Chapitre 10 : La démultiplication des corps

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 Les étudiants de première année s’échangèrent des regards curieux et confus. Le silence régnait et une certaine gêne s’était installée. Voyant qu’aucun d’entre eux ne se manifestait, même pour un simple « non », Adallia répéta sa question en souriant puisqu’elle en connaissait déjà la réponse :

Bon, je vous le redemande : qui a déjà rencontré un Cyborg parmi vous ?

 Encore une fois, personne ne répondit.

C’est bien ce que je pensais... Comment reconnaîtriez-vous alors un Cyborg d’un Androïde si cela se produisait ?

Euh... par l’apparence, osa un étudiant, l’air juvénile.

Bien sûr, fit Adallia, bien que conciliante, aurait préféré une réponse moins naïve. C’est la première chose à laquelle nous allons penser, et c’est donc la réponse la plus évidente. Mais pourriez-vous être plus précis ?

 Aussitôt, la jeune fille aux lunettes qui aimait causer avec Adallia leva la main et prit la parole lorsque son professeur la lui donna :

La structure cybernétique d’un Androïde, tout du moins pour ceux qui sont fabriqués dans la Confédération, s’appuie sur le modèle morphologique et psychique des êtres humains. Leurs composants mécaniques et technologiques sont donc en partie une reproduction de notre composition anatomique et sont fixes. Les Cyborgs, quant à eux, sont constitués de matériaux dits « modulables », c’est-à-dire que certaines parties de leur corps peuvent changer de forme. La souplesse de cette disposition procure aux Cyborgs un aspect plus grand et longiligne que les Androïdes.

Réponse tout à fait excellente. Je vois que les cours de théorie en ingénierie cybernétique que vous suivez en plus des miens portent leurs fruits, dit Adallia avec satisfaction. Effectivement, cette capacité adaptative des Cyborgs est inhérente à leur singularité technologique, et donc à la supraintelligence cybernétique. La conscience des Cyborgs peut intéragir avec la constitution chimique des matériaux de leurs corps, comme si chacun de leur membre étair un centre nerveux à lui-seul, affectant jusqu’à l’agencement de leurs composants. Les caractéristiques de cette modularité sont, toutefois, spécifiques à chaque classe de Cyborgs.

 Adallia marqua une courte pause pour laisser les étudiants noter ce qu’elle disait sur l’écran de leurs connecteurs. Elle reprit ensuite de plus belle :

C’est en réalité le même mécanisme de la conscience, lié à une augmentation considérable de la mémoire des machines, qui préside à la pratique la démultiplication des corps. Et c’est pourquoi je vous ai amené ici, les enfants : pour une démonstration de ce phénomène évolutif.

 Quelques jours seulement après son entrevue avec Yu Kiao, Adallia avait obtenu une autorisation de l’Académie pour emmener les étudiants aux Arènes et leur faire cours en plein-air. BIDI-O, qui se faisait une joie de les rencontrer et se livrer avec eux à une petite expérience, était présent, tandis que Kaïlye s’était attardée au Centre des sciences cybernétiques et allait les rejoindre plus tard. Ils avaient tous les deux briefé Adallia sur ce que l’Androïde était en mesure de présenter aux étudiants et avaient faits les préparatifs la veille.

 La classe était réunie autour d’une piste du stadium, celui près des écuries où étaient entreposées les motos-jet. Le ciel était impeccablement bleu et le soleil tapait fort. Mais heureusement, les longues toiles photosynthétiques étendues sur les toits les mettaient à l’abri de la lumière. BIDI-O avait amené sa moto-jet ainsi que celle de Kaïlye qui avait préalablement donné son accord. Pour le spectacle, l’Androïde et Adallia allaient orchestrer une course.

 BIDI-O tournait tout autour du groupe d’étudiants pendant que ces derniers observaient la carrosserie jaune et rouge de la moto-jet que le petit robot avait lui-même construit. Adallia était sûre de son coup ; elle savait que BIDI-O, aussi bien que les motos-jet, ferait sensation auprès des étudiants.

 La jeune femme s’approcha de la moto gris et vert de Kaïlye et appuya sur un bouton, ce qui fit sortir un cadran avec une interface holographique.

Vous vous demandez sans doute quel est le rapport entre une moto-jet et la démultiplication des corps ? demanda-t-elle faussement aux étudiants. Et bien, voyez-vous, BIDI-O et sa collègue du Centre des sciences cybernétiques ont mis au point un adapteur qui peut être placé dans une moto-jet. Quelqu’un a-t-il une idée de quoi il s’agit ?

Moi, je crois savoir, Professeur, interpella le jeune homme aux cheveux gras et aplatis.

Oui, je t’en prie, dis-nous.

Lorsque nous parlions de transrobotique en cours, vous nous aviez dit que la recherche en supraintelligence cybernétique avait recours à des réalités virtuelles pour mener des expérimentations.

C’est tout à fait cela, rétorqua Adallia. l’adaptateur contient des réalités virtuelles auxquelles BIDI-O peut se connecter et lui permettre de pratiquer la démultiplication des corps.

 Une fois ses explications terminées, la jeune femme lia l’interface de la moto-jet de Kaïlye à son connecteur pour télécommander l’engin. Elle indiqua ensuite à BIDI-O de s’installer. Ce dernier se positionna près de sa moto à lui et sembla rentrer dans un état de stase, comme s’il se figeait sur place. Sa moto-jet émit alors un bruit aigu et continu, révélant qu’il s’était connecté en y transférant sa conscience à distance.

 Les première année, qui pourtant avaient dû déjà voir un Androïde procéder à un transfert de conscience, ne purent s’empêcher de lâcher un certain « oh ! », impressionnés.

Tu es prêt BIDI-O ? interrogea Adallia en scrutant les mouvements des motos-jet.

 Celle de l’Androïde se balança d’un côté à l’autre pour signifier son approbation. Adallia fit alors un geste de recul pour que les étudiants s’éloignassent légèrement de la piste.

 Au signal de la jeune femme, les deux bolides démarrèrent dans un grondement sec et foncèrent tout droit en longeant les tribunes du stadium. Surexcités, les étudiants se mirent à pousser des cris d’encouragements aux deux machines, comme s’il s’agissait d’une véritable course. Pour Adallia, il était moins question ici d’arriver premier que de faire vivre une expérience aux étudiants. Et alors qu’elle manœuvrait précautionneusement la moto-jet de Kaïlye à l’aide de son connecteur, elle s’approcha doucement du corps de BIDI-O, toujours immobile, recroquevillé sur lui-même.

 Adallia attendit que les deux motos-jet eussent fini de prendre un virage serré et se fussent retrouvées côté-à-côte sur une nouvelle ligne droite pour murmurer au petit Androïde :

C’est bon BIDI-O, tu peux le faire.

 Lentement, les yeux de l’Androïde qui avait, jusqu’à maintenant, exprimé un regard totalement vide, sans qu’aucune interférence électromagnétique ne s’y affichât, se mirent de nouveau à bouger. Les milliers de capteurs optiques qui composaient sa rétine bleue exaltèrent des nuances lumineuses. Le corps du petit robot finit par se redresser dans son ensemble et à effectuer des mouvements de va-et-vient, de l’avant vers l’arrière.

Whoah ! BIDI-O bouge ! s’écria naïvement une étudiante en le pointant du doigt comme si c’était la première fois qu’elle le voyait se mouvoir.

 Les autres étudiants virent à leur tour l’Androïde s’animait tout en continuant à maintenir la trajectoire de sa moto-jet sur la piste de course.

Comment fait-il cela, Professeur ? demanda l’étudiante. Les Androïdes ne sont pourtant pas capables de contrôler plusieurs corps en même temps...

Les réalités virtuelles de l’adaptateur augmentent la mémoire de BIDI-O qui peut davantage utiliser de ressources, expliqua Adallia. Il duplique ainsi sa conscience dans la moto tout en gardant le contrôle de son propre corps.

 Adallia se réjouissait de voir ses étudiants épatés par la prouesse de BIDI-O, car il s’agissait bien là d’une performance. D’abord, parce qu’elle montrait que le petit robot et Kaïlye avaient beaucoup progressé dans leurs recherches et que leur adaptateur avait fini par fonctionner. Ensuite, parce qu’il s’agissait d’une véritable étape de franchie dans la compréhension technique de la supraintelligence cybernétique.

Est-ce que cela signifie que BIDI-O peut désormais devenir un Cyborg, Professeur ? questionna tout à coup une étudiante.

Cela signifie que sa singularité technologique évolue. Cependant, il n’est pas certain qu’il puisse devenir un Cyborg à ce stade. Cela nécessiterait qu’il subisse des modifications plus poussées au niveau sa mémoire afin de contrôler davantage de corps. Et comme vous pouvez le voir, même si BIDI-O peut bouger, il n’est pas parfaitement stable et ne peut pas faire ce qu’il veut, il doit toujours rester concentré pour en arriver à ce résultat. Chez les Cyborgs, cette capacité ne nécessite aucune concentration, ils le font naturellement.

De tels changements modifieraient-il sa morphologie ?

Hm... J’imagine que oui, mais je crois que c’est une question qui devrait être posée à vos professeurs d’ingénierie plutôt qu’à moi. Ce que je peux vous dire, c’est qu’il faudrait s’intéresser à la nature des matériaux que les Cyborgs utilisent pour leurs composants. Grâce à la colonisation de nouveaux systèmes, les Cyborgs ont accédé à de nouvelles matières premières qu’ils ont transformées et dont on ne connaît pas toujours le processus. Et comme je vous l’ai expliqué aux début de ce cours, la démultiplication des corps réside aussi dans la capacité des machines à rendre leur matériau modulable et à...

 À cause de sa mauvaise habitude à gesticuler sans cesse et de parler en même temps, Adallia n’avait pas réalisé qu’elle avait cessé de contrôler la moto-jet de Kaïlye depuis son connecteur. La moto piqua soudainement vers le côté, au détour d’un autre virage, et dessina une courbe qui fit faire demi-tour à l’engin, et le sortir de piste. Les étudiants avertirent alors leur professeur de ce qui se passait.

 Adalla, qui s’était préalablement tournée vers eux pour énoncer le contenu de son cours, fit volte-face. Elle aperçut la moto-jet se précipiter à toute vitesse vers la structure d’une plate-forme métallique montée au centre de l’arène et destinée aux spectacles d’animation des courses. La jeune femme, les yeux écarquillés derrière ses lunettes, tenta de reprendre le contrôle du bolide, mais l’interface holographique du connecteur avait glissé sur un autre programme. Dans la panique de voir la moto-jet de Kaïlye se fracasser sur les piliers d’acier de la structure, Adallia n’avait pas réussi à revenir sur l’écran de pilotage.

 L’impact était imminent. Cependant, au dernier moment, la moto-jet dévia de sa trajectoire et vint reprendre la direction normale de la piste tout en décélérant. Adallia eut un léger passage à blanc. Finalement, elle comprit qu’elle ne devait ce petit miracle qu’à BIDI-O qui s’était à nouveau figé sur place et avait réussi à prendre le contrôle de la seconde moto-jet en plus de la sienne.

 Quand l’Androïde gara enfin les engins au point de départ et qu’il revint à lui-même, Adallia accourut vers le petit robot.

Comment tu as fait ça, BIDI-O ?! interrogea la jeune femme, ébahie.

— La moto-jet de Kaïlye est également équipée d’un adaptateur.

— Vous en aviez fabriqué un deuxième ?

Exact. Nous voulions voir si je pouvais me connecter à deux motos-jet simultanément, expliqua succinctement le robot en ne bougeant presque pas. Malheureusement, nous n’avions pas réussi, car en temps normal, lorsque je suis déjà connecté à une machine, je ne perçois pas les signaux de l’autre.

Donc, tu n’étais jamais parvenu à faire cela auparavant ?

Tu as tout compris. Mais cette fois c’était différent. Pendant la course, même quand tu avais encore en main la moto de Kaïlye, je pouvais capter les signaux de son adaptateur.

Comment est-ce possible ?

— Je n’en sais rien, avoua l’Androïde, tout aussi perplexe. C’est comme si ma conscience devenait plus sensible et que mon champ de perception s’affinait.

Hm... En tout cas, c’est vraiment épatant ce que tu viens de faire, BIDI-O ! s’exclama Adallia, admirative des progrès réalisés par l’Androïde. Je te dois une fière chandelle. Sans toi, je ne sais pas comment j’aurais fait...

J’imagine la tête de Kaïlye si elle retrouvait son G-Force en pièces détachées, plaisanta le petit robot.

 Les étudiants se précipitèrent vers BIDI-O pour le féliciter de son haut fait. Pendant qu’ils l’acclamèrent, l’Androïde s’était brutalement immobilisé. Le petit robot semblait comme marqué par une absence. Devant son manque de réaction, les étudiants l’appelèrent ou claquèrent les doigts devant son visage en espérant le faire réagir. Adallia s’agenouilla au niveau de sa tête et le héla à son tour :

BIDI-O... Eh ! BIDI-O, tu m’entends ?!

 Aucune réponse de l’Androïde. Adallia fut encore plus inquiète en réalisant que la lumière de ses yeux avait cessé de pétiller et que son regard n’exprimait plus rien. Instinctivement, elle le secoua bêtement en espérant que quelque chose se passât. Et contre-toute attente, une voix grésillante retentit :

Ne fais...pas...............................................

...............pas...............................................

Neeee.....paaaas...ça.................................

................paaaas...ça................................

................pas.............................................

Ne fais.......................................................

.............................ça, s’il-te-plaît, Adallia.

 À son grand soulagement, la jeune femme vit que le petit robot était revenu à lui.

 Bien qu’ils avaient trouvé cela étrange, les étudiants n’avaient pas mesuré ce qui s’était passé, croyant probablement que le changement de voix était dû aux secousses d’Adallia. Les élèves exultèrent quand BIDI-O se remit à se mouvoir normalement et congratulèrent l’Androïde pour avoir sauvé la seconde moto-jet.

 Le cours était visiblement un franc succès pour les étudiants, mais leur professeur ne décrochait pas du regard de BIDI-O. Adallia était encore envahie par le sentiment de l’avoir perdu. L’Androïde, par contre, ne semblait guère avoir été gêné par l’évènement et proposa même aux élèves de s’essayer aux motos-jet, comme si rien ne s’était passé.

✽✽✽

 Adallia avait continué le reste du cours tout en gardant un œil sur les étudiants et la moto-jet afin qu’ils ne l’abîmassent pas, surtout après qu’elle-même eût failli fracasser l’engin. Pour terminer, la jeune femme laissa ses élèves profiter de BIDI-O pendant les dernières minutes. De toute façon, elle n’avait plus vraiment la tête à enseigner, trop préoccupée par cet épisode surprenant avec l’Androïde.

 À la fin du cours, les étudiants remercièrent chaleureusement leur professeur et le petit robot pour cette activité pédagogique et ludique. Ils insistèrent auprès d’Adallia pour organiser de nouveau une séance avec l’Androïde quand il serait disponible. BIDI-O n’émit aucune objection à leur requête et Adalia leur promit de faire une autre activité dès que possible.

 Enfin, les étudiants quittèrent les lieux pour aller assister, dans une autre partie de l’Académie, à une réunion à laquelle devaient se joindre tous les première année. Adallia se retrouva seule en compagnie de BIDI-O et des deux motos-jet qui avaient été placées sur le côté en attendant de les remettre dans leur écurie. Le petit robot qui, apparemment avait passé une très bonne journée, roulait sur la piste et avait remarqué qu’Adallia l’observait depuis un bout de temps déjà, déconcertée.

Cela ne va pas, Adallia ? demanda-t-il innocemment.

 Elle fut encore plus troublée à l’énoncé de sa question.

Tu ne te souviens de rien, BIDI-O ?

De quoi exactement ?

Tout à l’heure, après la course, tu es resté pendant quelques secondes sans aucune réaction. Comme si tu n’étais plus là...

Encore ? Je comprends mieux les secousses maintenant...

« Encore » ? Tu veux dire que ce n’était pas la première fois ? demanda Adallia, confuse.

Non, c’est au moins la cinquième. Cela m’arrive parfois quand je reste connecté à une moto-jet pendant un certain temps.

Tu n’en es pas conscient ?

Non, pour moi, c’est comme s’il ne s’était rien passé. Je n’ai pas vu la différence entre le moment où je me suis déconnecté pour garer les motos-jet et le moment où tu m’as secoué. C’est toujours quelqu’un d’autre qui me signale ce qui m’est arrivé.

Qu’est-ce qui produit cela d’après toi ?

C’est comme pour le reste, je n’en ai aucune idée, Adallia. J’imagine que c’est lié au fait que je m’améliore dans la démultiplication des corps. À ce propos, c’est un grand pas en avant. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, jusqu’à aujourd’hui je n’avais jamais contrôlé deux motos-jet en même temps.

J’imagine que oui... mais....

 Adallia ne savait pas bien si BIDI-O choisissait de fermer volontairement les yeux sur ce qui se passait ou bien s’il était totalement inconscient des dégâts et des conséquences que cela pouvait engendrait sur lui.

 Voyant qu’elle était perdue dans ses pensées, l’Androïde s’avança vers elle et tenta de la rassurer :

Adallia, je sais pourquoi toi et Kaïlye vous vous inquiétez pour moi. Mais je ne suis pas un être biologique, je n’ai pas la même perception de la disparition des choses. Vous, les Humains, associez la mort à un processus de dégradation et à une fin ; pour nous les machines, c’est différent, nous nous percevons dans des états d’existence qui se superposent selon notre degré de conscience.

Je comprends... reconnut à demi-mots la jeune femme.

Je crois qu’il faut prendre le risque, ajouta le petit robot, et puis, je reste toujours plus facile à réparer qu’un Humain.

 Adallia sourit à ce dernier constat tout en gardant une expression un peu désolée.

C’est vrai, toutefois si quelque chose de grave t’arrivait, rien ne pourrait garantir que ta singularité technologique originelle reviendrait et qu’on te récupérait avec ta propre conscience et ta personnalité.

C’est vrai, mais je crois que c’est ce qu’il faut faire, car cela répond à une réalité qui nous dépasse et à laquelle nous devons tendre.

Qu’est-ce tu veux dire par là ?

C’est comme pour toi et tes recherches, tu ne sais pas exactement sur quoi tu vas tomber, mais tu as l’impression d’avoir découvert quelque chose d’important qui te sera utile plus tard. Les choses que nous ne savons pas ont toujours vocation à être découvertes. C’est notre source d’énergie commune.

 Adallia était touchée par les paroles du petit robot. Ce qu’il disait était à la fois profond et juste. Venant d’un être cybernétique capable d’exprimer une telle pensée, la jeune femme ne pouvait opposer aucun argument. Elle voyait dans ses propos un lien entre les êtres biologiques et cybernétiques ; elle décelait également une autre forme de logique qu’elle n’arrivait pas à nommer. Une logique cybernétique qui était aussi bien réaliste que positive, ce qui était chez les Humains beaucoup plus difficile à appréhender.

 Des bruits de pas derrière eux annoncèrent la venue de quelqu’un et lorsqu’Adallia se retourna, elle aperçut Kaïlye qui arrivait nonchalamment et accéléra le pas à leur approche.

 Adallia se sentit un peu embarrassée en repensant au fait qu’elle avait failli briser la moto-jet de son amie. Heureusement, elle savait que BIDI-O ne vendrait pas la mèche.

Ah mince, j’arrive un peu tard ! s'exclama Kaïlye, déçue de ne pas avoir pu assister au cours. Je suis désolée, je ne pensais pas que j’allais être retenue aussi longtemps au Centre.

Pas de problème, BIDI-O a parfaitement assuré le show aujourd’hui, rassura Adallia.

Tu ne devineras jamais ce que j’ai réussi à faire ! se hâta d’annoncer l’Androïde, légèrement enorgueilli.

 Kaïlye les regarda interloquée. Adallia lui raconta l’exploit du petit robot qui avait réussi à se connecter aux deux motos-jet. Elle oblitéra volontairement certains détails comme l’incident avec l’un des bolides et le fait que l’Androïde avait eu une « perte de connaissance » momentanée. De toute façon, Kaïlye était trop subjuguée par ce qu’avait accompli BIDI-O.

Je n’en reviens pas ! dit-elle. Je ne pensais pas que ce serait possible aussi vite.

Il semble que sa mémoire ait passé un cap, conclut Adallia.

C’est vrai. Toutefois, je perds le contrôle de mon propre corps dans ce cas-là, souleva l’Androïde.

C’est quand même la première fois que tu te connectes à deux machines simultanément ! fit remarquer Kaïlye, fière de lui. Il faudrait qu’on retente l’expérience pour enregistrer les données et les comparer avec les précédentes. Cela nous permettrait de voir plus précisément comment tu peux capter l’adaptateur de l’autre moto pendant que tu pilotes la première.

Je suis d’accord, il faut retenter l’expérience.

 Voyant que Kaïlye avait subitement changé d’expression et paraissait soucieuse, BIDI-O ajouta :

Ne t’inquiète pas, je vais faire plus attention, lui dit-il

Il vaut mieux. Désormais, cela risque d’être plus dangereux pour toi, BIDI-O. Tu le sais, n’est-ce pas ?

Oui...

 Adallia interrogea du regard son amie pour mieux saisir de quoi elle parlait.

Ce que vient de faire BIDI-O est prévisible dans les théories de la Cybernétique sur la singularité technologique, expliqua placidement Kaïlye. Mais c’est aussi généralement le moment où le principe d’instabilité des Androïdes est le plus manifeste. Si cela se passe mal, BIDI-O pourrait avoir des difficultés à retrouver le contrôle de son propre corps ou de toutes ses facultés. Il pourrait perdre le contrôle de sa conscience...

J’ai saisi, répondit Adallia, qui mesurait désormais l’enjeu.

 Soudain, tandis que les trois protagonistes s’observaient et cherchaient quelque chose de réconfortant à se dire, le connecteur d’Adallia se mit à clignoter.

C’est Yu Kiao ! dit la jeune femme, étonnée. Il est en train de m’appeler.

Ah, tiens, comment va cette vieille branche ? fit Kaïlye sur un ton amical et contente de pouvoir changer de sujet. Cela fait longtemps que BIDI-O et moi ne l’avons pas vu.

Il va bien. Il a été pas mal occupé ces derniers temps, rétorqua Adallia sans rentrer plus dans les détails.

Il faudrait qu’on l’invite un de ces quatre, cela pourrait être sympa de le revoir.

Je suis sûre qu’il en serait ravi.

 Adallia s’éloigna de quelques pas pour répondre à l’appel. La voix mal réglée de son directeur retentit dans tout le stadium, ce qui obligea la jeune femme à en diminuer le volume.

Adallia, est-ce que vous m’entendez ? demanda Yu Kiao de sa voix rauque.

Je vous entends parfaitement, et vous, Professeur ?

Pareillement. Je suis navré de vous déranger dans vos activités. J’avais quelque chose d’important à vous faire part.

Aucun problème, je vous écoute.

Il se trouve que je suis dans mon bureau avec la personne du Gouvernement central dont je vous ai parlé la dernière fois.

Pardon !? s’étonna Adallia qui ne s’attendait pas du tout à cela.

Oui, continua Yu Kiao sans prêter attention à la surprise d’Adallia, je l’ai contacté il y a quelques temps et il m’a confirmé sa venue sur Ordensis. Il est arrivé hier et est d’accord pour discuter de vos recherches avec vous.

Oh ! ne put s’empêcher de lâcher Adallia, l’air hébété, et ne sachant pas trop si elle devait être en colère que son directeur ne l’eût pas informé plus en amont. Et... euh... j’imagine que je dois le rencontrer également ?

Tout à fait, mais c’est lui qui viendra à vous. J’ai une réunion tout à l’heure avec l’administration de la faculté, je lui ai donc dit qu’il pourrait venir vous retrouver à la fin de votre cours, cet après-midi. Je vais lui indiquer la localisation de votre salle de classe, si vous êtes d’accord.

Bien... entendu, fit la jeune femme, qui, après une certaine hésitation, était bien décidée à en savoir plus sur cette visite incongrue.

 Une fois l’appel terminé, Adallia retourna en direction de ses amis. Elle vit alors que Kaïlye et BIDI-O la regardaient et, après avoir entendu toute la conversation, se demandaient bien ce qui pouvait se tramer.

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