Chapitre 3 : Les conseils de Yu Kiao

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 Après avoir répondu consciencieusement à plusieurs questions posées par les étudiants, Adallia leur expliqua qu’ils évoqueraient plus en détail, au cours prochain, les liens d’intérêts qui pouvaient rapprocher le monde des êtres biologiques de celui des êtres cybernétiques. Le cours était désormais fini, et la jeune femme se sentait passablement fatiguée. Bien qu’on ne lui avait pas attribué beaucoup de classes avec lesquelles travailler, son enseignement s’avérait intense.

 Pendant que les étudiants sortaient dans le brouhaha et que l’assistant technique désactivait le matériel pédagogique et commandait l’ouverture des rideaux pour laisser passer la lumière naturelle, Adallia se mit à regarder à travers les longues fenêtres de la salle. Il lui restait encore quelques minutes de répit avant d’aller voir son directeur de recherche qui lui avait demandé seulement quelques heures auparavant de venir le voir à son bureau. En attendant, elle comptait bien en profiter pour se reposer un peu.

 Dehors, l’atmosphère était chaude et humide. On pouvait distinguer les différents bâtiments et tours aux teintes orangées et dorées de l’Académie qui s’étendaient à des kilomètres à la ronde. Plusieurs biomes naturels, pour la plupart composés d’une végétation luxuriante et touffue, marquaient les différentes aires des facultés. Adallia aimait cette planète, Ordensis, et son soleil rougeâtre lointain et scintillant, qui donnait toujours une impression tropicale et qui encourageait le développement d’une faune et d’une flore variée.

  Dans le ciel, des nuages localement orageux, habituels en fin d'après-midi, parsemaient l'horizon et laissaient deviner des traînées de pluies se dirigeant des montagnes, à l'est, vers la côte, à l'ouest. Quelques vaisseaux sortaient et disparaissaient à l'intérieur des amas nuageux pour quitter ou rejoindre différente couches atmosphériques ; d'autres, volant plus bas, reliaient les continents d'Ordensis.

 Au sol, l’Académie grouillait de vie. Le bruit des navettes à sustentation magnétique, le service de monorail de l’Académie, filait à toute vitesse sur les viaducs installés au sein des diverses facultés, et dont certains tronçons rejoignaient la capitale planétaire, située beaucoup plus loin derrière les montagnes. C’est ce qu’Adallia aimait particulièrement ici, ce dynamisme universitaire en perpétuel mouvement, le tout dans un cadre idyllique.

✽✽✽

 Il était désormais temps de partir. Le bureau de son directeur se situait dans la Faculté d’Histoire où elle se trouvait déjà ; ce n’était pas loin, mais il fallait marcher un peu. Adallia soupira, déçue ne pas pouvoir continuer à contempler le paysage. Elle retourna vers le bureau et empoigna sa sacoche avec ses affaires. La jeune femme jeta un dernier coup d’œil autour d’elle pour être sûre de n’avoir rien oublié et quitta la salle.

 Elle longea le couloir extérieur et prit par le nord avant de déboucher sur une sortie qui s’ouvrit comme un sas de dépressurisation. Aussitôt, la chaleur humide d’Ordensis parcourut le visage d’Adallia tandis que la lumière soudaine l’aveugla. La jeune femme activa la fonction de protection anti-soleil de ses lunettes et poursuivit son chemin. Heureusement pour elle, la géante rouge autour de laquelle orbitait la planète était trop éloignée pour nécessiter de porter plus de protection. « En même temps, se dit Adallia en pleine réflexion, personne n’aurait jamais eu l’idée d’installer une académie ici si l’environnement ne s’y prêtait pas ».

 Elle arriva sur une esplanade blanche garnies d’arbres exotiques typiques d’Ordensis avec de grandes feuilles vertes en forme d’éventail bilobé. Sur l’esplanade, des groupes d’étudiants se dirigeaient vers les bâtiments qui abritaient les salles de classe. Les première année couraient, craignant d’être en retard à leur prochain cours ; les étudiants plus âgés, eux, traînaient du pied et rigolaient sur le chemin des études. Le plus souvent, ils étaient en train de boire ou manger des denrées achetées sur les marchés qui pullulaient un peu partout et qui servaient de lieux de rendez-vous. Les différentes couleurs des uniformes étaient relatives aux facultés auxquelles les étudiants appartenaient. Dans la Faculté d’Histoire, le rouge foncé prédominait, mais quelques autres couleurs étaient également visibles.

 Les tuniques longues surmontées d’un tabard, caractéristiques de la Confédération, s’expliquaient par le fait que l’Académie d’Ordensis avait été créée pour former les jeunes Humains aux relations diplomatiques. Ces derniers devaient un jour constituer les futurs gardiens qui assureraient la paix entre la Confédération et les autres espèces. Les êtres cybernétiques, dont Adallia s’évertuait à expliquer le monde aux étudiants, n’étaient, par ailleurs, pas considérés comme des espèces à proprement parler puisqu’ils n’étaient pas issus d’un phénomène biologique. Mais leur conscience inhérente à la singularité technologique leur avait valu le droit d’être reconnu comme appartenant la « famille des êtres intelligents ».

 Adallia se retrouva vite perdue au milieu de l’agitation estudiantine. Elle n’était pas encore tout à fait au point avec l’environnement de l’Académie. La jeune femme décida donc de se diriger vers l’une des bornes de service qui servaient à entreposer des modules d’assistance, semblables à l’assistant technique utilisé précédemment en cours.

 Juste après avoir scanné le code de professeur situé sur le badge de son connecteur, un écran holographique émergea de la borne. Vocalement, Adallia demanda une « recherche d’itinéraire avec assistant ». Elle aurait pu utiliser son connecteur, mais un cyber-robot lui servant de guide serait encore plus efficace.

 La borne libéra l’un des modules qui s’éleva à sa hauteur.

Destination ? fit le cyber-robot d’une voix grisonnante.

Bureau du Professeur Yu Kiao, fit Adallia.

 Le module ouvrit alors la route en direction d’un bâtiment à coupole. Là, flottaient des orbes qui projetaient des hologrammes où était indiquée une multitude d’informations concernant le quotidien de l’Académie. Les activités du jour, les nouvelles importantes ou encore les résultats des recherches des différentes facultés abondaient sur les écrans. D’autres hologrammes animés représentaient des publicités destinées à faire la promotion de la Faculté d’Histoire via la présentation des équipes de chercheurs et de leurs travaux. « Pourvu que j’y sois un jour » se dit Adallia, un peu dépitée.

 Le module poursuivit son chemin et l’emmena à travers plusieurs étages du bâtiment à coupole qui renfermait un ensemble de bureaux modernes qu’Adallia ne connaissait pas. Plus loin, ils empruntèrent une passerelle qui enjambait un petit jardin, et arrivèrent dans un autre immeuble fourmillant d’étagères où étaient entreposés des livres numériques et des objets de différentes civilisations. Ici, Adallia pouvait se repérer ; elle savait qu’elle était arrivée aux bureaux des départements de la Faculté d’Histoire. Une fois parvenue dans l’une des ailes du bâtiment, Adallia commanda donc au module de la laisser et de retourner à sa borne initiale.

 Contrairement au reste de l’Académie, ici tout respirait l’ancien, à la fois par l’architecture intérieure qui reconstituait des structures antiques, et d’autres part, en raison du mobilier qui obstruait les couloirs et les étagères. Il y régnait un certain silence avec peu de personnes la majorité du temps, ce qui permettait de s’isoler et de se plonger dans ses réflexions.

 Adallia serpenta entre des sculptures en ronde-bosse cachées sous des bâches en plastique à moitié transparentes avant de déboucher sur un corridor étroit où des modèles de robots était fixés aux murs, lui indiquant qu’elle était arrivée au Département d’Histoire du monde cybernétique.

 La jeune femme se retrouva face à une grande porte en bois un peu vieillotte où un petit cartel doré avait été fixé et sur lequel on pouvait lire : « Bureau du Pr. Yu Kiao ». Adallia frappa à la porte, mais personne ne répondit. Elle glissa la tête dans l’entrebâillement et demanda :

Professeur ? Vous êtes là ?

 Instantanément, une voix rocailleuse provenant de l’arrière de la salle, où se trouvait la bibliothèque de son directeur et qui était en partie masquée par un haut paravent, se fit entendre :

Ah oui, entrez, Adallia ! J’arrive tout de suite.

 Adallia s’assit sur une chaise, en face du bureau. Elle posa ses affaires à côté d’elle et observa des fragments d’œuvres d’art qui traînaient sur la table et dont elle n’était pas familière. Cela semblait étrange, la jeune femme ne comprenait pas ce que de tels objets pouvaient faire ici. De plus, c’était le désordre tout autour ; des papiers et des boîtes traînant çà et là au sol. Mais cela, elle en avait l’habitude.

 Soudain, une petite silhouette large se dessina derrière le paravent en faisant bouger les étagères autour d’elle.

Bonjour Adallia, désolé de vous avoir fait patienter, marmonna l’individu.

Aucun problème, répondit la jeune femme en souriant et en jetant un regard en direction de la bibliothèque.

 La silhouette s’extirpa de la collection de livres, puis s’en alla s’asseoir derrière le bureau. Yu Kiao était un habitant originaire d’Ordensis : un Sythec. Les Sythecs étaient des Humains correspondant à une catégorie mutante. Cela signifiait qu’ils avaient évolué dans des environnements stellaires différents pendant de nombreux cycles, et qu’en conséquence, ils avaient développé leurs propres caractéristiques morphologiques.

 Dans le cas des Sythecs, la forme humanoïde était parfaitement distincte, mais plusieurs parties de leurs corps comme les oreilles, les yeux ou les bras et les jambes avaient tendance à être plus étirés que chez les Humains classiques. D'autres changements pouvaient survenir et varier d’un individu à l’autre comme par exemple la couleur de peau qui prenait le plus souvent des teintes foncées. La musculature était aussi généralement plus prononcée que chez les Humains classiques. Les Sythecs avaient autrefois colonisé des planètes et travaillé sur des installations stellaires en orbite autour d’étoiles massives dont ils avaient cherché à capter l’énergie. Cette proximité avec les énergies stellaires intenses avait modifié leur génome. Les Sythecs s‘étaient installés par la suite sur Ordensis comme lieu de villégiature avant d’en faire leur planète-État.

 Contrairement à beaucoup de Sythecs, Yu Kiao n’était pas très grand. En fait, il était même plutôt petit, mais ses bras, eux, étaient longs et minces. L’ensemble de sa peau était recouverte d’une corne naturelle qui le protégeait contre les rayons du soleil et lui conférait un teint verdâtre. Une petite touffe de cheveux blancs bouclés coiffait sa tête tandis que de très grandes lunettes bioniques étaient directement implantées au niveau des yeux. Lunettes dont il s’amusait le plus souvent à augmenter ou diminuer le volume des lentilles selon ses besoins. Une longue barbichette descendait également de son visage, et Adallia se demandait si elle n’allait pas un jour touchait le sol.

Comment se passent vos premiers cours, Adallia ? demanda-t-il d’une voix bienveillante et en posant une boîte sur son bureau, aux côtés des fragments d’art.

Très bien, je dois dire. Et vous, Professeur, comment allez-vous ?

 Comme à l’accoutumé, il ne répondit pas à cette question ; de toute façon il allait toujours bien. Il se contenta de poursuivre avec une voix plus grave :

Je vous ai fait venir, car j’aurai besoin que nous parlions de vos travaux.

 Adallia se crispa légèrement. Elle savait qu’elle n’avait pas beaucoup avancé et qu’elle manquait de données. Ici, c’était elle l’étudiante.

Oui..., répondit-elle simplement en sachant un peu ce qui l’attendait.

Je ne vais passer par quatre chemins Adallia, il vous faut des éléments concrets si vous voulez évoluer au sein de cette académie.

Je comprends, mais je suis arrivée il y a seulement quelques temps, tenta-t-elle se défendre.

Je le sais bien. Cependant, vous vous êtes lancée sur un sujet peu commun qui nécessite d’avoir des résultats rapides pour pouvoir le défendre devant les membres du comité d’évaluation. Et croyez-moi, je les connais bien ; ils ne sont pas faciles. Surtout dans notre branche, vous n'êtes pas sans savoir que l’Histoire du monde cybernétique, est plutôt perçue avec un certain manque de considération.

Oui, Professeur…

 Découvrant Adallia la tête baissée, Yu Kiao se radoucit un peu et lui dit :

Je vous ai choisi pour ce poste, car je crois que vos recherches ont un intérêt tout particulier, et je suis là pour vous accompagner et vous aider dans vos analyses.

Je vous en remercie.

Mais encore faut-il s’en donner les moyens et chercher là où il y a matière à étudier, insista le Sythec.

 Il était vrai qu’Adallia se décourageait un peu trop facilement. À chaque fois que ses recherches n’allaient pas dans son sens, elle avait tendance à marquer le pas pendant de longues semaines. C’était d’autant plus vrai que, maintenant, elle devait préparer les cours pour les étudiants et avait une bonne excuse pour laisser de côté ses recherches.

Résumons les choses, si vous le voulez bien, fit Yu Kiao en même temps qu’il manipulait la boîte posée sur son bureau et en sortait de vieux instruments tirés de sa réserve. En tant qu’historienne, vos précédents travaux vous ont conduit à analyser l’émergence de l’École des Théoriciens chez les Cyborgs. Vous aviez, à l’époque, pointé l’idée que leurs rapports aux autres espèces, initiés par les Assegaï, leur avait permis de se structurer au sein d’une même communauté cybernétique.

 Son directeur marqua une pause, trifouillant les fragments d’art posés sur le bureau qu’il essayait, difficilement et en ronchonnant, d’emboîter dans ses instruments sans que Adallia ne comprît ce qu’il cherchait exactement à faire. Puis, une fois l’entreprise réussie, il reprit calmement :

Cette analyse est aujourd’hui validée par les faits. Cependant, vous désirez aller plus loin en affirmant que l’étude des espèces biologiques par les Assegaï contribue à la création d’une culture cybernétique.

Oui, c’est cela, approuva Adallia.

Je reconnais l’intérêt et l’originalité de votre point de vue, soutint d’abord son directeur avant d’y ajouter un bémol. Mais jusqu’à présent, votre argumentaire est un peu vide.

Non, ce n’est pas tout à fait vrai, rétorqua Adallia d’une voix plus assurée. D’une part, je m’appuie sur la façon dont les Cyborgs appliquent des théories scientifiques formulées par les êtres biologiques pour étudier par exemple les phénomènes de transformation de la matière baryonique. D’autre part, je démontre que les Cyborgs cherchent à se catégoriser eux-mêmes en différentes classes d’après des niveaux de conscience qu’ils établissent, et non plus uniquement en se basant sur des fonctions techniques comme nous avons l’habitude de le penser.

 Yu Kiao fixait attentivement Adallia de ses grands yeux bioniques noirs d’un air sévère et en même temps sage.

Je comprends votre propos, Adallia. mais ce n’est pas suffisant. Cela l’est d’autant moins que vous vous appuyez essentiellement sur vos recherches précédentes et que, en réalité, vous restez, paradoxalement et presque exclusivement, dans le domaine de la technicité. Il vous manque des exemples plus concrets et adaptés, et c’est pour cela que vous n’avancez pas. Vous comprenez ce que je veux dire ?

Pas très bien, Professeur, admit Adallia, un peu désappointée.

C’est simple, vos recherches actuelles ne constituent pas des preuves légitimes de la mise au point d’un système culturel par les Cyborgs.

Dans ce cas, comment faire ?

Je vous propose une autre approche. À défaut de pouvoir se mettre à la place des Cyborgs et de partir directement de leur point de vue, il nous faut au contraire partir de notre propre conception culturelle, et voir ensuite si on trouve des équivalences dans le monde cybernétique.

À quoi pensez-vous exactement ?

 Yu Kiao interrogea :

D’après vous, quelle est la plus grande manifestation physique d’une culture chez les êtres biologiques ?

Euh... je ne suis pas très sûre. Peut-être... l’écriture ?

En fait, il s’agit de l’« art » dans le sens humain du terme ; l’écriture en est une forme d’expression.

De l’art ? Mais comment les Cyborgs pourraient-ils développer une culture à partir de cela ? Ils ne produisent pas d’image de ce genre...

La conscience chez les Cyborgs, comme chez les êtres biologiques, répond à une vision paradigmatique ; il serait donc intéressant de voir comment celle-ci se construit et participe à un imaginaire collectif. C’est une approche constructiviste de votre sujet qui permettrait de mieux conprendre les normes qui régissent les relations et les interactions des Cyborgs.

Désolé, mais où voulez-vous en venir ? demanda Adallia, perplexe.

 Voyant que la jeune femme était un peu dubitative, Yu Kiao lui fit signe de regarder de plus près l’objet qu’il tenait dans les mains. Adallia se pencha sur le bureau afin de mieux discerner de quoi il s’agissait.

Observez ce fragment de frise que j’ai placé dans ce restaurateur accéléré d’images, fit le directeur en appuyant sur un bouton pour scanner le bas-relief devenu presque imperceptible à certains endroits.

 L’instrument reconstitua une image en trois dimensions qui s’afficha sur le bureau, juste devant le visage d’Adallia. La « restauration » révéla une infinité de détails minutieusement taillés dans la frise, probablement avec des outils très perfectionnés, qui laissait entrevoir un travail d’une incroyable précision.

 Adallia ne savait pas exactement ce que cela représentait, mais elle croyait distinguer de nombreuses lignes qui se chevauchaient et engendraient des formes de fractales.

C’est, ce que nous les Sythecs appelons, un « artefact précurseur », continua Yu Kiao. Ce sont des objets inspirés de notre imaginaire et constitutifs de notre culture. Il s’agit ici de la représentation iconographique d’un concept métaphysique. Les Sythecs se représentent en effet l’univers non pas comme un objet à l’intérieur duquel ils sont, mais comme une source d’énergie extérieure inépuisable. Il est difficile de se représenter une telle conception à partir du moment où nous nous trouvons à l’intérieur de l’univers, n’est-ce pas ? Alors, quoi de mieux qu’une image pour illustrer une idée abstraite ; c’est le principe même de l’iconographie.

 Adallia observait consciencieusement le dessin. Pourtant, là aussi, elle avait des difficultés à entrevoir ce dont parlait son directeur.

Plus précisément, on appelle cette figure un « arbre à énergie », expliqua Yu Kiao. En réalité, il faudrait plutôt parler d’« arbre à fractales » puisqu’il est question de figures géométriques qui se répètent. La particularité de cet arbre est qu’à certains embranchements d’itération, de nouveaux éléments apparaissent et créent des formes différentes en donnant une apparence générale similaire à celles des branches d’un arbre. Les fractales symbolisent ici des sources d’énergie qui se renouvelent à l’infini et en donnent naissance à de nouvelles, de la même façon que nous, les Sythecs, concevons l’univers comme une source d’énergie sans cesse regénérée.

C’est joli, dit Adallia de sa voix douce pendant qu’elle admirait les courbes qui avaient l’air de bouger.

Ce fragment de bas-relief appartenait à un ensemble sculptural beaucoup plus grand qui prenait justement la forme d’un arbre. Ici, sur ce fragment, on ne peut observer qu’une partie des branches. Il provient d’un temple consacré à la naissance des cycles naturels qui a été construit par les Sythecs sur Ordensis. Un confrère du Département des Études sythecs me l’a prêté pour que je puisse vous le montrer. Autrement dit, vous pouvez constater une chose importante, Adallia : encore plus que les textes, les images appuient un propos, une vision du monde, surtout si elles véhiculent des concepts métaphysiques et abstraits, car c’est plus facile de croire quand on peut voir.

Donc, vous me conseillez de regarder comment les Cyborgs étudient l’art des espèces biologiques, c’est cela ? demanda Adallia qui commençait à comprendre où son directeur voulait en venir.

En effet, répondit stoïquement Yu Kiao. Puisque les images sont le véhicule qui permet de matérialiser et de comprendre les cultures, les Assegaï doivent probablement étudier l’art présent chez les autres espèces. Ils pourraient s’en inspirer pour conceptualiser et formuler ensuite des paradigmes propres aux Cyborgs qui leur serviront à communiquer.

 En même temps qu’Adallia se demandait comment cet artefact avait atterri à l’Académie d’Ordensis, probablement subtilisé sur le temple en question, et qu’est-ce qui avait conduit ces images à se fragmenter et à se détériorer si durement, elle sentait un étrange sentiment monter en elle. Le sentiment qu’elle avait peut-être perdu du temps en ne cherchant pas de la bonne façon, ni au bon endroit. Cela faisait partie de la recherche, elle le savait, ce n’était en réalité pas la première fois qu’elle était décontenancée par l’orientation que devaient prendre ses travaux. Elle comprenait maintenant la logique de son directeur qui élargissait sa démarche au-delà des sciences pures.

Je ne m’y connais pas en iconographie... dit-elle d’un air candide.

Bien sûr, rétorqua Yu Kiao en souriant, mais vous pourrez toujours trouver des spécialistes sur la question. Identifiez d’abord les images qui intéressent les Assegaï dans leurs études des espèces biologiques, puis essayez de savoir ce qu’ils en font.

Je comprends, Professeur, fit Adallia, résolue à persévérer. Je vais chercher de ce côté-là.

Bien, répondit Yu Kiao qui caressait du bout des doigts sa longue barbichette, trahissant sa profonde réflexion. Vous avez toute ma confiance.

 En sortant du bureau, et en laissant son directeur vaquer à ses occupations, Adallia repensa à tout ce que ce dernier venait de lui expliquer. Son raisonnement était déroutant d’un certain côté, mais en même temps, Yu Kiao avait toujours été de bon conseil. La question était maintenant de savoir comment s’y prendre.

 De toute façon, l’après-midi était terminée, et Adallia se dit qu’elle verrait tout cela plus tard dans la soirée. Elle se sentait désormais moins fatiguée, et voulait prendre l’air. C’était justement le moment d’aller dîner.

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