Chapitre 17

6 minutes de lecture

Paris, samedi 30 mars 2024

 Voilà plus d’un mois que j’étais tombé en disgrâce. Un mois que j’avais été suspendu de l’école des Beaux-Arts. Un mois que j’avais été assigné à résidence dans l’attente de mon procès pour tentative de viol. Un mois que je portais ce fichu bracelet électronique autour de la cheville. Un mois que je n’avais pas plongé mes yeux dans ceux de Chloé, que je n’avais pas susurré au creux de son oreille, que je n’avais pas respiré son parfum, que je n’avais pas senti ses hanches sous mes mains, ses lèvres sur les miennes. Un mois que je planifiais ma revanche.

 L’interphone m’arracha à mes chimères. Ma commande était arrivée. Je jetai un coup d’œil à la fenêtre pour étudier le livreur et son scooter.

 — 6ème étage gauche, sans ascenseur. Je vous offrirai un bon pourboire, indiquai-je au livreur à travers l’interphone.

 Quelques instants plus tard, il frappa à ma porte.

 — Bonjour ! Une formule pizza royale plus boisson ?

 C’était un jeune homme frêle, à peine sorti de l’adolescence. Je le dépassais facilement d’une tête.

 — Absolument. Allez-y, entrez et posez ça sur la table, je vais chercher de la monnaie.

 Je refermai la porte derrière lui et lui adressai ces mots :

 — Bien, je ne vais pas y aller par quatre chemins : soit vous me donnez les clés de votre scooter, soit je les prends de force. Décidez.

 — Pardon ?! Qu’est-ce que ça veut dire ?

 Sa voix tremblait déjà. L’effrayer définitivement n’en fut que plus facile :

 — Ça veut dire que si je n’ai pas ces clés dans les dix secondes qui viennent, vous vous réveillerez avec une rotule en moins.

 Son effarement me rassura quant à la crédibilité de mes menaces.

 — Te… Tenez, bafouilla-t-il en me tendant ses clés d’une main peu assurée.

 — Votre téléphone également.

 — V... Voilà.

 — Merci. Maintenant, installez-vous confortablement sur le canapé, la pizza est pour vous. Vous pouvez regarder la télé tant que vous voulez, je tâcherai de ne pas être trop long.

 Et je l’enfermai chez moi. Trente secondes plus tard, je démarrais son scooter et filais à toute allure dans les rues de Paris. Mon bracelet bipait sans discontinuer, signalant ma transgression. Bientôt tous les services de police de la capitale seraient à ma recherche. Tant mieux.

 Je stationnai le scooter volé au carrefour de la rue des Mathurins. Puis j’arrachai mon bracelet électronique à l’aide d’un petit canif et jetai le tout dans le caniveau. Alors que je me dirigeais vers la porte d’entrée du numéro 59, je vis un livreur de fleurs pénétrer à l’intérieur. Je courus pour profiter de la porte laissée entrouverte.

 — Merci, lui dis-je tandis qu’il me tenait la porte.

 Puis je fis mine d’aller vérifier mon courrier dans une boîte aux lettres prise au hasard. Alors que le livreur se dirigeait vers l’escalier, je l’interpellai :

 — Ce sont les fleurs pour Mme Lavoisier ?

 — Euh, oui, répondit le livreur, légèrement surpris.

 C’était l’un des vingt fleuristes que j’avais commandés pour chacun des vingt appartements que comptait l’immeuble. J’avais expressément demandé à ce que la livraison s’effectue entre 11 heures et midi ce jour-là. J’étais ainsi globalement assuré de tomber sur un livreur à mon arrivée en scooter. J’avais également mémorisé chaque bouquet, tout comme j’avais mémorisé il y a plusieurs mois de cela chaque nom présent sur l’interphone. Je reconnus ainsi immédiatement celui commandé pour Mme Lavoisier.

 — Elle habite au deuxième étage, porte de gauche, lui indiquai-je.

 — Mais elle vient de me dire à l’interphone qu’elle habitait au troisième étage, porte droite.

 — La pauvre dame vient malheureusement de perdre son mari. Si vous ajoutez à cela un début d’Alzheimer, vous comprendrez qu’elle puisse se tromper d’étage et d’appartement.

 — Ok, merci pour l’info.

 Il monta les escaliers et je fis semblant de me replonger dans la lecture de prospectus posés près des boîtes aux lettres. Dès qu’il eut disparu de mon champ de vision, je m’engageai à sa suite dans l’escalier.

 Sans me remarquer, il frappa à la porte de l’appartement de Chloé. J’avais conservé un accès à sa boîte mail et savais que ses parents étaient en déplacement ce week-end-là. J’étais donc certain que c’est elle qui ouvrirait.

 Dissimulé quelques marches plus bas, j’entendis la porte s’entrouvrir. Une fraction de seconde plus tard, j’envoyais valser le livreur et bloquais la porte, empêchant Chloé de la refermer. Elle se mit alors à hurler et se précipita à l’intérieur. Je refermai la porte à clé derrière moi et la poursuivis dans le couloir, lui intimant l’ordre de s’arrêter. Mais déjà elle se réfugiait dans la salle de bain, verrouillant la porte.

 — Chloé, ouvre-moi, je t’en prie. Il faut qu’on parle.

 — Va-t’en !!! s’égosilla-t-elle dans une terreur entremêlée de sanglots.

 — Ouvre-moi s’il te plaît. Tu sais bien que je ne te ferai aucun mal.

 Je perçus alors une autre voix de l’autre côté de la porte, plus étouffée celle-là. Elle était en train d’appeler Police-secours.

 Je donnai alors un grand coup de pied dans la porte qui s’ouvrit avec fracas. Chloé, prostrée dans un coin, en fit tomber son téléphone. Terrorisée, elle se releva et attrapa les ciseaux de coiffure posés sur le rebord du lavabo. Je fondis sur elle pour lui saisir les poignets et la contraindre à lâcher son arme.

 — Lâche-moi ! hurla-t-elle.

 Dans un réflexe de survie, elle me frappa le tibia d’un coup de talon bien senti, ce qui me déstabilisa suffisamment pour lui permettre de m’entailler profondément l’épaule avec sa paire de ciseaux.

 De douleur, je lâchai prise et elle en profita pour me bousculer et s’échapper de la salle de bain.

 Je la rattrapai dans le couloir d’entrée et la plaquai contre le mur :

 — Arrête ! S’il te plaît, arrête et calme-toi. Je ne te veux aucun mal.

 Elle pleurait et se débattait de toutes ses forces.

 — Laisse-moi !

 — Ecoute-moi !!! Je veux juste te parler.

 Elle se calma un peu mais refusait toujours de me regarder en face.

 — J’ai une seule question à te poser et ensuite je m’en irai.

 — Alors vas-y, pose-la ta question ! s’écria-t-elle.

 — Regarde-moi dans les yeux avant.

 Elle leva péniblement la tête et me fixa de ses yeux pleins de larmes.

 — Est-ce que tu penses réellement que je suis capable d’une telle abomination ?

 Elle ne répondit rien. Elle me regardait toujours fixement, des larmes ne cessant de couler sur son visage. Un bruit sourd frappa à la porte. Puis un second. Quelqu’un essayait de défoncer la porte. La police, très certainement. Il ne me restait plus beaucoup de temps.

 — Réponds-moi !! Est-ce que tu me penses capable d’un tel geste ?!

 Elle me regarda alors comme jamais elle ne m’avait regardé. Ses yeux plongèrent littéralement en moi, comme pour sonder mon âme. Puis elle me délivra d’un simple mot :

 — Non…

 Je relâchai légèrement mon étreinte et elle poursuivit, toujours en pleurs, la voix tremblante :

 — Non, je ne le pense pas. Mais je comprends plus rien. Je comprends pas pourquoi tu m’as suivie, pourquoi il y a des photos de moi affichées partout chez toi. Je ne comprends pas pourquoi, pourquoi tu as tout gâché entre nous.

 Lorsqu’elle eut fini, des larmes de tristesse avaient chassé les larmes de terreur. Je relâchai maintenant totalement mon étreinte et reculai d’un pas. Puis je m’agenouillai et posai les deux mains derrière la tête. Du sang coulait abondamment de mon épaule. Je levai les yeux une dernière fois vers elle :

 — C’est tout ce que j’avais besoin d’entendre, tentai-je de la rassurer. Je suis désolé de tout ça, je vais me rattraper, je te le promets. Je te le promets...

 A peine avais-je terminé ma phrase que la porte vola en éclats et que la police entra pour m’interpeller.

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