Chapitre 17 : Interdépendance technologique

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 Le retour à l’Académie s’était fait le soir suivant. Adallia avait dormi tout au long du trajet dans la navette à gravitation. La jeune femme s’était réveillée péniblement à l’arrivée et avait quitté Kaïlye après l’avoir chaudement remercié pour cette délicieuse excursion. À la lueur des deux lunes d’Ordensis, elle avait regagné son logement de fonction à la Faculté d’Histoire et s’était rendormi aussi sec une fois affalée sur son lit.

 Malgré une nuit trop courte à son goût, Adallia avait retrouvé son directeur à son bureau le lendemain matin pour discuter de leur demande de programme de recherches. La jeune femme, la tête encore ailleurs, avait tant bien que mal tenté de se concentrer et de ne rien laisser paraître. Et Yu Kiao, fidèle à lui-même, avait déblatéré plusieurs heures sur les détails administratifs et les démarches à suivre pour se présenter devant le comité d’attribution des programmes.

 Gavée par toutes ses informations, le reste de matinée avait continué à être long pour Adallia qui s’était ensuite rendue en classe pour faire cours aux étudiants. Heureusement, ces derniers avaient remarqué la fatigue de leur professeur et l’avait encouragé à faire une pause plus longue qu’à l’accoutumé. La jeune femme avait repris un peu du poil de la bête au moment du déjeuner. Et cela tombait bien puisqu’elle avait rendez-vous avec BIDI-O aux Arènes dans l’après-midi.

 Adallia avait arrangé un entretien entre l’Androïde et Kendar Wo-Cysbi pendant que Kaïlye travaillait encore aux laboratoires du Centre des sciences cybernétiques. Adallia ne voulait pas que son amie fût au courant de cette rencontre et y réagît mal. À l’inverse, BIDI-O, lui, s’était montré très curieux de savoir pourquoi l’enquêteur souhaitait lui parler.

 Pour la jeune femme, c’était aussi l’occasion de discuter à nouveau avec Kendar Wo-Cysbi et d’éclaircir certains points. Elle ne désirait pas aborder tout de suite la question de la censure de Réminiscence, mais attendait de l’enquêteur qu’il fût un peu plus loquace sur l’objet de ses propres recherches.

✽✽✽

 Aux Arènes, le silence régnait dans le stade où avait normalement lieu les courses de motos-jet. Seul le vent qui s’engouffrait entre l’embrasure des gradins émettait un sifflement.

 Adallia y retrouva BIDI-O en train de contempler le jeu de pistes qui serpentait toute la zone. L’Androïde ne bougeait pas, perdu dans ses pensées, Adallia se dit que depuis qu’il avait réussi à transférer sa conscience dans plusieurs machines simultanément, le petit robot n’était plus vraiment lui-même, qu’il était beaucoup moins agité qu’auparavant. Quelque chose semblait avoir changé en lui.

 L’Androïde, qui avait détecté la présence de la jeune femme dès son entrée dans le stade, se retourna lorsqu’elle ne fut plus qu’à quelques mètres.

Coucou Adallia, lui dit-il posément.

Salut BIDI-O.

L’enquêteur n’est pas avec toi ?

Non, je lui ai envoyé un message sur son connecteur pour lui indiquer le lieu de notre rendez-vous. J’espère qu’il va trouver sans trop de problèmes.

 BIDI-O hocha la tête de haut en bas pour signifier que cela ne le dérangeait pas de patienter.

Kaïlye m’a dit que vous aviez passé un très bon moment chez sa tante, formula-t-il.

Oui, répondit Adallia avec un brin de nostalgie dans sa voix. C’était court, mais j’ai vraiment apprécié de visiter l’arrière-pays de Dinaë. Cela m’a permis de me ressourcer un peu, et je crois que j’en avais besoin.

Je te comprends. Tes recherches sont fatigantes et tu dois faire des choix qui sont difficiles. Tu as beaucoup de pression.

 La jeune femme était contente que l’Androïde lui témoignât autant d’empathie. Elle lui dit avec douceur :

Parfois, je me dis que si j’étais un Androïde, je verrais plus clairement ou d’une autre façon quel chemin emprunter.

Tu t’en sors déjà très bien. Et comme tu le sais déjà, je pense que tu devrais poursuivre ce que tu as commencé et aller sur Koutcha. Je sens que c’est la meilleure chose à faire pour toi.

 Une fois de plus, Adallia s’émut des paroles de l’Androïde. Elle ne s‘étonnait plus de la logique et du vocabulaire qu’il utilisait pour s’exprimer comme un Humain. Cette fois, cependant, elle percevait une teinte d’amertume dans le timbre de sa voix.

Tu sais, embraya le petit robot sur le même ton, nous les machines, nous avons aussi nos propres problèmes.

Alors, dis-moi ce qu’il se passe, BIDI-O ; tu n’as pas l’air complètement dans ton assiette.

 L’Androïde baissa la tête, comme il le faisait à chaque fois que quelque chose n’allait pas.

Kaïlye et moi avons établi de nouveaux schémas mathématiques d’après nos dernières recherches en transrobotique, expliqua-t-il. Ces schémas prédisent que je vais subir d’importants dommages au niveau de la mémoire de mes processeurs si on continue nos expériences sur la démultiplication des corps.

Les réalités virtuelles que vous utilisez ne suffisent plus ?

C’est à peu près cela. En fait, plus je deviens réceptif aux ondes à l’échelle quantique, plus leur nombre et leur fréquence augmentent. Ces ondes affectent déjà ma capacité à traiter les informations. À terme, cela pourrait me faire disjoncter.

Kaïlye m’en a déjà parlé un peu. Qu’est-ce qui provoque cela ?

C’est là qu’est tout le problème : nous ne savons toujours pas... Nous n’arrivons pas à identifier l’origine des ondes quantiques. C’est un phénomène physique étrange, une sorte de mécanisme anthropique.

C’est-à-dire ?

C’est-à-dire qu’il n’a l’air de s‘enclencher que quand l’observateur a les capacités techniques pour percevoir ces ondes. Si tel est le cas, Kaïlye souhaiterait pouvoir publier un article à ce sujet. Mais pour pouvoir développer la supraintelligence cybernétique, il faudrait résoudre ce problème d’ondes.

Et qu’est-ce que vous pouvez faire pour remédier à cela ?

Pour l’instant rien, si ce n’est essayer d’en chercher la source.

 Adallia comprenait désormais pourquoi Kaïlye était un peu sur les nerfs dernièrement. Son amie n’était pas rentrée dans les détails de ses recherches, mais aujourd’hui, Adallia voyait bien que l’Androïde était déçu de se retrouver face à cette impasse.

 Au moment où la jeune femme s’apprêta à demander s’il serait toujours possible au petit robot de s’exercer à la démultiplication des corps, les yeux de BIDI-O émirent un léger grésillement, trahissant la détection d’une présence dans les parages. Kendar Wo-Cysbi entra alors dans le stade, accompagné d’un module d’assistance qui l’avait conduit jusqu’ici.

 L’enquêteur congédia le cyber-robot une fois qu’il aperçut la jeune femme et l’Androïde l’attendre.

Désolé, dit-il une fois à portée de voix. Je me suis perdu et j’ai dû demander l’assistance d’un robot.

Aucun problème, répondit Adallia. Je m’excuse de vous avoir fait venir jusqu’aux Arènes. Nous serons au calme pour discuter.

Ne vous excusez pas. C’est plutôt à moi de vous remercier d’avoir organisé cet entretien.

 BIDI-O s’avança vers l’homme pour l’accueillir.

Bonjour Monsieur, fit l’Androïde en guise de salutation. Vous vouliez me rencontrer ?

Bonjour BIDI-O, répondit Kendar Wo-Cysbi, en tendant sa main bionique pour serrer celle du petit robot.

 Adallia pensa que ce geste n’était pas anodin et que c’était une façon pour l’enquêteur de montrer à BIDI-O que lui aussi était en partie robotisé. Il espérait de la sorte instaurer une forme de confiance entre eux. Mais lorsque l’Androïde prit la main de Kendar Wo-Cysbi, il ne bougea quasiment pas la sienne craignant de secouer trop fort.

 Après ce moment lunaire où BIDI-O donna vraiment l’impression d’être un enfant qui apprenait pour la première fois à serrer la main d’un adulte, l’enquêteur lui dit :

Oui, c’est exact, BIDI-O, je souhaitais te rencontrer. Depuis que je suis arrivé sur Ordensis, j’ai entendu parlé de toi à plusieurs reprises. Il semble que ta personnalité te rende différent des autres Androïdes.

Merci, répondit le petit robot, flatté. En réalité, lorsque l’on communique en langage informatique, on se rend compte que chaque Androïde possède sa propre personnalité.

Je n’en doute pas, mais je crois savoir que tu as quand même un petit quelque chose en plus. Tes capacités en transrobotique ont révélé ta résistance au principe d’instabilité.

J’aimerais pouvoir vous dire que c’est le cas, mais nous étions justement en train d’en parler avec Adallia, et je lui disais que j’atteignais moi aussi mes limites, nuança BIDI-O en échangeant un regard avec la jeune femme.

C’est en connaissant ses limites que l’on progresse et que la science avance. Je t’ai vu la dernière fois à la Décharge pratiquer la démultiplication des corps. C’est impressionnant. Tu as déjà atteint un niveau que peu d’Androïdes qui expérimentent la transrobotique dans la Confédération sont capables d’entrevoir.

J’aimerais pouvoir aller plus loin et ne pas décevoir Kaïlye, dit BIDI-O en baissant la tête.

Ne t’inquiètes pas, cela viendra, dit Adallia pour le réconforter. Kaïlye est déjà très fière de tout ce que tu as accompli. Tu vas trouver les solutions que tu cherches.

Elle a raison, dit Kendar Wo-Cysbi en pointant la jeune femme du doigt. Tu finiras par réussir. Ton humilité t’honore et ce n’est pas une vertu courante, même chez les Humains.

Surtout chez les Humains, ironisa le petit robot qui releva aussitôt la tête.

 Sa remarque fit sourire Adallia et l’enquêteur, car tous deux savaient que c’était vrai. Les Androïdes n’en faisaient pas beaucoup preuve non plus en général, mais à l’inverse des Humains, il était rare que les machines expriment une quelconque arrogance.

 Cet instant de frivolité passé, l’enquêteur s’accroupit au niveau de BIDI-O pour lui parler droit dans les yeux.

En fait, dit-il en prenant un air plus grave, j’aurais besoin de te poser des questions sur les effets que les expériences en transrobotique produisent chez toi.

 À l’annonce de cette déclaration, Adallia se tendit. Elle repensa à ce que lui avait dit Kaïlye sur le principe d’instabilité qui pouvait rendre les Androïdes vulnérables.

Qu’est-ce que vous voulez savoir exactement ? demanda BIDI-O.

Je voudrais que tu me décrives la perception de ta propre conscience lorsque tu t’exerces à la démultiplication des corps.

Vous voulez dire d’un point de vue technique ?

Non, je ne désire pas savoir comment cela fonctionne. Je veux que tu me dises plutôt ce que tu ressens à ce moment-là.

 Adallia ne savait pas qui d’elle ou de BIDI-O était le plus surpris par cette question. Bien que confus, l’Androïde s’essaya à la réflexion et formula :

Je crois que le transfert de la conscience et la démultiplication des corps sont deux choses assez différentes. Dans le premier cas, lorsque je me connecte à une autre machine, il n’y a pas d’interruption de ma conscience. Elle est toujours la même.

Et que se passe-t-il quand tu pratiques la démultiplication des corps ? interrogea Kendar Wo-Cysbi, très attentif aux réponses de BIDI-O.

Il y a toujours...

 L’Androïde cherchait les mots pour s’exprimer, mais ne savait pas très bien comment s’y prendre. Même si Adallia restait sur ses gardes et faisait attention à ce que l’enquêteur ne le brusquât pas trop avec ses questions, elle trouvait cela intéressant. Elle n’avait en effet jamais entendu BIDI-O décrire ses impressions lorsqu’il manipulait sa conscience.

Il y a toujours comme un « vide » qui se créé, dit-il.

Un vide ?

Oui, je pense qu’on peut le dire de cette façon. J’ai le sentiment d’être aspiré par quelque chose. Chez les êtres biologiques, on pourrait comparer cela à la sensation de mourir. Cela dure un court instant, le temps que je me transpose dans une configuration différente.

Que veux-tu dire par « configuration différente » ?

Lors d’un transfert de la conscience, ma mémoire s’adapte aux fonctionnalités d’une machine, sans aucune autre forme d’altération. Lors de la démultiplication des corps, j’ai l’impression d’être « ailleurs », dans un autre espace-temps.

Un « méta-espace » en quelque sorte ?

Oui, si on peut dire les choses ainsi. C’est lié à l’utilisation de réalités virtuelles qui augmentent ma mémoire. Je me perçois dans deux corps simultanément.

Donc, pour résumer, tu ressens d’abord un effet d’attraction vers le « vide », après quoi tu adoptes une autre perception de ta conscience, c’est cela ?

Oui.

Parfait, BIDI-O, je comprends. Est-ce que tu peux me dire maintenant à quel moment tu ressens de l’instabilité ?

Si je reste longtemps dans cette configuration ou si je tente de me connecter à plus de deux machines, il y a de nouveau cette impression de vide qui réapparaît. Si je me laisse faire alors je décroche, et après quelques instants je vais revenir à moi-même. Mais si je résiste, ma conscience se perturbe.

Est-ce que tu peux essayer de décrire ce qui t’arrive dans ces perturbations ?

En fait, ma perception se brouille, elle alterne entre différents corps. Et si je ne lâche pas prise, je sens que le vide va m’aspirer et que ma conscience pourrait définitivement disparaître.

 Adallia ne disait absolument rien et écoutait avec beaucoup d’intérêt les explications de BIDI-O. Elle trouvait cela fascinant. Toutefois, la possibilité qu’il se perdît entièrement après une telle expérience donnait des frissons à la jeune femme. La jeune femme se demandait si l’Androïde avait déjà parlé de ses « sentiments » à Kaïlye, ce dont elle doutait, car son amie aurait probablement interdit de continuer quoi que ce fût en transrobotique.

Bien, je te remercie beaucoup pour toutes ces précisions, dit l’enquêteur en se relevant.

Hum... Excusez-moi ! fit brusquement Adallia. Si vous le permettez, j’aurais moi aussi une question.

 Kendar Wo-Cysbi, l’air un peu méfiant, l’enjoignit à l’interroger.

J’aimerais bien savoir pourquoi vous avez interrogé BIDI-O sur ce thème, demanda la jeune femme. J’imagine que cela ne relève pas simplement de la curiosité.

Effectivement, répondit l’enquêteur avec un sourire gêné. En vérité, il y a deux raisons à cela. La première est que le Bureau des affaires cybernétiques souhaiterait savoir quelles sont les transformations qui s’opèrent sur les Androïdes quand ceux-ci s’approchent de la supraintelligence cybernétique. La seconde raison est que nous cherchons à anticiper ce qui se passerait une fois les Androïdes de la Confédération devenus des Cyborgs.

Vous faites référence au principe d’instabilité, n’est-ce pas ? rétorqua Adallia qui souhaitait jouer cartes sur table.

Oui bien sûr. Il s’agit d’une préoccupation majeure pour le Gouvernement central. Il est important de voir à quel point le comportement des Androïdes évoluera une fois qu’ils auront franchi une nouvelle phase de la transrobotique.

Généralement les conséquences de la transrobotique sur leur comportement sont plutôt visibles après un certain temps, pourquoi avoir questionné BIDI-O sur ce qu’il ressent au moment de la démultiplication des corps ?

Parce que c’est à ce moment-là que doivent intervenir les modifications qui vont ensuite affecter la mémoire des Androïdes. L’effet de vide que nous a décrit BIDI-O, par exemple, m’intrigue le plus. C’est ce que des chercheurs, qui travaillent avec d‘autres Androïdes, m’ont aussi fait part. Ils appellent cela « un puits quantique de la conscience ». En réalité, ils n’ont aucune idée de la nature de ce phénomène. Et si j’ai tenu à rencontrer BIDI-O pour en discuter c’est qu’il s’agit du seul Androïde que je connaisse qui a atteint cette phase de la transrobotique sans avoir perdu l’ensemble de ses facultés.

Vous voulez dire que les autres Androïdes qui ont réussi la démultiplication des corps ont été détruits ? demanda BIDI-O, inquiet.

Oui, certains ont vu leurs circuits griller, d’autres se sont complètement désactivés et pour terminer, il y en a qu’il a fallu... mettre hors de danger, expliqua Kendar Wo-Cysbi d’un air désolé.

Est-ce qu’il y a un lien entre ces craintes que vous exprimez sur le principe d’instabilité et le fait que l’École des Théoriciens développe ses relations avec les Humains ? osa demander directement Adallia.

 Cette fois, l’enquêteur n’adopta pas un simple sourire gêné, mais une grimace embarrassée qu’il avait du mal à dissimuler.

C’est un peu complexe... dit-il. Pour être honnête, j’allais vous en parler, car cela a une relation avec le projet de « vie cybernétique ». Mais, sans vouloir être impoli, je préférais ne pas aborder le sujet avec quelqu’un qui n’est pas concerné par cette affaire.

 La jeune femme répliqua immédiatement :

Si vous parlez de BIDI-O, il est parfaitement au courant. Je lui ai déjà raconté ce que je savais. Et pour tout vous dire, c’est même lui qui m’a donné l’idée de faire le lien entre la peinture de Koutcha et la singularité technologique.

 L’enquêteur ne savait plus trop où se mettre et se grattait la barbe. Il hésita un moment avant de se décider.

Bien, si cela peut vous encourager à ce que nous coopérions ensemble, autant vous en faire part maintenant.

 Adallia et BIDI-O furent tout ouïe.

Nous savons pourquoi des Humains collaborent avec l’École des Théoriciens : ils souhaitent que les Cyborgs leur fournissent de nouvelles technologies cybernétiques en échange de leur aide.

Mais quel rapport avec les Androïdes ? s’exclama Adallia.

Comme vous le savez, ces individus que nous surveillons sont des trafiquants, et ils cherchent à développer illégalement de nouvelles améliorations bioniques grâce aux technologies fournies par les Cyborgs.

 Adallia saisit où Kendar Wo-Cysbi voulait en venir. Les améliorations bioniques étaient répandues dans la Confédération. Le plus souvent, on y avait recours en cas de défaillances physiques dues à la vieillesse, à la maladie ou bien à des accidents. L’exemple auquel Adallia pensa instantanément était celui de Yu Kiao et de ses yeux bioniques. Le vieux Sythec avait perdu la vue lors d’une expédition dans un système lointain pour étudier les premières générations de Cyborgs. Adallia ne connaissait pas les détails de l’histoire, mais elle avait entendu dire que Yu Kiao s’était retrouvé au milieu du conflit qui avait opposé les êtres biologiques aux Cyborgs à cette époque.

 Toutefois, les améliorations bioniques ne concernaient pas que les êtres biologiques. En outre, on y avait eu aussi recours pour développer des cyber-robots plus évolués qui reproduisaient cybernétiquement la structure et la composition organiques des Humains. Ces cyber-robots s’étaient ensuite dotés d’une intelligence et d’une conscience à partir des technologies issues des améliorations bioniques, et avaient donné naissance aux premiers Androïdes. Les améliorations bioniques étaient donc directement liées à la transrobotique des machines.

Si de nouvelles améliorations bioniques étaient introduites dans la Confédération, ajouta Kendar Wo-Cysbi, elles pourraient accélérer le processus de transrobotique des Androïdes vers la supraintelligence.

 Adallia et BIDI-O se regardèrent, comme pour savoir ce que chacun en pensait.

Alors, c’est pour cela que vous vous intéressez autant au principe d’instabilité, dit Adallia qui se doutait que l’enquêteur avait attendu pour en parler en raison des problèmes éthiques et politiques que cette interdépendance technologique posait. Pourtant, j’ai du mal à croire que l’École des Théoriciens ait conclu un tel marché. Il n’est pas dans l’habitude des Cyborgs de partager leur savoir technique en matière de cybernétique, surtout avec des trafiquants...

C’est aussi ce sur quoi le Bureau des affaires cybernétiques s’interroge. Dans le doute, nous essayons d’anticiper les conséquences de ces technologies sur la transrobotique des Androïdes en analysant les phénomènes liés au principe d’instabilité.

J’imagine que c’est également pour cela que vous voulez vous rendre sur Koutcha et découvrir quelles sont les intentions de l’École des Théoriciens.

C’est exact, fit Kendar Wo-Cysbi. Et j’aurais, à ce propos, besoin de savoir qu’est-ce que vous projetez de faire. Souhaitez-vous m’accompagner sur Koutcha ?

 Adallia sentit tout à coup le regard pressant de BIDI-O qui cherchait à la pousser à continuer ses recherches.

Oui, ce serait possible, mais il y a d’abord une condition préalable, dit-elle d’un ton mesuré.

Laquelle ? demanda Kendar Wo-Cysbi.

Une telle mission de recherches devra être approuvée par l’Académie.

Cela me paraît parfaitement normal. En fait, Yu Kiao m’a appelé il y a plusieurs jours pour m’avertir qu’une éventuelle coopération entre nous ne se ferait que dans le cadre académique. Il souhaiterait ainsi protéger votre intégrité scientifique et votre liberté d’action. Je respecte évidemment ce point de vue et je n’ai rien à redire là-dessus. Par ailleurs, il m’a demandé de me porter garant de votre sécurité, ce qui va de soi.

 Adallia était contente de l’initiative de son directeur qui, une fois de plus, lui témoignait une grande bienveillance aussi bien pour ses recherches que pour sa sûreté personnelle. N’ayant finalement pas vraiment de doutes quant au choix qu’elle voulait et devait faire, la jeune femme déclara :

Bien. Dans ce cas, il faut attendre que le comité en charge de l’attribution des programmes et des fonds de recherches se réunisse à la fin de la période académique. Si je reçois son aval et obtiens un budget de recherches, je vous accompagnerai.

Très bien, répondit Kendar Wo-Cysbi, satisfait de la réponse. Pour clore cette conversation, je requiers moi aussi une condition, et il est essentiel que vous y accordiez la plus grande importance. Si nous sommes amenés à travailler ensemble, afin que tout se passe bien, vous devrez me rendre compte de vos faits et gestes. Ce n’est pas une situation confortable pour vous, j’en suis conscient, mais c’est la règle préalable à notre collaboration. En échange, je vous aiderai à mener vos recherches à bien. Est-ce que vous acceptez et vous engagez à respecter cette condition ?

 Ayant l’impression d’apposer sa signature sur les termes d’un contrat, Adallia, avec un peu d’appréhension et sous les yeux attentifs de BIDI-O, répondit à l’enquêteur :

Euh...oui, c’est d’accord. J’accepte.

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