Chapitre 37

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Paris, vendredi 9 mai 2025

 Verdun vint s’asseoir sur le banc à mes côtés. Ce même banc que Chloé et moi partagions lors de nos après-midi ensoleillés. Passées les salutations d’usage, il m’annonça les raisons de sa présence :

 — C’est Castillon qui m’envoie. Il comprend que t’aies pas vraiment envie de le voir en ce moment, alors il m’a envoyé à sa place.

 Accaparé par la jeune fille qui sautait à cloche-pied sur sa marelle, je n’eus aucun regard pour Verdun, tout juste lui demandai-je :

 — Que me veut notre infaillible meneur ?

 — Ton rapport de mission, au plus vite.

 — Alors dis-lui bien d’aller se faire foutre.

 — Ecoute Nathan, y a que toi qui sais vraiment ce qui s’est passé dans ce musée. Sans ce rapport de mission, on risque de passer à côté de précieuses informations.

 Il disait vrai, il n’était pas juste de garder pour moi certaines informations potentiellement utiles pour l’ensemble de notre mouvement. Après un long silence, je finis par revenir sur ma position :

 — Dis-lui qu’il aura son rapport demain.

 — Merci Normandie, c’est tout ce qu’on avait besoin. Et maintenant faut que j’y retourne, Castillon a décidé de mettre en place le protocole d’urgence et de déménager le site Alpha vers un nouveau site tenu secret.

 — Alors va lui dire que c’est inutile, Camerone ne dira rien. Elle ne donnera personne et ne révélera rien.

 — Comment tu peux en être sûr ? Ils vont l’interroger pendant des heures et j’imagine même pas ce qu’ils vont lui faire subir. Tu sais bien que tout le monde finit par craquer, même Camerone.

 — Je te dis qu’elle ne dira rien qui soit susceptible de nous mettre en danger. Marmont est convaincu que Camerone ignore tout de mes activités secrètes.

 — Mais il sait qu’elle et toi, vous êtes liés. Et après tout le foutoir que tu as mis au Louvre, les américains vont vouloir te mettre la main dessus. Ils ne la lâcheront pas sans l’avoir longuement interrogée. Et toi et moi savons ce qu’interrogatoire veut dire dans leur bouche…

 L’idée de savoir Chloé touchée par des mains ennemies m’était insupportable. Mais elle et moi nous nous étions préparés à ça. Je devais tenir bon de mon côté, car je savais qu’elle ne lâcherait rien du sien :

 — Je sais bien qu’ils vont la torturer, qu’ils la priveront de sommeil, qu’ils l’enfermeront dans une cage si petite qu’elle ne pourra ni tenir debout ni s’allonger, qu’ils recouvriront son visage d’une serviette humide et qu’ils y verseront de grandes quantités d’eau afin de simuler une noyade. Mais je sais aussi qu’après des heures de torture, elle ne craquera pas. Bien au contraire, elle ne fera que feindre sa coopération et leur donnera une seule et unique adresse, celle de mon ancien appartement. Ils viendront alors perquisitionner ce logement et découvriront un faisceau d’indices laissant supposer un départ récent et précipité. En fouillant un peu plus, ils finiront par tomber sur des rapports de mission plus ou moins bien dissimulés ainsi que sur une correspondance secrète plus ou moins bien calcinée. En étudiant ces rapports falsifiés et cette correspondance bidon, ils en arriveront à la conclusion que Camerone n’a rien à voir avec la résistance et se lanceront sur la piste de personnes totalement étrangères à notre cellule. Donc soyez rassurés, la cellule n°8 est à l’abri, Camerone et moi avions tout prévu.

 — C’est de la théorie ça, comment tu peux nous garantir que dans la pratique, elle ne craquera pas ?

 — Parce que ces méthodes que je viens de te décrire, ces ignominies que je t’ai détaillées, je les ai expérimentées moi-même sur Camerone. A sa demande, je l’ai moi-même enfermée 48 heures d’affilée dans un placard, je l’ai privée de sommeil des jours durant et j’ai maintenu sa tête sous l’eau jusqu’à ce que son pouls ne soit plus qu’un écho lointain sous mes doigts. Alors, tu penses toujours que je te parle de théorie ?!

 Mes mains se prirent à trembler en repensant à l’eau glacée de la baignoire et à Chloé agonisant sous mes doigts. Verdun, lui, baissa la tête, confus :

 — Non, c’est bon, je te crois. J’irai en parler à Castillon, mais c’est lui qui décidera au final si on doit déménager ou non.

 — Grand bien lui fasse.

 — Dernière chose, Normandie : Castillon t’a organisé une rencontre avec Valmy. Si tu le souhaites, tu pourras aller plaider ta cause auprès de lui.

 Une étincelle d’espoir embrasa mes pupilles :

 — Où et quand ?

 — Ce soir à 20 heures, à l’intérieur de l’église de la Madeleine. Tu diras au prêtre à l’entrée que tu veux allumer un cierge pour Enée et ses frères. Il comprendra.

 — Merci Verdun, tu peux disposer.

 Verdun fit mine un instant de se lever, puis se ravisa :

 — Elle s’appelle Chloé, c’est ça, hein ? C’est son véritable nom ?

 Je me retournai vers lui, surpris.

 — Tu l’as laissé échapper lorsque Castillon et toi vous vous êtes, euh, expliqués.

 — Oui Verdun, elle s’appelle Chloé.

 Il se pinça la lèvre inférieure avant de déclarer :

 — C’est un joli prénom pour une belle personne, j’espère sincèrement qu’on la reverra bientôt.

 Puis il s’éclipsa comme il était venu.

 L’air chaud de la journée finissante avait convaincu plusieurs dizaines de passants de rester flâner dans les rues du quartier de la Madeleine. Je n’étais pas très à l’aise de voir autant de monde tout autour de moi alors que je me préparais à rencontrer Valmy. Je voyais en chacun d’eux un ennemi potentiel, un traître à la solde des pourris qui retenaient Chloé. Autant d’idées noires qui me tinrent compagnie jusqu’au pied de la Madeleine, toujours aussi élégamment déguisée en temple de la Grèce antique.

 L’intérieur de l’église, déjà fort peu lumineux en plein jour, était plongé dans une obscurité quasi totale à la faveur du jour déclinant. Seuls quelques cierges allumés un peu partout permettaient d’y évoluer sans trop de peine.

 Alors que je cherchais un bénitier pour me signer, un prêtre vint à ma rencontre :

 — Puis-je vous aider, mon fils ?

 — Oui. J’aimerais allumer un cierge pour Enée et ses frères.

 Le prêtre opina du chef et m’invita à le suivre vers le chœur de l’église :

 — Par ici, je vous prie.

 Le prêtre me conduisit jusqu’au confessionnal de l’église. Il me fit m’installer dans une des loges latérales, tira le rideau pourpre pour m’isoler et s’éloigna. Quelques instants plus tard, la loge centrale s’entrouvrit et quelqu’un prit place à l’intérieur. La seconde d’après, le grillage qui séparait nos deux loges s’entrouvrait légèrement et une voix grave se faisait connaître :

 — Vous avez requis une entrevue avec moi, jeune homme ?

 Surpris par le style direct et tranché de son ton, ma réponse manqua complètement d’assurance :

 — Euh, oui. Je suis venu pour vous demander votre aide.

 — Soyez plus précis.

 Sous ses intonations tranchantes, je me ressaisis rapidement :

 — Je viens demander votre soutien dans le cadre d’une opération visant à libérer Chloé Tousignant de sa prison de l’île de la Cité.

 Mon interlocuteur laissa passer un long silence avant de me répondre :

 — Je crains que cela ne soit impossible.

 — Pour quelles raisons ?

 — Monter une opération aussi risquée me paraît démesuré au regard de son résultat incertain.

 — On parle d’une des nôtres actuellement retenue par l’ennemi !

 — Et je vous réponds que je ne risquerai pas la vie de dizaines d’hommes contre une seule.

 — Mais il s’agit de votre nièce !!!

 — Et cela rend ma décision plus pénible encore. Ecoutez jeune homme, je suis responsable du destin de centaines de milliers de français. Lancer une telle opération, où un affrontement frontal avec l’occupant serait inévitable, risquerait de déclencher des événements dont vous n’imaginez pas l’ampleur.

 — Votre nièce a voué sa vie à ce pays. Le moins que ce pays puisse faire, c’est de lui rendre la pareille !

 Valmy ne répondit rien. De rage, je sortis de ma loge et ouvris brusquement la porte de la loge centrale. Il n’y avait personne à l’intérieur. Je me retournai rapidement mais ne vis rien d’autre que l’obscurité.

 Tous mes espoirs venaient de s’évanouir avec Valmy. Il était une impasse et il fallait se faire une raison, Chloé ne pouvait plus compter que sur moi.

Lundi 12 mai 2025

 Et me revoilà rive gauche. Me revoilà à arpenter les rues sales abandonnées au chaos et aux maraudeurs.

 Le soleil avait pointé le bout de son nez depuis quelques heures déjà lorsque je frappai à la porte de M. Lacroix. Son majordome, valet ou je ne sais qu’est-ce, vint m’ouvrir avec la même mine renfrognée que la dernière fois :

 — Oui ? C’est pour quoi ?

 — Toujours la même chose : je suis venu voir M. Lacroix.

 — Entrez.

 Je refis le même chemin que lors de ma précédente venue et me retrouvai bientôt dans le même salon, celui au parfum d’Empire finissant. La réplique du Delacroix y était toujours fièrement exposée. J’allais bientôt faire toute la lumière sur son énigme.

 Mon hôte me rejoignit dans le salon et me salua chaleureusement :

 — Que puis-je faire pour vous aujourd’hui ? Je crains de n’avoir plus aucune orange à vous offrir en cette saison.

 — Aucun problème, ce que je suis venu chercher est beaucoup plus trivial.

 — Racontez-moi donc.

 — J’ai besoin de votre expérience dans l’attaque de fourgons blindés.

 Mon hôte fronça les sourcils :

 — Je crains de ne pas comprendre. Quelle expérience le bourgeois que je suis pourrait avoir dans le… Comment vous dites déjà ? L’attaque de fourgons blindés ?

 — A priori, aucune. C’est là où vos manières raffinées et délicates donnent parfaitement le change et arrivent à tromper leur monde. Tout aurait été d’ailleurs parfait si l’homme que vous êtes réellement, le petit voyou à l’orgueil de matamore, s’était résolu à effacer toutes les traces de son illustre passé. Mais hélas, il n’a jamais pu se résigner à faire table rase du passé et a fait faire le tableau derrière moi pour ne jamais oublier. Et quoi de mieux que la Liberté guidant le peuple pour vanter votre plus beau fait de gloire ?

 — Vous vous égarez, jeune homme. Mais je vous en prie, poursuivez votre démonstration, cela m’amuse beaucoup.

 — J’imagine que des centaines de personnes se sont succédé devant ce tableau sans jamais remarquer le moindre détail troublant. Et les quelques rares qui auront su les déceler, ceux-là l’auront mis sur le compte de votre singulière personnalité.

 Il ne put masquer un sourire en coin :

 — Mais listez-moi donc ces détails troublants dont vous me faites l’article.

 — Je commencerai par la date, si cela ne vous dérange pas trop.

 — Faites donc.

 — Sans cette date, je pense que je serais passé à côté également. D’autant plus que je n’avais pas encore deux ans lors de ce 12 mars 2003. Je n’ai donc aucun souvenir de cette journée. Heureusement pour moi, j’ai fini par mettre la main sur un journaliste du Figaro. Lui et moi avons fouillé les archives papier du journal. La Une du journal du 13 mars 2003 est particulièrement éloquente : « Fresnes : scènes de guerre pour une cavale ». Il y est question de l’évasion d’un certain Antonio Ferrara, dont les complices ont attaqué la prison de Fresnes au lance-roquettes.

 — En quoi cela me relie-t-il à cette évasion rocambolesque dont je n’ai que de vagues souvenirs ?

 — La prison de Fresnes, tout d’abord. Elle est située en banlieue parisienne, banlieue qui ressemble beaucoup à l’arrière-plan de votre tableau. Et j’imagine que la fumée de votre tableau est la conséquence directe de l’attaque au lance-roquettes.

 — Théorie intéressante, mais il va vous falloir étayer un peu plus votre théorie pour la rendre crédible.

 — J’y viens, j’y viens. En analysant le reste du tableau, on constate que le bourgeois à la droite de Marianne est borgne, contrairement au tableau original. Je pense qu’il s’agit là d’un hommage à Dominique Battini, l’homme qui a organisé votre évasion depuis l’extérieur et qui a perdu un œil lors de l’opération. Quant au Gavroche brandissant ses pistolets et appelant à l’insurrection, il tient deux Tokarev TT 33 entre les mains. J’ai reconnu cette arme immédiatement, pour avoir eu le désagrément de la croiser lors de mon séjour en Russie. C’est une arme très répandue dans le milieu du grand banditisme et je pense qu’il s’agit de votre arme de prédilection. J’en suis arrivé à la conclusion que ce tableau représente votre évasion de la prison de Fresnes et que le personnage de Gavroche vous représente. Vous êtes sans aucun doute Antonio Ferrara, braqueur spécialisé dans l’attaque de convois blindés.

 Mon hôte croisa les bras, l’air perplexe :

 — Voilà une bien belle démonstration, mais je crains qu’un léger détail ne vienne ébranler toutes vos conclusions : si mes souvenirs sont bons, ledit Ferrara a été capturé par la police après seulement quelques mois de cavale.

 — C’est effectivement ce que le journaliste du Figaro et moi avons constaté en retrouvant une édition datée de juillet 2003. Il y est fait mention d’un homme vous ressemblant, un flambeur dont le nez a été refait et les cheveux décolorés. Son manque de discrétion est d’ailleurs directement responsable de son arrestation dans un bar réputé de la Côte d’Azur et il purge encore aujourd’hui sa peine dans une prison du nord de la France.

 — Alors comment pourrais-je être cet Antonio Ferrara, puisqu’il se trouve toujours en prison ?

 — C’est là votre coup le plus remarquable. Je vous sais bien trop malin pour être allé écumer les bars de la Côte d’Azur alors que toutes les polices de France étaient à vos trousses. Je pense donc que l’individu que les forces de l’ordre ont attrapé n’était qu’un sosie et qu’il s’est laissé volontairement capturer. Par ailleurs, la police avait déclaré à l’époque que vous vous étiez fait refaire le nez afin de passer inaperçu. Je pense à l’inverse que l’individu qui s’est laissé attraper a subi une batterie d’opérations chirurgicales pour vous ressembler un maximum, à l’exception notable du nez. Je ne sais pas encore comment vous vous y êtes pris pour convaincre ce type de purger une peine de 30 ans de prison à votre place, ni comment vous avez fait pour trafiquer le fichier des empreintes digitales de la police afin de faire correspondre vos empreintes à celles de votre sosie, mais je suis certain d’une chose : si l’on vous retire le poids des vingt dernières années, vous ressemblez trait pour trait à la photo d’Antonio Ferrara parue dans l’édition du Figaro du 13 mars 2003.

 Et je jetai cette Une sur la table devant lui. Mon hôte s’attarda quelques instants sur la photo noir et blanc de ses jeunes années, puis applaudit des deux mains :

 — Félicitations jeune homme, personne n’avait jamais fait le lien entre le bandit de grand chemin que je fus et l’homme respectable que je suis aujourd’hui.

 — Merci du compliment, mais il y a une chose que je ne comprends cependant toujours pas : comment passe-t-on de lui à vous ? demandai-je en pointant successivement du doigt le Gavroche du tableau et l’homme qui se tenait face à moi.

 — L’un a permis à l’autre de pouvoir exister. Je suis issu d’un milieu très pauvre, tant sur le plan financier que sur le plan intellectuel, un milieu où les hautes études sont méprisées et où les enfants doivent assister leurs parents dès le plus jeune âge. Le seul moyen pour moi de m’affranchir un jour de ce déterminisme social était de franchir la légalité et de rejoindre le grand banditisme. Comprenez-moi bien, cette vie qui fut autrefois la mienne ne fut jamais qu’un moyen, un moyen d’échapper à un monde où le foot irradie, où le rap est l’Alpha et l’Oméga de la musique, et où la télévision est toute-puissante. Tout ce que je voulais moi, c’était fréquenter les salons d’opéra sans les odeurs de bière éventée, goûter les délices de Verdi sans les braillements issus du ghetto, débattre de l’Homme et de sa finitude sans les irruptions intempestives de la société de consommation. Je voulais la gloire et ses plaisirs, je voulais ce que ce monde avait de meilleur à offrir.

 — Alors aidez-moi à sauver ce monde-là.

 — Qu’attendez-vous de moi ?

 — Que vous retrouviez vos vieux réflexes et que vous m’aidiez à attaquer un blindé ennemi.

 — Rien que ça ?

 — Rien que ça.

 — Désolé, mais cette vie est derrière moi désormais, je ne peux vous aider.

 — Pardon, mais où est l’homme qui me mettait en garde il y a quelques mois du danger que représentait l’Amérique pour notre civilisation ?

 — Il est toujours là. Mais il se refuse à s’abaisser au niveau de son ennemi en usant de la violence et des armes.

 — Parce que vous pensez que l’ennemi s’en ira de lui-même ?! Qu’il se retirera si nous restons bien sages ? Vous le pensez sérieusement ?!

 — Je veux y croire. Je veux croire que les choses s’apaiseront d’elle-même et que je pourrai un jour reprendre le cours de ma vie.

 — Et si l’ennemi accroît son oppression et vient vous chercher jusque dans le havre de paix qu’est votre jardin d’hiver ? Que ferez-vous lorsqu’il arrachera vos orchidées et abattra vos orangers ? Vous l’accueillerez toujours avec la même bienveillance ?

 Déstabilisé par mes paroles, il ne répondit rien. Je poursuivis ma plaidoirie :

 — Un prêtre m’a dit un jour que la violence est dans le cœur de chaque Homme, mais que l’on devait apprendre à la maîtriser, à la contenir. Je sais aujourd’hui qu’il a tort. Je sais que le conflit naît dans la pluralité des Hommes, qu’il est intrinsèquement lié à sa nature et que la guerre n’est que l’expression ultime de ce conflit. C’est se fourvoyer que de penser que les Hommes vivront tous un jour en bonne intelligence. Bien au contraire, il y aura des guerres tant que l’Homme sera Homme et seuls les plus déterminés survivront. Alors, je vous le demande une dernière fois, allez-vous m’aider ?

 Il détourna son regard et le posa sur le Gavroche du tableau. Une lueur revancharde embrasa ses yeux :

 — De quoi avez-vous besoin ?

 — De votre expérience pour immobiliser un blindé américain de transport de troupes équipé de huit roues et d’une transmission intégrale.

 — Type Stryker ?

 — Type Stryker.

 — Les Stryker actuels sont équipés d’un système de blindage dit « réactif » autrement plus costaud que celui qui équipe les fourgons de transport de fonds auxquels j’ai eu le loisir de me confronter par le passé. L’attaquer avec un lance-roquettes à charge creuse ne ferait que l’égratigner.

 — D’autant plus que j’ai besoin de garder l’équipage vivant. Du moins l’un d’entre eux.

 — Dans ce cas, il faudrait placer une charge explosive sous le véhicule pour le soulever et le retourner. Une vingtaine de kilos de pentrite devrait suffire amplement pour soulever les 30 tonnes de l’engin. Mais il reste un problème de taille : je ne vois pas comment dissimuler une telle charge sur le trajet emprunté par le véhicule sans que son conducteur ne le remarque et ne l’évite.

 — Et si je vous disais que je connais un moyen d’amener la charge directement sous le véhicule ?

 — Alors je vous répondrais qu’il n’y a plus qu’à décider de la date et du lieu.

Mercredi 14 mai 2025

 Je venais à peine de pénétrer dans la salle de spectacle de l’Opéra Bastille que Marius vint à ma rencontre pour me faire la fête. Je le caressai quelques secondes en attendant de voir débarquer son maître.

 Lorsque celui-ci arriva et vit mes larmes couler sur son chien, il comprit aussitôt et son visage se para d’effroi :

 — Non ! Non, tu peux pas me faire ça !! Tu m’avais promis qu’y aurait jamais besoin !

 Je passai la manche de ma chemise sur mes yeux pour chasser les quelques larmes qui me brouillait encore la vue :

 — Il le faut, Verdun. C’est le seul moyen de délivrer Chloé.

 Verdun tomba à genou et son chien accourut immédiatement pour le réconforter. Il lui léchait les joues ; des joues pleines de larmes. La gouaille légendaire de Verdun s’était à jamais évanouie.

Vendredi 23 mai 2025

 Nous nous trouvions tous rue de Crimée, comme cela était prévu. J’avais convaincu Charles et les autres de m’aider dans cette opération sans en avertir Valmy. Une opération que nous avions baptisée Nouvelle Aurore. Ferrara se tenait à mes côtés, prêt à entrer en piste.

 Durant cette attente insoutenable, je me repassais le plan d’action que Ferrara et moi avions mis en place : « Nous profiterons de la distribution alimentaire du vendredi pour passer à l’action. Selon nos sources, le blindé passera par la rue de Crimée, ici sur la carte. C’est une rue assez longue et étroite, particulièrement propice à un guet-apens. Nous guetterons le véhicule ennemi au niveau des Buttes-Chaumont, la rue est bordée en cet endroit par les hautes grilles du parc d’un côté, et par une rangée de hauts immeubles de l’autre. Le coin sera désert, tous les habitants du quartier seront partis récupérer leur pitance ».

 Il était un peu moins de dix heures lorsque le blindé américain fit son apparition tout au bout de la rue de Crimée. Il avançait à vive allure dans notre direction. La tension se faisait maintenant palpable : « Au moment où le blindé fera son apparition, Denain, positionné sur un toit d’immeuble en amont de la rue, lèvera un drapeau rouge pour avertir Bir-Hakeim, lequel sera également positionné sur un toit d’immeuble, mais en aval de la rue, juste au niveau du carrefour qui jouxte le parc. Bir-Hakeim, lorsque tu verras le drapeau de Denain, tu lèveras ton propre drapeau. Austerlitz et Marne, vous attendrez en contrebas dans deux véhicules stationnés de part et d’autre du carrefour. Lorsque vous verrez le drapeau de Bir-Hakeim s’agiter, vous passerez à l’action. ».

 Depuis l’entrée de parking d’immeuble où Ferrara et moi planquions, je ne pouvais voir ni Denain, ni Bir-Hakeim. Mais quelques secondes après l’apparition du blindé dans la rue, je fus rassuré de voir les véhicules de Marne et d’Austerlitz se mettre en travers de la route pour bloquer la rue. Le blindé américain, qui s’approchait du carrefour, pila net à environ cent mètres de Marne et Austerlitz. Il aurait très bien pu foncer dans le tas et ne faire qu’une bouchée des deux voitures qui lui barraient la route, mais il n’en fit rien, comme je l’avais prévu : « Austerlitz, Marne, l’habitacle et le coffre de vos véhicules seront remplis de bidons d’essence bien visibles. Evidemment, ceux-ci ne seront pas véritablement remplis d’essence, mais ça, l’ennemi ne le saura pas et devrait se garder de tenter un passage en force. ».

 Au moment où le blindé entama sa manœuvre de repli pour essayer de se sortir du guêpier dans lequel il venait de se fourrer, une rafale de balles abattit le drone qui l’accompagnait : « Denain et Bir-Hakeim, dès que la route se retrouvera bloquée, vous abattrez le drone-compagnon. Sans ce relais de communication, le blindé se retrouvera complètement isolé et ne pourra plus transmettre d’information à son QG. ».

 Le drone à peine au sol, une porte d’immeuble s’ouvrit et un gigantesque chien à la robe fauve s’en échappa pour fondre sur le blindé américain : « Verdun, tu veilleras bien à ce que le drone soit au sol avant de lâcher Marius. ». Muni d’une épaisse ceinture qui lui serrait la taille, le chien se faufila bientôt sous le blindé, comme il avait appris à le faire lors de ses nombreux entraînements avec Verdun. L’instant d’après, une explosion monstrueuse soulevait le blindé de terre et le retournait comme une crêpe.

 La fumée ne s’était pas encore dissipée que deux drones survolaient déjà la zone de combat : « L’explosion attirera certainement l’attention des drones de surveillance qui patrouillent dans le coin. Charles, tu feras en sorte de leur compliquer la tâche. ». Une des fenêtres de l’immeuble situé à deux pas s’entrouvrit et un grand métis au visage recouvert d’un foulard tira deux grenades fumigènes autour du blindé. La zone se retrouva aussitôt plongée dans un épais brouillard.

 Vint alors notre tour, à Ferrara et moi. Equipés d’un masque à gaz pour nous protéger des fumigènes et de couvertures de survie pour échapper à la vision infrarouge des drones, nous sortîmes de notre cache et nous approchâmes de la porte arrière du blindé. Antonio posa des charges explosives contre chacune des charnières de la porte et nous nous abritâmes de chaque côté du blindé. La seconde d’après, une forte explosion envoyait valser la porte à plusieurs mètres de là et nous donnait accès à l’habitacle rempli d’une dizaine de soldats tête à l’envers et désorientés. Sans leur laisser le temps de réagir, je dégoupillai une grenade incapacitante et la jetai à l’intérieur du véhicule avant de me protéger les yeux et les oreilles. Le flash de lumière fut si intense et la détonation si assourdissante que tous les soldats ennemis furent immédiatement mis hors de combat.

 Mais il fallait faire vite, la désorientation sensorielle n’étant que temporaire. C’est donc armé d’un couteau que je coupai les sangles du soldat le plus proche de moi et l’extirpai du véhicule avant de l’envelopper dans une couverture de survie. Pendant ce temps, Antonio dégoupillait une autre grenade, explosive celle-ci, et la lançait à l’intérieur du véhicule. Nous nous éloignâmes rapidement avec notre prise inanimée avant que l’explosion ne tuât tout le monde à l’intérieur.

 Le bruit de cette dernière explosion ne masqua que très brièvement le vrombissement du ciel : « Lorsque le QG ennemi aura connaissance de l’attaque en cours, il enverra du renfort. Il faut nous attendre à recevoir la visite d’un hélicoptère de soutien aérien. ». L’hélicoptère, un Apache AH-64, survola bientôt la zone de combat. Mais déjà Charles avait rejoint le sommet de son immeuble et tirait un missile portatif de type Javelin en direction de l’hélicoptère. Touché au niveau du rotor, l’hélicoptère s’écrasa au sol dans un déluge de feu, couchant les arbres du parc sur plusieurs dizaines de mètres.

 Le reste de l’opération se déroula exactement comme prévu : « Une fois le colis récupéré, Marne et Austerlitz, vous vous chargerez de son transfert vers l’appartement C où vous le retiendrez prisonnier jusqu’à ce que nous ayons besoin de lui et de sa rétine. Vous veillerez à retirer les vêtements qu’il porte et à me les faire parvenir. Je me moque bien de le savoir à poil, le cul attaché sur une chaise. ».

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