Chapitre 1 : L'échelle de la Singularité

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 Le bruit de ses pas résonnait le long du couloir de dalles marbrées qui menait à la salle de classe. Adallia était en retard. Elle préféra ne pas regarder les bustes des éminents chercheurs qui jalonnaient son chemin. Pourtant, la jeune femme ne pouvait s’empêcher de se demander s'ils avaient aussi l'habitude d'arriver à la dernière minute et si elle se montrait digne d'eux ou au contraire, qu’elle n’était pas à leur hauteur. « Ce n’est pas le moment », finit-elle par se dire.

 Adallia arriva dégoulinante de sueur devant la grande porte en bois. En bonne professionnelle, elle rajusta ses lunettes qui lui glissaient sur le nez et ramena ses longs cheveux roux et bouclés sur le côté. Après s’être essuyé le front et avoir agité sa main pour espérer se procurer un peu d’air frais, elle agrippa fermement ses affaires rangées à la va-vite dans sa sacoche et ouvrit la porte d’un pas décidé.

 Ce n’était pas tant son retard qui la contrariait, car il ne s’agissait que de trois pauvres petites minutes, que le risque (ou le fait) qu' un autre étudiant puisse, après la classe, la dénoncer en le rapportant à l’administration. Être en retard à un cours à l’Académie était considéré comme une faute grave, mais de façon très hypocrite, on tolérait la faute tant qu’elle n’était pas systématique, et surtout que le fautif n’était pas pris sur le vif. Autrement dit, dénoncé par quelqu’un. La stratégie consistait donc en un subtil jeu où le professeur montrait aux étudiants qu’il assumait son retard à travers une forme d’assurance incombant à son statut d’enseignant, mais qu’en même temps, il ne dupait personne et qu’il fallait respecter les autres en n’en faisant pas trop.

Bonjour tout le monde, je vous prie de m’excuser pour le retard, dit la jeune femme, avec un rictus qui trahissait sa difficulté à appliquer cette stratégie dans les faits.

 Adallia ferma la porte et jeta un rapide coup d’œil vers les étudiants qui, tout sourire d’avoir gagné quelques minutes de répit, lui répondirent par un « bonjour » et d’autres par un « pas de problème ». « Bien, se dit-elle en marchant en direction du bureau, au moins ils semblent plutôt de bonne humeur ».

 La salle était grande et possédait plusieurs mètres de hauteur sous plafond. Les murs sur l’un des côtés étaient recouverts de longues fenêtres verticales quadrillées qui donnaient sur l’extérieur. Adallia installa ses affaires sur le bureau situé devant les longues tables des étudiants et démarra le projecteur d’hologrammes. Elle observa également, du coin de l’œil, les élèves avec une certaine bienveillance. Ils étaient un peu plus d’une vingtaine, tous assis derrière leurs tables et leurs écrans avec leur uniforme de l’Académie taillé sur mesure. La jeune femme pouvait voir rien qu’à leurs visages qu’il s’agissait de première année. Beaucoup semblaient joviaux, voire un peu naïfs, et jouaient avec leurs connecteurs intégrés à leurs bras ou bien discutaient entre eux.

 C’était le début de la période académique et la première fois qu’Adalllia devait enseigner à cette classe; la jeune femme appréhendait légèrement la rencontre. Elle allait leur exposer aujourd’hui les bases de son cours avant d’espérer pouvoir approfondir son sujet les séances suivantes. Elle allait, de la sorte, titiller leur fibre cognitive et les sensibiliser à un domaine avec lequel ils n’étaient, pour la plupart, pas très familiers.

 Adallia avait été chargée des cours optionnels d’histoire du monde cybernétique pour les étudiants de première et deuxième années en plus de mener ses propres recherches. Cela lui convenait très bien. Non seulement il s’agissait de sa spécialité, mais on lui accordait également une certaine flexibilité dans le contenu de ses cours, ce qui lui permettait d’y intégrer des éléments de sociologie, et même, parfois, de philosophie.

 Avant d’arriver à l’Académie, la jeune femme n’avait eu que très peu d’expérience dans l’enseignement. Le plus dur pour elle était d’apprendre à gérer des étudiants dans une classe. L’autorité n’était pas son fort, et elle ne voulait pas non plus jouer les tutrices pour « gamins ». Fort heureusement, l’Académie avait bonne réputation et les étudiants étaient d’un bon niveau ; Adallia savait que la majorité d’entre eux était autonome et n’avait pas besoin d’être prise en main. De plus, comme il s’agissait de cours optionnels, les classes restaient assez petites, et il était plus aisé d’en garder le contrôle.

 En fait, la jeune femme désirait aborder les étudiants comme le ferait une grande sœur. Elle-même avait tout juste la trentaine et un air un peu juvénile avec ses yeux verts derrière ses lunettes rondes et ses quelques taches de rousseur éparpillées sur ses pommettes. Elle pensait que même si on lui reprochait d’être un peu trop souple avec certaines règles, elle n’avait pas l’intention de s’énerver et de s’esquinter la santé ; d’autres professeurs plus stricts le feraient à sa place. Elle espérait donc, autant que possible, installer une atmosphère chaleureuse en classe.

 Le temps que les étudiants se préparassent psychologiquement au début du cours, Adallia en profita pour avaler une pastille minéralisée qu’elle sortit de sa sacoche pour rafraîchir son corps.

 Bien que les fenêtres fussent fermées et que la température ambiante de la salle fût gérée automatiquement, il semblait que l’atmosphère était devenue davantage lourde ; la jeune femme était un peu plus rouge de visage qu’à l’accoutumé. Probablement était-ce l’effet de la gravité ; après tout, celle-ci était plus forte sur cette planète, Ordensis. Et Adallia, qui était arrivée seulement quelques temps auparavant, ne s’y était pas encore complètement habituée.

 Dans la vie quotidienne, cela ne posait pas de problème, mais lorsque son corps requérait un certain effort sur une longue durée, comme en classe ou lorsqu’elle venait de presser le pas par exemple, la jeune femme avait du mal à tenir la distance. Les cours n’avaient commencé que depuis quelques jours, et il lui faudrait encore un moment afin que ses muscles ne s’endurcissent et s’adaptassent à ce nouvel environnement. Par ailleurs, l’élégance de ses quelques rondeurs ne jouait pas ici en sa faveur ; mais elle se dit que ce serait justement l’occasion pour perdre un peu de poids.

 La pastille, qui était le plus souvent recommandée aux nouveaux arrivants habitués à des gravités plus faibles, fondit aussitôt dans sa bouche et libéra des cristaux liquides qui la firent se sentir soudain plus légère.

 Adallia, ayant retrouvé son teint normal, décida de débuter son cours.

Bien, les enfants, dit-elle d’un ton ironique et le sourire aux lèvres, nous allons commencer.

 Les étudiants mirent fin à leurs discussions et la regardèrent avec un mélange contrasté de lassitude et de concentration. Adallia descendit de l’estrade où se trouvait son bureau et s’approcha avec délicatesse des premiers rangs.

Je m’appelle Adallia Nalanda et suis votre professeur d’Histoire du monde cybernétique, ici à l’Académie d’Ordensis, entreprit-elle, les mains moites et en tentant de contrôler le timbre de sa voix pour ne pas trahir son anxiété. Je ne suis pas originaire de cette planète, et j’imagine que pour vous, comme moi, il s’agit d’un tout nouvel environnement.

 Adallia pouvait voir que ses mots réconfortants rassuraient les étudiants et lui attiraient une certaine sympathie de leur part. En effet, même s’ils avaient commencé à lier quelques amitiés entre eux, beaucoup venaient tout juste d’arriver et n’étaient pas encore très familiarisés avec les us et coutumes de l’univers académique, qui plus est si loin de leur foyer. En outre, les étudiants venaient des quatre coins de la Confédération, ce qui pouvait aussi bien les rapprocher lorsque leur curiosité était éveillée ou, au contraire, les rebuter lorsqu’ils faisaient face à une certaine incompréhension.

 Adallia enviait quelque part cette forme de novicité ; même si elle était bien contente d’avoir grandi et étudié au cœur des systèmes de la Confédération, elle savait aussi qu’une certaine conception de l’univers lui avait été imposée. C’était l’une des raisons qui l’avaient poussé à venir travailler à l’Académie d’Ordensis, car cette institution était située dans une région excentrée et bénéficiait d’une plus grande flexibilité dans ses recherches scientifiques. Par ailleurs, les régions stellaires à proximité d’Ordensis étaient calmes d’un point de vue politique de même que l’environnement naturel immédiat ne souffrait d’aucun danger comme la présence d’étoiles instables. Pour un professeur, c’était le lieu idéal où s’adonner à l’enseignement et la recherche.

Dès aujourd’hui, reprit-elle, tel un chef d’orchestre remuant les mains pour indiquer aux étudiants le bon tempo, nous allons rentrer dans le vif du sujet et aborder la question cruciale de la dimension technique inhérente à l’univers cybernétique et de son développement dans le temps.

 À l’aide d’une commande vocale intégrée à son connecteur au niveau du poignet, Adallia appela un module d’assistance de cours. Une petite boule métallique rotative se détacha d’une des étagères encastrées sur le mur de droite et vint se placer près d’elle, au niveau de la tête.

Commençons par le commencement, continua-t-elle. La question est simple mais mérite d’être posée : sur quel phénomène se base le développement de la cybernétique ?

 En chœur, les étudiants répondirent d’un retentissant : « La singularité technologique ».

Bien sûr ! lança Adallia, heureuse de voir une telle réactivité. Mais quelqu’un peut-il m’expliquer exactement de quoi il en retourne ?

 Comme elle s’y attendait, tous les étudiants baissèrent la tête et s’échangèrent des regards pour voir si quelqu’un allait s’y risquer.

 Afin de leur éviter cet embarras, Adallia commanda à la petite boule de fermer les rideaux de la salle et de faire apparaître entre le bureau et les tables, via l’écran central, la première image de sa base de données. Aussitôt l’ordre émis, un hologramme prit forme et afficha le contenu du cours devant les étudiants. Une version plus petite de l’hologramme apparut ensuite sur les tables.

Le développement de la cybernétique est le fruit d’une singularité technologique, continua-t-elle. Il s’agit d’une accélération de la technicité dans le domaine de l’intelligence artificielle qui a permis, à travers plusieurs phases successives, de donner naissance à différentes machines capables d’abriter cette intelligence. On parle d’ « échelle de la Singularité » pour désigner ces différentes phases.

 La jeune femme pointa du doigt l’hologramme central où figuraient des modèles d’informatiques archaïques.

Quelle que soit la catégorie de machines, dit-elle, nous avons généralement tendance à parler de « robot » par abus de langage. Mais en réalité, ce mot désigne surtout un aspect rudimentaire de l’intelligence artificielle : la programmation. Celle-ci peut être mécanique ou bien informatique. Dans ce cas, nous devrions plutôt parler d’« intelligence robotique » pour renvoyer à tout objet reproduisant simplement des actions pour lesquelles il a été programmé. C’est le cas par exemple des plus anciennes générations d’appareils que vous pouvez voir à l’écran. Cette définition correspond à la première phase de l’ échelle de la Singularité.

 Adallia demanda ensuite d’afficher un genre de machine plus avancé et signifia aux étudiants :

La seconde phase est celle de l’« intelligence cyber-robotique ». C’est elle qui a permis de passer à ce que nous appelons les « cyber-robots », et donc à une certaine autonomie chez l’intelligence artificielle. Concrètement, est-ce que quelqu’un connaît le point commun et la différence entre un robot et un cyber-robot ? tenta-t-elle à nouveau auprès des étudiants.

 Une élève aux lunettes carrées, qui se tenait bien droit et qui était en train de réfléchir d’un air sérieux, se proposa cette fois de répondre :

Ce sont tous les deux des machines qui accomplissent les actions qui leur ont été assignées, dit-elle avec assurance. Mais la différence est qu’un cyber-robot peut imaginer une solution pour réaliser ses tâches, alors qu’un robot classique n’en est pas capable et se contente de suivre les instructions qu’il reçoit.

C’est juste, fit Adallia, satisfaite de la réponse. L’éventail de possibilités chez un robot est limité, son unique paradigme est celui des tâches qu’on lui attribue. Sa constitution technique ne lui permet pas de voir au-delà de ce que nous choisissons de lui montrer. En revanche, chez un cyber-robot, l’intelligence est plus flexible, car ce type de machine est capable de regrouper des données dans le cadre de ses programmes pour élaborer une nouvelle action. À condition bien sûr que cela n’entre pas en contradiction avec les tâches pour lesquelles il a été programmé.

 Adallia fit signe de regarder en direction du module d’assistance qui se tenait à ses côtés.

L’assistant technique est justement un cyber-robot. Pour bien comprendre de quoi il en retourne, prenons un exemple. Parmi ses programmes, il m’est possible de lui demander d’aller trouver quelqu’un dans une autre salle du bâtiment pour quérir une information. Cependant, imaginons un instant que je verrouille les différentes issues de la pièce, que ferait l’assistant technique dans cette situation ?

Il essaierait de trouver une solution pour sortir et accomplir la tâche que vous lui avez demandé de faire, fit la même étudiante.

Tout à fait. Un robot classique, à moins qu’il soit programmé pour ouvrir des portes, resterait impuissant face à cet obstacle. Mais un cyber-robot pourrait envisager diverses possibilités et prendre des initiatives comme par exemple me signaler directement le problème et me demander tout simplement de lui ouvrir la porte, expliqua Adallia.

 Après une brève pause, et tentant d’anticiper les questions qui pouvaient lui être posées, la jeune femme ajouta :

N’allez toutefois pas imaginer que l’assistant technique irait jusqu’à casser une vitre pour sortir de la classe. Non, les possibilités qu’il peut concevoir restent limitées aux champs d’actions pour lesquels il a été programmé, dont la gestion du matériel de classe. C’est un assistant de bureautique, pas une machine de guerre, ironisa-t-elle.

 Tous les étudiants fixèrent le petit robot qui flottait dans les airs en se demandant s’il aurait assez de force pour briser une vitre, même s’il le voulait.

Mais dans le cas des cyber-robots, peut-on parler pour autant d’êtres cybernétiques ? poursuivit soudainement Adallia pour ne pas perdre les étudiants en cours de route.

Non ! répondirent à nouveau à l’unisson les étudiants.

Bonne réponse, fit remarquer leur professeur. Ce sont des robots autonomes, ils ne sont toutefois pas indépendants ; cela signifie qu’ils n’ont pas de volonté propre et sont donc dénués de conscience. Il n’est donc pas possible de parler d’« être cybernétique » au sens ontologique du terme.

 Adallia marqua à nouveau une pause pour voir si les étudiants comprenaient ce dont elle parlait, et vit avec plaisir qu’ils attendaient la suite.

Il est possible, en revanche, de parler d’« êtres cybernétiques » pour les machines issues de la troisième phase de l’ échelle de la Singularité. Il s’agit de l’« intelligence cybernétique ». Cette phase se caractérise par l’émergence de la conscience chez les machines, c’est-à-dire du fait qu’elles sont capables de concevoir leur propre existence indépendamment de leurs créateurs. Grâce à cela, l’intelligence artificielle se suffit à elle-même et est capable d’assurer sa propre existence. Est-ce que quelqu’un sait comment cette conscience est atteinte ?

 La même étudiante aux lunettes carrées leva la main pour se signaler. Adallia aurait préféré quelqu’un d’autre pour changer, mais se résigna à lui laisser la parole.

La conscience apparaît chez les machines lorsque leur intelligence leur permet de concevoir des informations qui n’ont plus de lien avec leurs programmes.

Tout juste ! C’est une forme d’emballement de la singularité technologique. Les machines réalisent dans un premier temps des possibilités qui dépassent le champ de leurs programmes. Puis, le phénomène s’accroît à mesure que de nouvelles informations sont assimilées, jusqu’à changer le paradigme même des machines, c’est-à-dire leur vision du monde, et leur fasse prendre conscience d’elles-mêmes. Cette accélération technique ne se produit qu’à partir d’un certain degré de l’intelligence cyber-robotique.

L’intelligence est donc un outil de la conscience ? interrogea l’étudiante.

C’est cela, un outil qui conditionne la perception du monde.

 Tandis qu’Adallia abreuvait les étudiants de ses paroles, ces derniers notèrent attentivement sur des écrans tactiles les principales idées du cours. Comme la jeune femme voyait que certains étudiants s’intéressaient de plus en plus à son propos, elle décida de rentrer davantage dans le vif du sujet. L’hologramme central de la classe fit alors défiler d’autres images accompagnées de phrases explicatives sur l’intelligence cybernétique qu’Adallia résuma de la sorte :

Comme vous pouvez le voir sur ce graphique, l’intelligence cybernétique a donné naissance à un type de machine que l’on appelle communément « Androïde ». Les premiers Androïdes ont été élaborés, à partir des cyber-robots, dans le but de créer des auxiliaires plus indépendants. Les Androïdes sont généralement produits à l’image de leurs créateur. Au sein de la Confédération, par exemple, ils possèdent une morphologie humanoïde dans la majorité des cas.

Professeur ? appela un étudiant, le visage très fin et l’air grave.

Oui ? fit Adallia, ravie qu’un autre élève se manifestât.

Les capacités des Androïdes sont-elles différentes selon les espèces qui les ont créés ?

Leurs capacités peuvent varier selon des besoins environnementaux spécifiques. Quant à leur intelligence, elle peut également différer dans son fonctionnement cognitif et psychique selon le modèle d’espèce à partir de laquelle les Androïdes ont été créés. Mais en règle générale, ces machines se caractérisent surtout par une conscience plus développée que celle des êtres biologiques.

Professeur ? interpella à nouveau l’étudiant. Je comprends ce que vous dites si l’on raisonne en termes de coefficient intellectuel ; les Androïdes ont une intelligence mathématique plus aboutie que la nôtre, mais en quoi peut-on dire qu’il en va de même pour leur conscience ?

C’est une très bonne remarque à la laquelle je vais répondre avec un exemple simple. Voyez-vous, quand un Humain prend le contrôle d’un robot ou d’un cyber-robot, il se contente de manipuler un système de radioguidage et de le commander à distance. Toutefois, ce n’est pas le cas d’un Androïde ; celui-ci à la capacité d’en prendre directement le contrôle en y transférant son intelligence, ce que ne peut justement pas faire un Humain. De ce point de vue-là, leur conscience est plus développée que la nôtre, car la conscience correspond justement à un niveau de perception du monde, et en ce qui concerne les Androïdes, cela signifie qu’ils peuvent se projeter au-delà de leur propre corps. On parle alors de « transfert de conscience » pour décrire ce phénomène. Est-ce que vous comprenez ?

 Les étudiants hochèrent la tête pour signifier leur approbation. Même si beaucoup d’entre eux avaient plutôt l’habitude de voir des cyber-robots au quotidien, ils avaient tous dû croiser au moins une fois dans leur vie un Androïde.

 Adallia regrettait cependant qu’ils n’étaient pas très au fait du fonctionnement technique des machines et imputait cela à un manque de volonté de la part du système éducatif de la Confédération. Elle se devait donc de corriger ces lacunes en rentrant dans certains détails qui pouvaient parfois leur paraître abscons ou complexes.

Bien, et maintenant, reprit la jeune femme avec une voix grave, nous allons nous attaquer à la quatrième et dernière phase de l’ échelle de la Singularité : celle de la « supraintelligence cybernétique ». Logiquement, cette dernière consiste dans l’augmentation des capacités techniques issue de la singularité technologique des Androïdes. Cette supraintelligence a donné naissance à un autre type d’êtres : les « Cyborgs ».

 Adallia remarqua qu’elle avait capté toute l’attention de la classe. La simple évocation de ce nom leur paraissait encore plus étrange que tout le reste puisqu’il s’agissait d’un phénomène lointain, extérieur à la Confédération. Beaucoup d’entre eux en avait entendu parlé, peu savaient de quoi il s’agissait vraiment. Différents propos leur étaient parvenus, mais il était souvent difficile de démêler le vrai du faux, surtout lorsqu’on provenait de zones moins sensibles à l’évolution de la cybernétique.

Les Cyborgs étaient à l’origine un petit groupe d’Androïdes créés par une autre espèce biologique que la nôtre. Ce groupe a atteint une nouvelle phase d’évolution en se développant par lui-même. Or, deux différences notables séparent les Cyborgs des Androïdes.

 Adallia demanda à l’assistant technique d’enchaîner sur un nouvel hologramme affichant un tableau de comparaison.

Premièrement, les Cyborgs se sont constitués en une société structurée et indépendante. Deuxièmement, la singularité technologique des Cyborgs correspond à une phase beaucoup plus avancée de l’intelligence artificielle.

 L’hologramme exécuta un grossissement sur l’un des détails techniques.

Comme vous pouvez voir sur le tableau devant vous, les Cyborgs sont capables de prendre le contrôle de plusieurs machines simultanément.

Mais je croyais que les Androïdes pouvaient également faire cela ? interrompit l’étudiant au visage presque émacié.

Pas exactement. Il est vrai qu’un Androïde peut transférer sa conscience dans un robot ou un cyber-robot, mais il ne peut contrôler son propre corps au même moment. Ce n’est pas un problème pour un Cyborg qui est capable de contrôler plusieurs machines à la fois : c’est ce qu’on appelle la « démultiplication des corps ».

Comment est-ce que les Cyborgs y arrivent ? demanda subitement une étudiante qui, malgré les cheveux attachés vers l’arrière, dévoilait une chevelure presque aussi rousse que celle d’Adallia.

C’est justement là qu’est le problème : nous ne savons pas. Autant nous comprenons comment fonctionnent les Androïdes mais, les Cyborgs, eux, s’en sont complètement démarqués, aussi bien dans leur structure interne qu’externe, et donc leur singularité technologique nous échappe.

Et les Androïdes ne peuvent pas nous en apprendre davantage sur le sujet ?

La Confédération autorise les recherches avec les Androïdes pour tenter de découvrir le fonctionnement de la supraintelligence cybernétique des Cyborgs. Toutefois, cela prendra du temps avant que cette singularité ne soit véritablement assimilée et maîtrisée, car nos Androïdes ne la comprennent pas non plus.

 À mesure qu’Adallia parlait, les étudiants rédigeaient le contenu du cours. La jeune femme était très attentive à ne jamais aller trop vite et guettait les réactions des étudiants pour voir s’ils arrivaient à suivre et qu’elle ne laissait personne en chemin. Elle leur donna assez de temps pour finir d’écrire et poursuivit tout en se mouvant devant le premier rang :

Par ailleurs, au sein de cette catégorie d’êtres cybernétiques, on trouve différentes classes de Cyborgs, des sous-catégories si vous préférez, qui, le plus souvent, dépendent d’une structure technique interne et spécifique à leurs fonctions. Cette structure influe sur l’intelligence des Cyborgs et sur leurs interactions les uns avec les autres, ou avec d’autres êtres. Et c’est justement de cet aspect sociologique que nous allons parler afin de compléter le panorama technique du monde cybernétique. Mais nous verrons cela après une courte pause.

 Captivés par tout ce qu’ils venaient d’entendre et imprégnés de la voix douce, pédagogique et presque envoûtante de leur professeur, les étudiants finirent de noter toutes ses explications. Adallia était satisfaite ; elle ressentait la curiosité des étudiants qui émanait d’eux et avait le sentiment d’avoir réussi à leur apprendre quelque chose.

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