De lesparre à Saint-Léger...

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Lesparre : Changement de latitude, changement de décor, dans ce coin, au nord de la Gironde  entre Pointe Grave et Côtes de Blaye, le Médoc étend ses vagues de vignes sur de douces collines. Le paysage, s’il sied à ma mère, la mentalité du crû, elle, lui occasionnera quelques blessures … Mes parents arrivent là-bas comme des « esstranndgers » des concurrents venus de la capitale se greffant au commerce local… la curiosité fait vite place à la suspicion puis à la jalousie…
En été 1951, mes parents ont effectivement acheté un garage de réparation automobile sis Cours Général de Gaulle à Lesparre. Mon père qui s’est toujours intéressé à la mécanique auto connaît sans doute les bases du métier mais, par prudence, il s’adjoint un ouvrier spécialisé et embauche aussi un  jeune apprenti. Ma mère s’occupe de la partie administrative de l’entreprise : tenue à jours des registres de commandes en fournitures et pièces détachées, de facturations,  comptabilité, etc. Elle sert aussi l’essence aux clients puisque le garage possède un distributeur, pompe à levier qui débite le carburant de la marque au coquillage, par quantité de 5 litres…
Vous pensez bien que dans cet univers automobile moi, gamin de 7 ans, je m’y complais et vais souvent traîner dans le garage, circulant entre les guimbardes au capot levé, bien tenté de mettre mes petites mimines dans le cambouis malgré les récriminations de ma mère…
Dans un premier temps, mon père conserve la clientèle d’habitués du garage repris à un M. G. parti en retraite… Mais il y a pas mal de mauvais payeurs qu’il faut solliciter régulièrement et parfois entamer à leur encontre, une procédure judiciaire… Mon père plus commerçant que mécano, en tant que patron, se lance dans l’achat et la revente de véhicules d’occasions. Au début de ces années « 50 »  on est encore dans les lendemains de guerre et l’automobile, si elle demeure encore un luxe, devient de plus en plus indispensable à la vie moderne. Bon nombre d’artisans et de commerçants ont besoin d’une voiture. Le marché d’occasions est une bonne alternative par rapport à celui des véhicules neufs, beaucoup plus couteux et exigeant souvent de longs délais de livraisons pour obtenir le modèle souhaité. Le problème c’est que, sur ce marché de l’occasion, il y a surtout des véhicules d’avant guerre qui ont déjà pas mal circulé et qui sont plus ou moins bien entretenus ; pour les qualifier, le mot guimbarde n’est pas surfait … Qu’à cela ne tienne, mon père ayant le garage à disposition, la remise en état de vieilles autos n’est pas un problème… Pendant deux années, pour nos déplacements  nous ne garderons jamais plus d’un mois la même voiture.  De la Chenard et Walker de 1926 à la Traction Rosengard coupé cabriolet, passant par  des Salmson , Renault Reinastella, B14 Citroën et autre Mathis, mes petites fesses se seront posées sur les banquettes arrières des plus vénérables autos …
Comme ça, il semble que l’affaire tourne rond, en fait il n’en est rien car il y a beaucoup de frais et de tracasseries occasionnées autant par ces mécaniques capricieuses que les acheteurs sollicitent parfois à l’extrême et qui donc, manifestent leur mécontentement quand les pannes à répétition se présentent… En fait ce n’est pas la majorité des clients mais certains, plus exigeants, se font vite procéduriers ; voilà qui ralentit sérieusement les affaires du garage…
S’ajoute à cela que m’étant lié d’amitié avec le fils d’un garagiste concurrent, habitant un peu plus loin sur le même Cours, je réponds naïvement aux questions que les parents du petit ami en question ne manquent pas de me poser au sujet du passé professionnel de mon père. Et quand ils apprennent de ma bouche que mon père n’est pas de la partie, ayant fait commerce de systèmes de sécurité pour portes et serrures avant d’arriver à Lesparre, le bruit court vite dans la localité qu’au garage L., le nouveau patron est incompétent en matière de mécanique automobile…
Je me souviens encore de l’air horrifié de ma mère quand je lui ai répété ce que j’avais raconté à nos concurrents directs…
Mes parents se démènent tant et plus, pour que l’entreprise ne tourne pas à la faillite.  Pourtant, en Eté 1953, la décision est prise : ils vont revendre le garage... Ils trouvent repreneur dans l’année, et en été 1954, le garage est vendu …
L’année scolaire 1953-1954, je la fais comme pensionnaire à Saint Thomas d’Aquin car, entre temps,  mon père a retrouvé un de ses anciens collègues VRP, un certain Fe. qui circule en grosse voiture américaine et qui fait la vente d’économiseurs d’essence pour auto à Châtellerault… Au cours de cette année là, mes parents vont donc habiter cette sous-préfecture du département de la Vienne, laissant le garage de Lesparre, en gérance à Georges le mécano chef jusqu’à la passation aux repreneurs en Eté « 54 » 
De cette période, j’ai toujours en mémoire les expressions graves du visage de ma mère quand elle devait faire front à toutes ces déconvenues et aussi ses larmes à chaque fois que nous nous quittions les dimanches soir quand, après leur passage où ils me sortaient, mes parents  repartaient à Châtellerault.
Ils avaient bien quelques relations à Lesparre mais ça se limitait à peu de personnes. Ceux avec lesquels, ils s’étaient liés d’amitié, c’était les Fo. avocats habitant à deux pâtés de maisons du garage sur le Cours Général de Gaulle. Avec eux, mes parents ont fait pas mal de sorties restaurant ; j’aimais bien, quand il m’arrivait de faire partie de ces sorties, il y avait de l’ambiance et l’humeur était toujours joyeuse. J’adorais quand ma mère partait dans de grands éclats de rire… cela lui faisait certainement du bien …

Saint Léger la Pallu :
Au mois de juin 1954, ce sont les Fo., justement, qui m’ont conduit à Bordeaux et mis dans le train pour être récupéré par mes parents, en gare de Saint Saviol, non loin de Charroux où demeuraient ma tante et mon oncle…  Nous avions passé deux jours sur place avant de rejoindre notre nouveau logement, à Saint Léger la Pallu dans le Nord Vienne.
Mon père avait mis un terme à sa collaboration avec Fe. et s’était lancé sur des opérations de prospection en campagne, y effectuant la vente de produits pour la santé du bétail…
Ma mère, citadine jusqu’à présent, se retrouvait à habiter une petite maison louée, sise à l’extrémité d’un petit village d’à peine 150 âmes, à l’orée d’un bois et en partie entourée de vignes… Quel dépaysement pour elle mais que de souvenirs heureux il me reste de cette année 54/55 passée en ce lieu !
Mon père partait très tôt le matin pour contacter ses clients à l’heure de la traite des vaches et revenait tard le soir pour la même raison. Parfois je ne le voyais pas de la journée…
C’est ma mère qui s’occupait de moi et je me souviens de cette merveilleuse année scolaire où je prenais du plaisir à apprendre dans la classe de M. M. à l’école communale des garçons à Marigny Brizay. A cette école distante de 3 kilomètres, j’allais chaque jour, en bicyclette. Le midi je mangeais à la cantine bien sûr… Chaque soir à 17H, ma mère m’attendait devant la maison attentive et certainement angoissée de me savoir sur la route. Nous étions plusieurs gamins de St Léger à aller à l’école de Marigny Brizay. Claude P., un grand de 14 ans, menait notre petit peloton, veillant à ce que nous ne commettions pas d’imprudence… il faut dire que sur cette petite route communale, il passait très peu d’autos, à cette époque …
Parvenu à la maison, après le goûter, je me mettais à faire mes devoirs puis à apprendre mes leçons, ma mère ne manquant jamais de superviser les premiers et de me faire réciter les secondes… Elle veillait à ce que mes écrits soient réalisés proprement, ne tolérant aucune faute d’orthographe, ne me lâchant pas tant que je n’avais pas corrigé ou rectifié, allant jusqu’à me faire réécrire le devoir mal rédigé ou bâclé…  C’est seulement après, que je pouvais me distraire et me livrer à mes jeux ou lire mes illustrés : « Pierrot » ou « l’Intrépide » … Ma mère m’encourageait aussi à lire les livres de la bibliothèque verte, dont à chaque visite à Charroux, je recevais quelques exemplaires, offerts par ma grand-mère. C’est ainsi que je me suis plongé avec délectation dans les récits épiques et aventures constituant les œuvres majeures d’Alexandre Dumas, de Jules Vernes et de Charles Dickens …
Les dimanches d’hiver assis auprès du feu de cheminée, la lecture constituait une chaude et réconfortante évasion …
Retour de l’été … Il me revient cette anecdote :
C'était un jour de gros orage, sans doute au mois de juin 55, un jeudi, car j’avais passé tout mon après-midi à jouer les "Davy Crockett" dans le petit bois d’acacias voisin. En fin d’après-midi, il faisait lourd et le ciel s’était obscurci brusquement. Les coups de tonnerre se faisaient de plus en plus forts et les éclairs de plus en plus rapprochés. La pluie s’était mise à tomber vigoureusement. Mon père était en tournée et nous étions, ma mère et moi réfugiés dans la cuisine, notre chienne Poppie haletante, prostrée  sous l’étagère de l'évier. A chaque coup de tonnerre nous sursautions… Ma mère avait une peur bleue des orages et je n’étais guère plus faraud … Soudain, il y eut un coup sec, aussitôt suivi d’un grand fracas en écho dans le bois à côté et, en même temps, une gerbe d’étincelles jaillit du compteur électrique… Ma mère poussa un hurlement et nous sommes sortis en trombe de la maison pour rester sous la pluie battante, quelques pas plus loin, dans un champ, complètement affolés et hagards … La chienne nous avait suivi mais, au coup de tonnerre suivant, était retournée, comme un boulet de canon, se refugier sous son meuble dans la cuisine… Je ne saurais dire combien de temps nous sommes restés prostrés ma mère et moi, nous serrant l’un contre l’autre… sans doute plus d’une demi heure… le temps que l’orage s’éloigne … Nous étions trempés !... Quand mon père rentra dans la soirée et que nous lui avons conté cette aventure, je sais qu’il nous houspilla car nous étions bien plus en danger dehors qu’à l’intérieur de la maison. Quant aux étincelles du compteur électrique qui nous avaient tant effrayés, elles avaient, en fait, activé le disjoncteur ; nous n’avions rien à craindre … 

Il y eut encore la fête de fin d’année scolaire avec la remise des prix, le jour du 14 Juillet. Au petit bal sous « parquet » monté dans la cour de l’école, je me souviens d’avoir dansé pour la première fois avec une grande fille d’au moins 13 ans, moi le gamin de 11 ans et de cela, j’étais très fier. Je sais aussi que j’ai rougi jusqu’aux extrémités de mes oreilles quand ma mère m’a fait cette réflexion : "Eh bien Patrice, on dirait que tu t’es trouvée une bien jolie petite amie"...  En fait, j’étais aussi fier qu’ému.   


à suivre : "Premières années à Mirebeau"

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