ne répondit pas tout de suite et gambergea sur cette dernière réflexion.


 En fait..., finit-il par dire, j’ai ce que vous les Humains appelaient un « sentiment », bien que cela ne soit pas exactement la même chose.

Qu’est-ce que c’est alors ?

 Je crois que c’est une forme d’inconscient qui est resté en moi, comme une prolongation des prédictions que je développais après avoir pratiqué la démultiplication des corps. Je ne peux pas vraiment l’expliquer, car je ne maîtrise pas ce « sentiment ».


 Adallia demeura muette face à cette inconnue et ne savait pas trop quoi en penser techniquement. En plus de son assurance, elle trouvait que BIDI-O se livrait davantage, ce qu’elle voulait encourager sans trop savoir comment faire. Au moins, elle était certaine que c’était une bonne chose qui l’accompagnât dans son aventure.

 Arrivés au dernier étage du vaisseau, les deux amis sortirent d’un ascenseur et pénétrèrent dans le pont d’observation. Le plafond et les murs étaient transparents pour permettre aux passagers d’admirer la vue extérieure.

 Le tunnel gravitationnel projetait un faisceau lumineux multicolore à travers lequel on distinguait les astres qui se déplaçaient à différentes vitesses. Certains passaient en un éclair sous la forme d’une traînée de lumière tandis que d’autres semblaient stagner dans un décor planté dans le lointain. En raison de la contraction de l’espace-temps et d’un effet de lentille gravitationnelle, l’univers tout entier donnait l’impression de se mouvoir autour d’eux à une vitesse supraluminique et dans un processus constant de déformation. Le spectacle était de toute beauté.

 Adallia et BIDI-O rejoignirent Kendar Wo-Cysbi en train de contempler le phénomène, assis sur une banquette. Tous trois se laissèrent hypnotiser par le ballet de formes et de couleurs qui défilaient dans une atmosphère magistrale et magnétique.


✽✽✽


 Un flash de lumière les sortit brusquement de leur torpeur. Les couleurs du tunnel gravitationnel s’évanouirent en même temps que l’univers reprenait sa forme initiale. La plénitude de l’espace et de ses lumières infinies les enveloppa tout aussi abruptement, et Adallia sentit un frisson la parcourir jusqu’au plus profond de son être. Heureusement, sa sensation de vertige n’eut pas le temps de prendre le dessus puisque son regard fût bientôt porté par un tout nouvel acteur du jeu cosmique.

 Koutcha émergea du néant en un soubresaut tonitruant. La planète-frontière s’afficha d’abord comme un minuscule point qui se mit à grossir à toute allure à mesure que le vaisseau ralentissait et terminait sa course dans l’espace. Pendant un court instant, Adallia eut la sensation d’être projetée en dehors de l’appareil, comme si elle n’allait jamais s’arrêter avant d’avoir percuté la planète. Heureusement pour elle, il n’en était rien. Le son qui avait suivi l’apparition de Koutcha sonnait en fait la fin du voyage par propulsion gravitationnelle. La planète avait cessé d’augmenter rapidement de taille et était désormais à une distance raisonnable pour l’atteindre en utilisant les moteurs ioniques du vaisseau. Adallia était un peu bousculée par cette arrivée en trombe, mais reprit vite ses esprits. La silhouette majestueuse de Koutcha leur faisait face et était flanquée de chaque côté par une boule lumineuse perdue dans le vide spatial.

 Les deux soleils du système dans lequel ils avaient surgi émettaient chacun une lumière blanche presque aveuglante. Malgré la présence d’un écran protecteur sur l’ensemble du pont d’observation, Adallia dut ajuster la luminosité de ses lunettes pour ne pas être éblouie. Kendar Wo-Cysbi plissait les yeux, et BIDI-O était comme ensorcelé par la lumière qui avait envahi toute la pièce, au point que l’éclairage artificiel du vaisseau n’était presque plus perceptible.

 Le rapprochement du vaisseau vers la masse de plus en plus imposante de Koutcha finit par atténuer l’effet d’éblouissement des premiers instants. La planète était somme toute plus grande qu’Adallia ne se l’était imaginée. Elle n’avait pas vraiment fait attention à ce genre de détail quand elle avait l’étudié dans ses recherches ou qu’elle l’avait vue sur des cartes holographiques. Maintenant qu’elle se retrouvait face à Koutcha, la jeune femme se demandait si celle-ci n’était pas aussi grande qu’Ordensis. Peut-être était-ce le sentiment de voyager loin qui lui donnait cette impression. En temps normal, la taille des objets célestes lui faisait prendre davantage conscience de la mesure du vide. Et bien que cela lui faisait tourner la tête, cette fois-ci était différente ; toute l’attention d’Adallia était concentrée sur la surface de la planète.

 Des continents apparaissaient derrière une atmosphère chargée par une couverture nuageuse plus ou moins éparse. Des plaines herbeuses et verdâtres, sans presque aucune autre végétation parcourait les terres. Des mers les séparaient et apportaient une touche bleutée harmonieuse. Ces paysages naturels et épurés étaient familiers à la plupart des espèces biologiques, et on ne s’attendait pas du tout à trouver un environnement si organique dans un monde dominé par les Cyborgs. En voyant cela, Adallia pensa qu’un tel lieu convenait parfaitement à une zone de rencontres intragalactiques.

 La jeune femme distingua également d’immenses champs de force qui émergeaient ça et là de la surface et abritaient différentes cités où des biomes atmosphériques avaient été reconstitués pour abriter les espèces qui occupaient les nombreuses zones de la planète. Dans ces cocons artificiels que l’on trouvait généralement sur les planètes-frontière, Adallia savait que même la gravité avait été modifiée pour convenir à chaque espèce. Le seul endroit exempté d’un complexe de ce genre était une vaste cité dont les structures blanches et bleues cobalt reflétaient les éclats lumineux des soleils de Koutcha. La cité cybernétique des Assegaï prenait la forme de cercles concentriques et de quadrants constitués de diverses ramifications et reliés entre eux par des embranchements de lignes enchevêtrées les unes aux autres.

 Le transporteur vrilla abruptement. L’appareil changea alors sa trajectoire tout en ralentissant et proposa un champ de vision très différent. Il prenait désormais la direction d’une mégastructure annulaire qui gravitait et faisait le tour de Koutcha. Malgré la taille gigantesque de l’anneau, Adallia ne l’avait pas tout de suite remarqué, car ce dernier effectuait une rotation sous différents angles et venait seulement de s’interposer entre leur vaisseau et la planète.

 L’anneau était composé d’un métal gris anthracite dont la surface donnait l’impression d’être complètement lisse. En y regardant de plus près, Adallia y vit une myriade de lignes et de formes géométriques qui se dessinaient et se chevauchaient comme dans la cité cybernétique de la planète. Le dégradé creusé par cet ensemble paraissait un peu plus clair et dévoilait un réseau de canaux et de tunnels où fourmillait une activité énergétique intense.


 C’est un Anneau à cellules dynamiques ? demanda la jeune femme à l’enquêteur.

 Oui, c’est lui qui apporte toute l’énergie à la planète grâce à la transformation du rayonnement solaire. Les Cyborgs partagent leurs ressources afin d’assurer le bon fonctionnement des cités.

 Normalement, ce n’est pas aux espèces de s’occuper de leur propre zone ?

 En principe oui, mais pour les Cyborgs c’est un moyen de garder le contrôle sur toute la planète. Cela évite que les espèces biologiques soient tentées de puiser l’énergie des deux étoiles pour leur propre compte. Une forme de dépendance qui ne dit pas son nom...


 Malgré la dernière remarque de Kendar Wo-Cysbi, Adallia était heureuse de voir un anneau comme celui-là de ses propres yeux. Elle avait abordé ce type de structure avec ses étudiants en cours, mais n’avait jamais eu l’occasion d’en voir un de près. En réalité, il ne s’agissait pas de ce que les Cyborgs pouvait faire de plus impressionnant. Ces derniers cybernétisaient généralement les planètes qu’ils colonisaient, et cet anneau en donnait simplement un avant-goût. La mégastructure constituait pour la jeune femme une forme de frontière mentale, le dernier obstacle à franchir avant de pénétrer dans le monde des Cyborgs. « Tout un symbole » pensa-t-elle.

 Le transporteur s’enfonça lentement dans l’une des stries de l’anneau consacrées au passage des vaisseaux qui souhaitaient se rendre ou quitter Koutcha. Dans cet espace longitudinal, d’autres appareils aux formes diverses les avaient rejoints. La lumière blanche des deux soleils avait entièrement disparue et laissé place à un complexe labyrinthique baroque. Aucune lumière ne filtrait jusqu’ici et pourtant, on y voyait comme dans une grotte qui aurait été éclairée par une forme de vie bioluminesente. Les parois retranscrivaient une ambiance intrigante. Adallia était incapable de trouver l’origine de cette clarté nocturne et se dit que l’énergie utilisée et déployée dans d’autres sections de l’anneau devait en être la source et nourrir une technologie invisible. Un silence de cathédrale régnait. Le vrombissement des moteurs s’était arrêté et les passagers comprirent naturellement que, comme dans le tunnel gravitationnel, le vaisseau se laissait porter par une force extérieure.

 BIDI-O effectuait des va-et-vient à travers le pont d’observation, et Adallia devina rapidement que le petit robot était à la recherche de Cyborgs. Il guettait la moindre anomalie susceptible de trahir une présence cybernétique dans les parages, mais n’eut comme seul retour que le tangage des appareils avec lesquels ils étaient condamnés à défiler dans les méandres obscurs de ce curieux endroit.


 Tu n’en verras pas ici, BIDI-O, lui dit Kendar Wo-Cysbi qui avait également saisi pourquoi l’Androïde se comportait ainsi. Ils sont biens cachés derrière ces murs.

 Oui... répondit BIDI-O, déçu, et en arrêtant de gesticuler.


 De façon presque imperceptible, Adallia sentit que quelque chose d’autre animait ces lieux. Elle n’avait plus ressenti cela depuis de nombreuses années, depuis la première fois qu’elle avait rencontré des Cyborgs et que quelqu’un avait essayé de lire dans sa tête.


 Ils nous observent... dit-elle.


 La luminosité artificielle s’atténua progressivement. La pénombre devint totale, et seuls les vaisseaux flottant dans le vide furent encore percevables par leur éclairage.

 En tournant la tête sur le côté, la jeune femme remarqua quelque chose d’étrange. Un transporteur, absolument identique au leur naviguait à tribord. Pourtant, elle n’en avait vu aucun autre similaire depuis qu’ils avaient décollé de Mazabeha. Finalement, Adallia réalisa qu’il s’agissait du leur quand elle constata qu’il en allait de même à bâbord et que d’autres appareils à proximité se reflétaient aussi sur les côtés. La jeune femme décida de se lever et de voir de plus près. BIDI-O s’empressa de la suivre et se colla à elle, près d’un groupe d’individus qui observaient aussi la scène.


 Qu’est-ce qui se passe, Adallia ?

 Je crois que les Cyborgs matérialisent des réalités virtuelles pour nous analyser.


 Après quelques secondes, les reflets n’agissaient plus comme un simple miroir. Elles se déformaient et produisaient d'infinies combinaisons de motifs symétriques comme dans un kaléidoscope géant. La distorsion de leur propre image, un brin psychédélique, donnait le tournis. Plus personne n’osait bouger, même pas BIDI-O qui devait être pourtant mentalement moins affecté par ces perturbations.


 C’est un peu comme cela que je perçois les choses quand je démultiplie ma conscience, finit-il par dire.

 Je n’en suis pas étonné, fit Kendar Wo-Cysbi qui les avait rejoints. Il s’agit du même principe physique : les Cyborgs utilisent des réalités virtuelles pour nous étudier sur plusieurs plans d’existence.

N’y a-t-il pas de risque qu’ils en apprennent plus sur nous que nous le voudrions ? interrogea Adallia, légèrement inquiète et en restant volontairement vague.

 Rassurez-vous, ils ne peuvent pas voir dans le passé, et ils n’ont pas le droit de pénétrer dans notre intimité cérébrale selon les accords qui ont été conclus avec eux. Si les Assegaï transgressaient cette règle, vous l’auriez déjà remarqué.


 Kendar Wo-Cysbi avait raison. Adallia se sentait observée, mais il ne s’agissait pas exactement de la même manifestation magnético-statique qui l’avait marqué dans sa jeunesse. Dans l’anneau à cellules dynamiques, les reflets et leurs transformations indiquaient que les machines les examinaient sous toutes les coutures afin de détecter une quelconque anomalie dans les informations qui leur avaient été transmises sur les vaisseaux et leurs contenus.

 Par prudence, la jeune femme, l’enquêteur et l’Androïde préférèrent ne plus rien dire, de crainte qu’ils fussent entendus et se révélassent d’eux-mêmes. Comme les autres passagers, ils attendirent patiemment que les ondulations irréelles prissent fin. Puis, survint un bref moment à nouveau dans la pénombre avant que la lumière ne revînt, naturelle et éclatante. Le transporteur émergea de la mégastructure avec douceur et réactiva ses moteurs. Même si les Cyborgs ne pouvaient pas voir le passé, Adallia se dit qu’elle laissait derrière elle et l’anneau un tout autre monde.


✽✽✽


 Le vaisseau avait plongé en direction de l’atmosphère de Koutcha et pointé vers un champ de force qui n’était autre que celui qui abritait la cité humaine de la planète.

 Scaracande était l’avant-garde de la Confédération dans ce secteur galactique, un lieu cosmopolite pour tout aventurier désireux de pénétrer dans un univers différent. Adallia se demandait bien ce qu’elle allait y découvrir, et surtout de savoir si elle y trouverait des réponses à ses questions. Scaracande n’était pas si éloignée de la cité cybernétique située sur le même continent et était proche d’autres entités construites par les espèces biologiques. Un lieu idéal donc, comme le pensait la jeune femme, pour les échanges et, sans doute, pour trouver des objets rares venant de territoires inconnus.

 La descente avait duré encore de longues minutes pendant lesquelles Adallia avait continué à admirer le paysage. Malgré quelques reliefs ténus, la surface terrestre de Koutcha était toujours plate et herbeuse. La traversée du champ de force s’était effectuée sans aucun problème via un système de changement de pressurisation pour les vaisseaux entrant et sortant. Une fois passé ces « écluses de pressurisation », il était possible d’observer plus clairement l’architecture et l’urbanisme de la cité.

 Scaracande s’inscrivait dans le pur style pionner des villes humaines de la Confédération, à savoir une architecture aux plans rectangulaires, aux façades claires et aux murs d’enceinte ornés de fresques pour les bâtiments administratifs de la zone centrale. Les bâtisses populaires et périphériques, elles, étaient composées de structures à colombages collées les unes aux autres et formaient de nombreuses rues étroites. Certains amoncellements donnaient même naissance à des tours qui dominaient légèrement la cité et faisaient penser à celles du Village d'Illys sur Ordensis. L’organisation urbanistique anarchique de certaines zones révélait que la colonisation s’était faite rapidement et pas toujours de manière réfléchie. Scaracande était de taille modeste en comparaison des villes de la Confédération, mais son style frontalier lui conférait un certain charme qui n’était pas pour déplaire à Adallia.

 Le spatioport était situé quasiment à l’entrée de la cité et accessible grâce à des aérogares en forme de cercles construites à l’intérieur même du sol. L’atterrissage final se fit délicatement et sans aucune turbulence, même lorsque le transporteur toucha le sol. L’arrêt des moteurs et du ronronnement des turbines marquèrent la fin du périple. Le petit groupe n’était pas mécontent d’être enfin arrivé. Le sas de sortie à  l’arrière du vaisseau s’ouvrit mécaniquement et laissa pénétrer l’air frais et tempéré de l’extérieur.

 Avant même d’être descendue, Adallia huma avec force l’air qui s’infiltra partout dans l’appareil, sous le regard curieux de BIDI-O qui ne connaissait pas cette sensation. Même s’il s’agissait d’une atmosphère artificielle créée par le champ de force qui entourait Scaracande, l’illusion était totale, et on se serait cru sur une planète habitable pour les Humains. Rien à voir avec l’air pesante que l’on respirait dans les stations orbitales ou les transports spatiaux aseptisés.

 Le petit groupe avança avec le reste des voyageurs et descendit à terre. Des cyber-robots déboulèrent de toute part et s’affairèrent à la maintenance du vaisseau. Des Humains sortirent aussi de l’ouverture qui faisait le tour de l’aérogare pour venir accueillir les passagers. Cela faisait du bien de se retrouver à l’air libre et de se savoir enfin parvenus si loin.

 Au milieu des panaches de fumée que rejetait la carlingue de l’appareil et des accolades de gens qui se retrouvaient, Adallia aperçut un jeune homme qui les fixait. Il portait la même tunique brune surmontée d’un tabard clair que Kendar Wo-Cysbi. Adallia ne fut pas surprise quand le jeune impétrant fit signe à l’enquêteur pour lui signaler sa présence.


  Ils ne peuvent vraiment pas s’empêcher de s’habiller tous de la même façon, glissa discrètement BIDI-O à la jeune femme.


 Adallia sourit d’autant plus à la remarque de l’Androïde lorsqu’elle retrouva plusieurs traits de Kendar Wo-Cysbi chez le jeune homme avec ses cheveux parfaitement coiffés, une fine barbe taillée et un regard qui trahissait son intelligence.


 Bonjour Monsieur, s’enquit l’individu auprès de l’enquêteur en se courbant légèrement. Bienvenue sur Koutcha. Est-ce que vous avez fait bon voyage ?

 Bonjour à toi, Tyrandre. Oui, tout s’est bien passé, répondit aussitôt Kendar Wo-Cysbi qui le salua d’un bref geste militaire. Laisse-moi te présenter ceux qui m’accompagnent.


 L’enquêteur désigna la jeune femme et l’Androïde restés penauds à l’arrière.


 Voici, Adallia l’enseignante-chercheuse d’Ordensis qui a découvert et analysé la peinture sur la « vie cybernétique » et BIDI-O, son collègue Androïde, qui a théorisé ce concept d’un point de vue technique.

 Enchanté, fit le jeune homme en se courbant une seconde fois, imité rapidement par les deux autres protagonistes.

Tyrandre fait partie de la cellule que je dirige au sein du Bureau des affaires cybernétiques, expliqua Kendar Wo-Cysbi. C’est moi qui l’ai formé, et c’est surtout lui qui a retrouvé sur Koutcha la piste des trafiquants que nous surveillons.


 L’enquêteur manifestait une certaine fierté vis-à-vis de son poulain.


 Vos recherches nous ont été précieuses, fit poliment Tyrandre en direction d’Adallia.

 Euh... merci à vous, répondit cette dernière d’un air déphasé. En réalité, je n’ai pas fait grand-chose...

 Ah, ne soyez pas modeste Adallia ! embraya Kendar Wo-Cysbi. Sans vous, nous ne saurions peut-être toujours pas au courant de l’existence de cette peinture, et je n’aurais pas eu l’idée d’envoyer Tyrandre regarder du côté de Koutcha.


 Adallia rougit, mais heureusement, son teint roux atténua la chose. Elle tenta simplement de ne pas faire transparaître le sentiment de chaleur qui lui parcourut le visage. De toute façon, Kendar Wo-Cysbi n’avait rien remarqué, trop impatient d’interroger son agent sur une question qui l’avait taraudé pendant tout le voyage :


 À ce propos, Tyrandre, où en sommes-nous ? Quelle est la situation sur Koutcha ?


 Le jeune agent eut du mal à contenir une grimace.


 La situation n’est pas très bonne, Monsieur...

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