Chapitre 20

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Paris, samedi 30 mars 2024

 La pièce exiguë avait beau être quasiment vide, elle n’en demeurait pas moins oppressante. Un simple néon grillagé au plafond pour tout éclairage ; une table et deux chaises en fer pour tout mobilier. Et puis il y avait cette immense glace sans tain. Glace qui renvoyait mon reflet impatient, assis depuis trop longtemps sur cette chaise froide, les poignets menottés à la table.

 Je me demandais qui pouvait bien m’observer derrière cette vitre. Et que pouvaient-ils raconter sur moi ? Quelle estime avaient-ils de moi, le violeur présumé qui avait retiré son bracelet électronique et qui s’était introduit de force chez sa victime présumée pour l’agresser une nouvelle fois ?

 Le lieutenant Vautrin finit par entrer dans la salle d’interrogatoire.

 — Vous me gâchez mon week-end, lâcha-t-il sans ambages.

 — Je vous fais confiance pour ajouter cela à la liste des charges retenues contre moi.

 — Cette liste est déjà beaucoup trop longue à mon goût.

 — Quelle heure est-il ? demandai-je ingénument.

 — Pourquoi ? Vous avez un rendez-vous ? Parce que dans ce cas, je crains qu’il ne vous faille annuler...

 — Je vous demande simplement l’heure qu’il est. Ensuite je répondrai à toutes vos questions.

 Le policier soupira et jeta un coup d’œil à sa montre.

 — Il est très exactement 16h48.

 — Parfait, vous n’aurez pas longtemps à attendre dans ce cas.

 — Attendre quoi ? commença-t-il à s’irriter.

 — Le courriel que je vous ai envoyé hier soir. Je l'ai programmé pour qu’il n’arrive dans votre boîte de réception qu’aujourd’hui à 17 heures précises.

 — Super. Et que peut bien contenir ce courriel de si intéressant ?

 — La preuve de mon innocence.

 Le lieutenant Vautrin en resta sidéré sur sa chaise.

Dimanche 31 mars 2024

 — Debout là-dedans ! Vous avez une visite !

 L’agent de police qui me réveilla avait une voix à faire trembler les murs pourtant déjà bien décrépis de ma cellule.

 — Hein ? Comment ? répondis-je encore à moitié endormi.

 Il devait être quatre ou cinq heures du matin. Le soleil, en tout cas, n’était pas levé.

 — J’ai dit debout. Quelqu’un veut vous voir.

 Je fis couler un mince filet d’eau sous le robinet de ma cellule et m’aspergeai le visage avec pour paraître un peu plus frais. Puis l’agent ouvrit la porte de ma cellule et j’en sortis pieds nus. Il m’accompagna jusqu’à une sorte de parloir qui ressemblait en tout point à la salle d’interrogatoire de la veille, les menottes et la glace sans tain en moins.

 — Attendez-ici, m’ordonna-t-il. Votre visiteur va bientôt vous rejoindre.

 Je patientai quelques cinq minutes, puis la porte derrière moi s’ouvrit à nouveau.

 — Bonjour Nathan, murmura une voix féminine.

 Je n’avais pas besoin de me retourner pour savoir qui parlait. Chloé fit quelques pas et vint s’asseoir face à moi.

 — Comment ça va ? demanda-t-elle. Pas trop dure la nuit ici ? Et ton bras, comment va ton bras ?

 Je souris un bref instant en pensant à la douleur de chien qui m’avait forcé à dormir sur le côté droit toute cette courte nuit.

 — Ne t’inquiète pas pour lui, mon bras va bien, tu n’as entaillé que le muscle.

 — Je suis sincèrement désolée...

 — Pourquoi ? Pour avoir été agressée dans ton appartement ? Tu n’as fait que te défendre.

 — Oui, probablement... approuva-t-elle dans un murmure qui se mua bientôt en un long silence.

 Pendant tout le temps que dura ce silence, je sentis qu’elle voulait me parler, que des questions lui brûlaient les lèvres, mais qu’elle n’osait m’en poser aucune.

 — Chloé ?

 — Oui ?

 — Pourquoi tu es ici ?

 — Pour te voir.

 — Je vois bien, mais pourquoi maintenant ?

 — Nathan, je n’ai pas dormi de la nuit. Cela fait des heures que je remue ciel et terre pour pouvoir te voir. J’ai contacté ton avocat et le mien dès que j’ai appris qu’ils avaient arrêté Louis.

 — Ils ont interpellé Louis ? Quand ça ?

 — Hier soir. Tout le monde a très vite été mis au courant, et moi j’ai tout de suite voulu...

 Elle s’interrompit.

 — Voulu quoi, Chloé ?

 — Te voir. J’ai tout de suite voulu te voir.

 Et elle prit ma main dans la sienne avant de poursuivre :

 — Nathan, j’ai besoin de comprendre ce qu’il s’est passé ce soir-là. J’étais en colère contre toi et j’ai cru tout ce qu’on m’avait dit. J’en étais même persuadée, persuadée que tu m’avais fait du mal. Et puis hier, je t’ai revu, j’ai revu ton visage. Et j’ai immédiatement su que tu ne me voudrais jamais aucun mal. Mais j’ai besoin de savoir la vérité désormais.

 — Tu veux connaître la vérité ?

 — S’il te plaît.

 — La vérité est que c’est toi qui m’as sauvé.

 Elle serra ma main un peu plus fort.

 — Je ne comprends pas, répondit-elle déconcertée.

 — Tu m’as appelé ce soir-là. Au moment où tu as senti que la drogue te faisait perdre le contrôle et que les choses allaient dégénérer, tu m’as appelé. Mais mon téléphone était en mode silencieux et je n’ai pas décroché. C’est mon répondeur qui s’est déclenché à la place. Et ensuite tu as dû faire tomber ton téléphone sous le lit ou sous un meuble, je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est que tout ce qu’il s’est passé ensuite a été enregistré sur ma messagerie.

 Je me tus alors, mais elle insista pour que je continue :

 — Dis-moi ce qui est enregistré sur ce message.

 — Tu es sûre ?

 Elle serra ma main encore plus fort. Je poursuivis :

 — On entend clairement la voix de Louis. Et on devine la tienne. Tu essaies de protester, mais lui...

 Ma voix se mit à trembler. Je m’efforçai de la contrôler en détournant mon regard des yeux de Chloé :

 — Lui s’en moque et te force à t’allonger et à te déshabiller. Et ensuite...

 Sa main se mit à serrer si fort la mienne que je sentis ses ongles pénétrer ma chair.

 — Ensuite tu es venu, me coupa-t-elle.

 — Oui.

 Sa main relâcha légèrement son étreinte. Un frisson parcourut son corps et électrisa le mien. Je sentais ses pupilles irisées me fixer, mais n’osais toujours pas la regarder en face.

 Lorsqu’enfin j’eus le courage de croiser son regard, le rivage de ses yeux s’était chargé d’une écume salée.

 — Pourquoi, Nathan ? Pourquoi être resté silencieux tout ce temps ?

 Ce fut mon tour de serrer sa main dans la mienne et de plonger mon regard dans le sien. Bientôt la vague des émotions la submergea et un flot de larmes se déversa sur ses joues endolories.

 — Il fallait que je sache. Il fallait que je sois sûr.

 — Mais sûr de quoi ?

 — D’avoir raison de t’aimer.

 Il fallut encore vingt-quatre heures à la police pour authentifier l’enregistrement et une petite heure seulement au juge d’instruction pour décider de ma relaxe immédiate. Je n’en avais pas pour autant totalement fini avec la justice. Je devais encore répondre des chefs d’accusation de séquestration à l’encontre du livreur de pizzas, de non-respect d’assignation à résidence, de vol de scooter et de destruction de bien d’utilité publique après avoir coupé mon bracelet électronique.

 Heureusement pour moi, Chloé intervint auprès du livreur de pizzas et le persuada de retirer sa plainte. Le reste des charges retenues contre moi et la clémence du juge ne me valut que quelques dizaines d’heures de travaux d’intérêt général. Je fus également pleinement réintégré à l’école des Beaux-Arts.

 Quelques temps plus tard, Louis fut condamné pour tentative de viol, administration de substance illicite et corruption de témoins.

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