Chapitre 22

2 minutes de lecture

St-Pétersbourg, mercredi 21 juin 2023

 Le train s’arrêta paisiblement en gare de Saint-Pétersbourg. « Le calme avant la tempête », pensai-je.

 Dans la cohue du quai, je ne vis aucune paire d’yeux s’attarder sur ma personne, aucun homme inquiétant m’emboîter le pas. Rien de plus qu’un léger sursis avant que les hommes d’Anton ne me retrouvent, songeai-je alors.

 Toujours est-il que le moment était venu pour moi de semer des petits cailloux dans Saint-Pétersbourg : je pris une chambre dans l’hôtel le plus en vue de toute la ville, donnai mon passeport à la réceptionniste, réglai avec ma carte bancaire. Puis je montai me reposer quelques heures.

 20 heures. Toujours rien. Personne n’était venu me retrouver dans ma chambre pour me faire payer mon affront. Je leur avais laissé une montagne d’indices sur l’endroit où je me trouvais et eux s’amusaient à faire durer le plaisir ? Tant pis pour eux, il leur faudrait me chercher dans les rues de la ville. Je quittai ma chambre et décidai d’aller me promener une dernière fois. A la réceptionniste du rez-de-chaussée, je fis bien comprendre que j’allais me balader sur les bords de la Neva et que je serais bientôt de retour, au cas où quelqu’un me chercherait.

 Mes réminiscences de la ville en elle-même sont floues, mais je crois avoir souvenir d’une ville lugubre et sans âme. J’errai un long moment dans un dédale de rues désertes avant de finalement trouver un banc près de la Neva. Je m’y assis et attendis la mort.

 Je n’avais qu’un seul regret : j’aurais aimé en cet instant revoir la France, sentir son doux parfum d’été, me promener au milieu des blés sous un ciel d’orage et entendre carillonner les cloches d’une église au loin.

 Car il n’y a rien qui ne se marie mieux qu’un champ de blé avec un ciel d’orage. Si les tournesols resplendissent sous un ciel bleu et les maïs sous une fine pluie d’été, regarder battre les blés sous les grises nuances d’un ciel menaçant était sans pareil : une civilisation entière reposait sur ce frêle épi de blé, constamment menacé et pourtant toujours fièrement dressé face au vent.

 C’est parce que j’avais plié face au vent que je m’étais retrouvé ici, au bout du monde. C’est parce que j’avais plié face au vent que je ne reverrais plus jamais mon pays. C’est parce que j’avais plié face au vent que je n’étais plus digne d’avancer.

 Et je repensai à Nina. A cette heure, elle avait déjà dû rejoindre la capitale lettonne. Que déciderait-elle pour son avenir ? Suivrait-elle mes conseils ? Irait-elle se perdre au milieu des champs de blé de mon enfance ? Oublierait-elle jamais les outrages de sa vie passée ? Me pardonnerait-elle un jour d’avoir été le complice de ses sévices ?

 Je pris dans ma main le pendentif en forme de croix orthodoxe qu’elle m’avait confié et, sans y réfléchir vraiment, me mis à murmurer ces quelques vers appris sur les bancs de l’école :

Comprenne qui voudra

Moi mon remords ce fut

La malheureuse qui resta

Sur le pavé

La victime raisonnable

À la robe déchirée

Au regard d’enfant perdue

Découronnée défigurée

Celle qui ressemble aux morts

Qui sont morts pour être aimés

 Le reste ne fut que vague à l’âme. Les bords scintillants de la Neva, le ballet des ponts levés, le défilé des bateaux, les lumières du Nord jamais endormi : tout n’était qu’infinie tristesse.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Baud007a ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0