Chapitre 6

2 minutes de lecture

Je me mis en devoir de parcourir à nouveau ce que mon mari nommait autrefois "notre grande maison" et qui s'apparentait aujourd'hui à une coquille vide. Depuis presque deux mois, je n'avais guère habité que la minuscule chambre de bonne des combles, ne descendant à la cuisine que pour me préparer de temps à autres un repas frugal vite expédié.

La vaste salle à manger était fort triste avec sa grande table monastère, ses chaises tapissées et ses rideaux de velours. Les hauts plafonds s'ornaient de toiles d'araignées et la poussière, telle un linceul, avait recouvert meubles et bibelots.

Le poêle éteint du petit salon regorgeait de cendres anciennes que j'aurais dû jeter depuis longtemps.

Les quelques chambres que nous avions aménagées semblaient austères derrière leurs volets clos et les pièces vides me jetèrent à la face leur haleine glacée lorsque j'en entrouvris les portes.

Cependant, l'agent immobilier qui procéda à la visite deux jours plus tard, ne cacha pas son enthousiasme : vaste surface habitable, grand jardin, garage, le bien était selon lui exceptionnel et son potentiel élevé. Il était quasi certain de trouver un acquéreur dans la semaine, me confia-t-il.

De mon côté j'arguai le décès de mon mari, notre projet avorté de chambres d'hôtes et les difficultés d'entretien d'une telle surface pour justifier ma hâte de vendre. Je laisserais d'ailleurs sur place la plupart des meubles, que je jugeais trop encombrants.

Je passai la fin du mois d'août à faire du tri et à préparer mes bagages ; ceux-ci tinrent dans deux valises et quelques cartons : mis à part mes vêtements et mes livres, je n'emporterais rien, sauf la table de nuit que mon père m'avait fabriquée lorsque j'étais enfant, et qui m'avait suivie dans tous mes logements successifs, jusqu'à ma petite chambre des combles.

Il me fallut me défaire de ses affaires à lui. J'entassais chemises et pantalons dans une grande malle destinée à la croix rouge lorsqu'un pull-over bleu marine retint mon regard et mes mains et fit affluer à mon cerveau une foule de souvenirs : aucun doute, c'était celui qu'il portait lorsque, pour la première fois, il m'avait serrée contre lui avec toute la tendresse dont il était capable de faire preuve avant. Qu'il l'eût conservé toutes ces années m'émut soudain. Je pliai avec soin le vêtement, et le déposai dans ma valise.

Je m'installai dans un studio pour étudiant, au premier étage d'un immeuble qui faisait face à la gare. J'avais d'emblée apprécié l'escalier en chêne qui sentait l'encaustique, la petite cuisine minimaliste mais fonctionnelle et le lit en mezzanine qui me rappelait mon enfance. La propriétaire avait semblé quelque peu surprise, mais elle avait compris que j'avais besoin d'un pied à terre provisoire après ce qu'elle avait appelé "un accident de la vie".

Je passais de longues heures accoudée à la fenêtre, à regarder inlassablement les trains...

La rentrée scolaire me trouva particulièrement calme et apaisée. Je ne ressentais étrangement rien de l'angoisse latente qui d'ordinaire caractérisait pour moi les premiers jours de septembre.

A bien y réfléchir, je savais peut-être déjà ce qui s'imposerait à moi lorsque après avoir bouclé mon cartable et vérifié ma tenue dans le miroir, au lieu de me rendre au collège, je m'assis au petit bureau blanc et rédigeai ma lettre de démission.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Ninib ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0