Chapitre 3

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Paris, mercredi 28 mai 2025

Jour J, 7h29

Le soleil donnait faiblement à travers les volets de l’appartement du 7ème étage. Tout juste de quoi distinguer les formes du mobilier qui peuplait le lieu. Il faut dire que le ciel était aux nuages en cette matinée de mai.

La sonnerie brutale du réveil mécanique résonna dans la pièce. Nathan le fit taire immédiatement. Il était 7h30 et il n’avait fermé l’œil que deux ou trois heures cette nuit. Mais pas question pour lui de rêvasser plus longtemps, « La journée va être longue. », pensa-t-il en ouvrant ses volets.

Dans la pièce principale qui lui servait de chambre, il dut contourner les piles de couvertures, les cartons remplis à ras bord et la bonne demi-douzaine de bidons d’essence qui s’y entassaient avant de pouvoir rejoindre la salle de bain. Il entra dans la douche et actionna le robinet. Il avait pensé au début qu’il finirait par s’y habituer, mais près d’un an plus tard, il avait compris qu’une douche à l’eau froide resterait toujours aussi désagréable. Cette eau mordante sous laquelle frémissait sa peau, il fallait faire avec. Sa douche rapidement terminée, il se saisit de son rasoir. La glisse de la lame sur sa peau se faisait péniblement, il y a bien longtemps qu’on ne trouvait plus la moindre trace de mousse à raser dans tout Paris.

Alors qu’il tentait de se donner une apparence un peu plus présentable tout en évitant de s’écorcher une fois de plus, Nathan repensait inlassablement à la situation présente, à la situation de la France, à la situation de Paris, à sa situation à lui et surtout à celle de Chloé : voilà un an que nous avions perdu la guerre. Notre armée avait été anéantie dès les premiers jours, balayée d’un revers de main comme on écarte une mouche qui nous importune. Les descendants d’Hector avaient plié sous la supériorité écrasante des fils d’Achille. Toutes nos capacités de défense, nos stratégies opérationnelles, nos systèmes cryptés de communication, nos technologies d’armement, tout cela avait été infiltré, décrypté et rendu inopérant le moment venu. Ce fut un véritable massacre : nos bases militaires furent bombardés, nos avions de chasse incapables de riposter en situation de combat, nos navires de guerre restés en rade suite à des avaries moteur, nos sous-marins nucléaires d’attaque bloqués au fond de l’océan, remplis de marins condamnés à attendre la délivrance d’une mort atroce. Nos territoires d’outre-mer, postes avancés de la présence française à travers le globe avaient été parmi les premiers bombardés, rayés de la carte pour empêcher toute base arrière de se former et de venir porter assistance à la métropole. C’était ainsi que nos anciens alliés avaient facilement triomphé de la quatrième puissance militaire mondiale. C’était ainsi que l’honneur de la France fut bafoué par les Etats-Unis d’Amérique.

Un mouvement un peu trop rapide, une peau un peu trop rêche, une lame un peu trop usée, et le rasoir entailla légèrement sa joue droite. Il s’aspergea le visage d’eau froide et se regarda une dernière fois dans le miroir : les traces de fatigue sous ses yeux se lisaient comme autant de nuits passées à hurler en silence.

Nathan se dirigea à présent vers la cuisine, craqua une allumette au-dessus du réchaud à essence et y déposa une poêle. Pendant que les deux œufs qu’il avait cassés crépitaient au-dessus du feu, il porta son regard sur le mur face à lui. Celui-ci était recouvert de dizaines d’articles de journaux découpés dans la presse nationale. Nathan les y avait placés dans un ordre chronologique qui permettait d’expliquer, selon lui, comment la France en était arrivée là :

« Référendum britannique sur l’appartenance à l’UE : le OUI à la sortie l’emporte » ; « L’Union Européenne au bord de l’implosion en pleine crise grecque » ; « Réaction de la chancelière allemande à l’émission d’Euro-drachmes : “ La Grèce se place de facto hors de l’Union Européenne ” » ; « Scission de l’UE en 2 entités distinctes : la Mitteleuropa et l’Union Euro-Méditerranée (UEM) » ; « L’Allemagne se déclare confiante sur la viabilité à long-terme de la Mitteleuropa » ; « La France et l’Italie annoncent une Union Euro-Méditerranée “plus respectueuse des souverainetés nationales” » ; « Accord sur l’Euro : les 2 Unions se mettent d’accord pour préserver l’Euro comme monnaie internationale » ; « De la monnaie unique à la monnaie commune : retour sur le destin de l’Euro » ; « Sommet de Rome sur la crise migratoire : le président français se déclare déterminé à trouver un accord avec l’ensemble des pays de la méditerranée » ; « Naissance de l’Alliance Méditerranéenne : 24 pays du pourtour méditerranéen renforcent leur coopération pour résoudre la crise migratoire » ; « La Russie fait part de son intention de rejoindre l’Alliance Méditerranéenne » ; « Les Etats-Unis critiquent ouvertement l’adhésion de la Russie à l’Alliance Méditerranéenne sur fond de crise ukrainienne » ; « Vaste coalition de pays européens et du Moyen-Orient pour contrer l’Etat Islamique » ; « L’EI subit de sérieux revers militaires » ; « L’Iran annexe une grande partie de l’Irak et de la Syrie » ; « Israël menace de bombarder les positions militaires iraniennes au Levant » ; « Les Etats-Unis déposent un projet de résolution à l’ONU pour condamner l’annexion de larges territoires irakiens et syriens par l’Iran » ; « Paris et Moscou mettent leur veto au projet américain de résolution » ; « Le président iranien proclame officiellement la Nouvelle République de Perse » ; « Renforcement de la coopération militaire entre l’UEM et la Russie » ; « La Russie crée la première bourse de matières premières libellée en Euros » ; « La Perse annonce son intention de vendre son pétrole en Euros » ; « Washington déclare “légitime” la volonté d’indépendance des minorités sunnites en Irak et au Levant » ; « Le Kazakhstan fait du Yuan chinois sa deuxième monnaie légale » ; « Attentat sunnite au parlement perse de Bagdad » ; « la Douma russe adopte un projet de loi surtaxant les importations chinoises » ; « Violente correction boursière à la bourse de Paris suite à la condamnation record de l’entreprise Total aux Etats-Unis » ; « Grave incident technique sur le site nucléaire du Tricastin » ; « “Les fuites radioactives sont désormais toutes colmatées” annonce l’Autorité de Sûreté Nucléaire » ; « l’incident du Tricastin serait dû à un virus informatique » ; « La France expulse l’ambassadeur des Etats-Unis, pays soupçonné d’être à l’origine de l’attaque informatique sur la centrale du Tricastin » ; « Les Etats-Unis nient toute implication et accusent des hackers nationalistes russes » ; « La chine annoncent avoir elle aussi subi des avaries techniques sur deux de ses centrales nucléaires et pointe du doigt la Russie » ; « Incursions d’avions de chasse chinois en territoire russe, Moscou met en garde Pékin » ; « Mouvements de troupes chinoises au Kazakhstan dans le cadre d’exercices militaires conjoints, Moscou renforce sa présence militaire à la frontière kazakh » ; « Krach financier à la bourse de Hong Kong, Pékin accuse Moscou et Paris » ; « La banque britannique HSBC en faillite suite au Krach de Hong Kong » ; « Forte dépréciation de la Livre Sterling suite au plan de sauvetage massif de la HSBC» ; « Le Royaume-Uni s’enfonce dans la crise financière ».

Plus un jour ne passait sans qu’un nouvel incident diplomatique entre la France et les Etats-Unis ou leurs alliés ne fasse la Une des journaux. Ne manquait plus que l’assassinat d’un nouvel archiduc pour déclencher l’inéluctable.

Et ce jour arriva le 18 juin 2024 : un attentat contre une base militaire américaine à Djibouti fit plus de 260 morts. Deux jours plus tard, le président des Etats-Unis annonçait lors d’une allocution télévisée avoir la preuve de l’implication de services de renseignement occidentaux dans cet attentat. Il ne faisait alors guère de doute quant à la nationalité des services de renseignement visés par le président américain. La presse française ne s’y trompa pas en titrant dès le lendemain matin :

« La France au bord de la guerre ? »

La suite des événements corrobora cette crainte. Dans la nuit du 21 au 22 juin 2024, quelques heures seulement après la déclaration de guerre de la Chine à la Russie, les Etats-Unis avaient déclenché contre la France ce qu’ils appelaient une « guerre préventive ». Comme beaucoup, les Etats-Unis connaissaient la plus grande faiblesse française : sa capitale. Ils savaient pertinemment que le cœur de la politique française irriguait le pays depuis Paris, que son poumon économique insufflait son oxygène depuis Paris, que son bras armé était commandé depuis Paris. Tout se décidait à Paris. Rayez Paris de la carte et vous obtiendrez une France aussi désorientée qu’impuissante.

Après avoir bombardé les principaux lieux de pouvoir parisiens, l’aviation américaine, qui avait décollé depuis des bases militaires britanniques, pilonna massivement le boulevard périphérique parisien. Le Périphérique, cette ceinture routière de 35 km qui encerclait Paris et en désengorgeait le trafic intra-muros, fut entièrement détruit en moins de trois heures. Les tunnels du métro qui passaient au-dessous subirent le même sort. Douze heures plus tard, des bataillons entiers de militaires américains du génie avaient achevé l’installation d’une clôture de barbelés sur les ruines de ce Périphérique. Cette installation fut complétée dans les jours qui suivirent par une multitude de mines antipersonnel, sentinelles, miradors et autres radars destinée à empêcher toute personne de quitter la capitale. Une semaine plus tard, c’est un mur en béton de 8 mètres de haut qui ceinturait Paris. Les ruines du boulevard périphérique enfermaient désormais les parisiens dans une gigantesque prison à ciel ouvert. Tragique ironie quand on se souvient que c’est sous ce même boulevard que reposent les ruines de l’enceinte Thiers, enceinte qui en son temps protégeait Paris des invasions étrangères.

L’odeur des œufs au plat cuits arracha Nathan à ses pensées. Il coupa immédiatement le réchaud pour économiser son essence. C’était un réflexe auquel on s’habituait vite en situation de pénurie, car excepté l’eau dont le réseau de la ville avait été préservé, la moindre goutte d’essence, la moindre pile électrique ou la moindre bouchée de pain était devenue chose précieuse.

Nathan attrapa une assiette et des couverts et installa rapidement le tout sur une table. Celle-ci trônait au milieu d’une pièce totalement ronde attenante à la cuisine. C’était un endroit où il avait aimé passer du temps. Les nombreuses fenêtres de la tourelle lui offrait une vue à 240° sur Paris et le parc Monceau tout proche. La présence de cette petite pièce ronde et sa vue imprenable était même la raison principale pour laquelle il avait emménagé ici. Mais aujourd’hui cette vue le déprimait plus que toute autre chose. Elle se résumait désormais à un parc dévasté et dépourvu du moindre arbre ou bosquet. Sans compter ce no man’s land périphérique qu’on pouvait apercevoir au loin, derrière le parc.

Il détourna son regard et le posa brièvement sur une pile de documents rangés en bout de table. Au sommet de cette pile se trouvait une feuille d’un blanc cassé, de mauvaise qualité, sur lequel une écriture dactylographiée n’avait que très légèrement imprimé le papier. Il fallait s’approcher pour distinguer le contenu du message. Il était daté du 11 novembre 2024 et commençait par ces quatre mots : à tous les français.

A TOUS LES FRANÇAIS

Jamais la France ne disparaîtra !

Une fois encore elle se relèvera !

Depuis plusieurs mois, notre pays est outragé, brisé, martyrisé.

Certes, nous avons été, nous sommes, submergés par la force mécanique, terrestre et aérienne de l'ennemi.

Mais infiniment plus que leur puissance de feu, ce sont la sournoiserie, la ruse et le manque d’honneur de l’ennemi qui aujourd’hui nous font mettre genou à terre. Ce sont la déloyauté et la traîtrise des Américains qui ont surpris notre pays au point de l’amener là où il en est aujourd'hui.

Paris en particulier fait l’objet d’un odieux blocus. Je sais la souffrance qui est la vôtre. Je sais l’humiliation que vous ressentez chaque fois qu’il vous faut quémander votre ration alimentaire auprès de l’ennemi. Je sais la peur qui est la vôtre à l’idée de passer cet hiver dans le froid, sans rien d’autre pour vous réchauffer que la flamme de l’espoir. Mais je sais aussi que vous pouvez compter sur ces milliers de parisiens, policiers, pompiers, médecins, infirmiers ou anonymes, qui chaque jour se démènent pour garantir votre sécurité et votre santé, dans le dénuement le plus total, alors que tout matériel électrique est inutilisable depuis le black-out et que le stock de médicaments disponibles devient critique.

Mais le dernier mot est-il dit ? L'espérance doit-elle disparaître ? La défaite est-elle définitive ? Non !

Croyez-moi, moi qui vous parle en connaissance de cause et vous dis que rien n'est perdu pour la France.

Paris n’est pas seule ! En dehors de ces murs, les français se mobilisent pour résister à l’envahisseur et venir nous secourir. Leur situation n’est guère meilleure que la nôtre : les mouvements de résistance y sont tout aussi durement réprimés qu’ici, l’ennemi a coupé tous les moyens de communication sur le territoire national et use de la presse régionale pour diffuser son abjecte propagande. Et pourtant, on ne peut compter le nombre de nos compatriotes qui, chaque jour, rejoignent les rangs de la résistance pour mener la lutte et venir délivrer leurs frères et sœurs de la capitale.

Nous pourrons également bientôt compter sur l’assistance de nos alliés européens. Plusieurs pays sont actuellement en train de revoir leurs systèmes de défense pour ne pas subir les mêmes avaries qui furent les nôtres lors de l’assaut ennemi. Mais cela demande du temps, il est de notre devoir de tenir jusque-là. Quant à la Russie, celle-ci subit l’agression chinoise depuis maintenant cinq mois. Mais elle résiste bien mieux que ne l’espérait son agresseur. Je n’ai aucun doute quant au formidable appui que nous apportera notre allié russe lorsqu’il en aura terminé avec son front Est.

N’oubliez pas que cette guerre n'est pas limitée au territoire malheureux de notre pays. Cette guerre est en passe de devenir une guerre mondiale. D’immenses forces n’ont pas encore donné. Le destin du monde libre est là.

Quoi qu'il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s'éteindre et ne s'éteindra pas.

Valmy,

11 novembre 2024

Au fil des mois, une vingtaine d’autres tracts s’était amoncelée sur la table de Nathan, tous toujours aussi confiants quant à l’imminence de la libération de la ville et du pays. Mais force était de constater que les secours tardaient à arriver et que la vie dans Paris abandonné se faisait de plus en plus difficile.

Nathan avala ses œufs au plat d’une traite et jeta son assiette vide dans l’évier. Il traversa son appartement prestement, enfila un jean, un tee-shirt blanc et une légère saharienne. Il ajusta sa semelle gauche avant de mettre ses chaussures, tira énergiquement sur les lacets, les noua et attrapa la montre qui reposait sur le meuble dans l’entrée. 7h55. Plus question de traîner, il allait être en retard et détestait devoir courir. Cela attirait l’œil des badauds et des drones américains qui survolaient la capitale en permanence. En effet, qui aurait intérêt à courir dans une ville qui n’est plus soumise à la loi de l’horloge, où plus personne ne travaille, où plus aucun transport en commun ne fonctionne, sinon quelqu’un qui a quelque chose à se reprocher ?

Nathan dévala les escaliers et sortit dans la rue. L’avenue de Messine était encore relativement déserte à cette heure-ci. Et si le calme de la capitale était toujours appréciable, Paris manquait cruellement de son doux parfum printanier : pas un arbre n’avait survécu à la rudesse de l’hiver et les massifs de fleurs avaient cédé la place à des potagers improvisés. Ne restait plus que la froideur de la pierre et la noirceur du bitume. Cela expliquait certainement le profond mal-être que ressentait Nathan dès qu’il s’engageait le long de ces grands boulevards déboisés, passait devant cet Opéra Garnier désormais muet et bifurquait dans ces petites rues encombrées de carcasses de véhicules. Mais il lui fallait reconnaître au moins un avantage à la situation actuelle : si on faisait abstraction de ces ruelles transformées en cimetières pour voitures, Paris était plus propre que jamais. La situation de pénurie dans laquelle la ville était plongée avait cette vertu : le peu de déchets produit par ses habitants trouvait immédiatement une seconde vie auprès de spécialistes de la récup’ qui déambulaient en permanence dans les rues, à la recherche du moindre bout de carton à recycler. Ils les transformaient en toute sorte d’objets de première nécessité qu’ils revendaient contre des rations alimentaires.

Arrivé devant le numéro 44 de la rue d’Aboukir, Nathan marqua un temps d’arrêt. C’était un immeuble étroit avec une façade sans fioriture, sans charme. Personne ne prêtait jamais attention à ce bâtiment insignifiant, perdu au milieu de milliers d’autres. Et pourtant, si l’on y regardait de plus près, on remarquait des fenêtres étrangement opaques et toujours closes.

Nathan sortit une clé de la poche de sa saharienne, jeta un rapide coup d’œil autour de lui et pénétra rapidement à l’intérieur du bâtiment avant de refermer la porte à clé.

L’intérieur était pour le moins déconcertant. Enfin, si l’on pouvait vraiment parler d’intérieur, car le bâtiment était en réalité factice, il ne disposait que d’une façade. De l’autre côté de cette façade, rien. Ni toit, ni étage, ni habitation. Juste quatre murs et un trou béant au milieu qui servait auparavant à l’aération du RER. L’immeuble entier avait été racheté dans les années 80 par la société qui gérait les transports parisiens, puis évidé pour percer cette cheminée géante. Seule la façade avait été conservée pour préserver l’harmonie architecturale de la rue. Une simple grille reposait désormais au-dessus du gouffre abyssal.

Nathan s’en approcha, sortit une seconde clé de sa poche, ouvrit un cadenas et souleva une trappe découpée dans la grille de fer. En dessous, des arceaux en acier coulés dans le béton de la cheminée formaient une échelle qui disparaissait dans les profondeurs de Paris. Cette échelle était l’unique moyen d’accéder au réseau souterrain depuis que les américains avaient condamné tous les accès du métro. Nathan s’engouffra à l’intérieur et referma la trappe et le cadenas. Face à l’obscurité qui l’envahissait peu à peu, il veilla à ne rater aucune marche tout le long de la trentaine de mètres qui le séparait du sol.

Arrivé en bas, Nathan fouilla ses poches et en sortit une petite lampe torche à dynamo. Il donna quelques rapides mouvements de poignets sur la manivelle, et la lumière surgit. Nathan se trouvait sur les voies du RER, dans un tunnel entre deux stations. Il marcha sur une centaine de mètres avant de tourner dans un tunnel de raccordement. Là, une autre échelle à même la paroi remontait sur une quinzaine de mètres. Parvenu à son sommet, Nathan était désormais dans un des tunnels du métro parisien, plus proche de la surface que l’austère RER. Quelques dizaines de mètres plus tard, alors qu’il errait toujours dans ces galeries lugubres, Nathan se prit les pieds dans du fil de pêche, ce qui eut pour effet de faire sonner une cloche qui y était rattachée. L’écho du tintement se propagea dans tout le tunnel. Nathan s’immobilisa :

— Rome ? lança une voix au loin, perdue dans les ténèbres.

— Byzance, répondit Nathan.

— Bienvenue chez vous, Normandie.

— Heureux de l’entendre, Verdun. C’est toi qui es de garde aujourd’hui ? demanda Nathan en s’approchant de la voix.

— Ouep, chacun son tour.

Nathan dirigea sa lampe en direction de la voix. L’individu, très jeune, était maintenant tout proche, accroupi contre la voûte du tunnel et coiffé d’une simple casquette à la gavroche. A côté de lui, un klaxon à air comprimé à n’utiliser qu’en cas d’alerte.

— Tout le monde est déjà là ? le questionna Nathan

— Ne manque plus que toi. Comme d’hab’...

— Verdun, je n’ai pas encore eu l’occasion de te remercier pour ce que tu as fait. Je sais ce que cela représente et combien ça a dû être dur pour toi. Alors encore une fois, merci.

Le visage fermé et la mâchoire serrée, le dénommé Verdun réprima ses émotions pour ne rien laisser paraître de son affection. Puis il répliqua sèchement :

— Au lieu de me remercier, promets-moi plutôt d’aller jusqu’au bout et de la ramener parmi nous.

— Je t’en donne ma parole.

Sa promesse formulée, Nathan reprit son chemin, laissant ce Verdun reprendre son rôle de guetteur. Le tunnel effectuait à présent un virage sur la droite. Passé ce virage, on pouvait enfin apercevoir de la lumière. Nathan rangea sa lampe et pressa le pas.

La lumière des projecteurs de chantier projetait une lumière crue sur les parois de la station de métro. Les carreaux biseautés en faïence blanche qui recouvraient toute la station participaient efficacement à la réverbération de la lumière, tant et si bien qu’une dizaine de ces projecteurs suffisait à assurer un éclairage convenable. Suffisant en tout cas pour lire le nom de la station qui s’inscrivait en imposantes lettres blanches sur fond bleu : « Sentier ». Suffisant également pour distinguer les différentes affiches publicitaires restées collées contre la voûte. L’une d’entre elles horripilait particulièrement Nathan. C’était une de ces publicités pour chaîne de restauration rapide américaine, avec pour slogan: « Venez comme vous êtes ». L’amère ironie de cette publicité ne lui avait pas échappé. Sur l’emplacement d’à côté, une carte de Paris recouvrait une grande partie de l’encart publicitaire. De nombreux lieux, dont certains emblématiques de la capitale, y étaient marqués d’une punaise rouge. Un peu plus loin dans la station, une rame de métro était restée abandonnée sur le quai. Enfin, une moitié de rame de métro plutôt. L’autre moitié se perdait dans le tunnel opposé. La station s’était retrouvée totalement figée lors du black-out.

D’un geste agile, Nathan sauta sur le quai. En le comptant lui et le guetteur du tunnel, ils étaient sept dans cette station. A la mine grave que chacun arborait, Nathan eut la confirmation que cette réunion convoquée en urgence n’annonçait rien de bon.

— J’ai pris la responsabilité de commencer sans toi, asséna le plus grand d’entre eux.

C’était un homme métis, d’environ 1m90, solidement charpenté. Nathan, bien qu’également grand, avait l’ossature beaucoup plus fine et la silhouette plus élancée.

— Pas de problème, Castillon. C’est toi le chef aux dernières nouvelles, répliqua froidement Nathan.

— S’il te plaît, tempéra l’homme dénommé Castillon.

Nathan acquiesça de la tête en signe de ralliement :

— Je t’écoute, Castillon.

— Ça ne sera pas bien long à expliquer : on lance l’opération Durandal aujourd’hui, déclara-t-il.

— Comment ?! Mais on n’est absolument pas prêts ! protesta Nathan.

— Normandie, les ordres viennent de Valmy lui-même. L’opération doit être lancée à quatorze heures aujourd’hui même. Je sais que nous sommes prêts. On se prépare pour ce jour depuis des mois et je ne vois aucune raison objective de repousser cette date.

— Et Camerone, ce n’est pas une raison suffisamment objective pour toi ?!

— Dans mon bureau, immédiatement, commanda Castillon à Nathan en désignant la rame de métro derrière lui. Les autres, allez prévenir Verdun et préparez le matériel, on part dans vingt minutes.

Ils entrèrent tous deux dans la voiture de tête du métro. Castillon referma les portes et alluma une lanterne de camping suspendue au plafond. Au milieu des sièges en tissu bleu d’un goût douteux, une table avait été installée et de nombreux rapports s’y étaient entassés au fil des missions de surveillance. D’une froideur sans pareille, seule la présence d’un drapeau bleu blanc rouge apportait un peu de chaleur au lieu.

— Tu peux pas lui faire ça ! Pas maintenant, pas après tout ce qu’on vient de faire.

— S’il te plaît, le coupa Castillon, écoute-moi.

— Non Charles, non, je vais pas rester là à t’écouter me convaincre d’effectuer cette opération alors qu’on sait tous les deux quelle en sera la conséquence pour Chloé.

— Cette opération se fera sans toi.

— Quoi ?

— Je ne t’ai pas tout dit. Ni à toi, ni aux autres d’ailleurs. Si cette opération doit être lancée aujourd’hui, il y a une raison à cela.

— Je ne comprends pas. Qu’est-ce qui a bien pu décider le haut-commandement à avancer la date de l’opération ?

— Ils vont bombarder Paris, Nathan. A la fin de cette journée, Paris ne sera plus qu’un tas de cendres.

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