Chapitre 126 : lundi 24 octobre 2005

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- Grrr....

Maureen sourit. Il était 3h de l'après-midi. Ils étaient rentrés très tard, sur le matin, après avoir fêté comme il se devait l'anniversaire de Sam. Très tard, et pas très frais... La bouteille de whisky d'Oban, celle de Stirling, en avaient pris un sacré coup. Sans compter le reste. Ils étaient une quinzaine dans le petit appartement de Sam. Les voisins avaient fini par s'inviter, sachant pertinemment qu'il leur serait impossible de dormir tôt.

Maintenant, elle s'efforçait de sortir Mickaël du lit.

- Trop tôt, grommela-t-il. Laisse-moi encore dormir...

- Tu m'avais dit : "Réveille-moi pour le début d'après-midi." Il est 15h.

- C'est pas possible que j'aie dit ça...

- Si, si. J'ai des témoins, fit Maureen en souriant.

- Humpf... Mais pourquoi veux-tu que je me lève maintenant ? Vu l'heure, autant rester au lit. Il va bientôt faire nuit, dit-il en gardant les yeux fermés.

- Tu exagères un tout petit peu. Enfin, tu fais comme tu veux. Moi, je sors, j'ai envie de prendre l'air.

- Non... Me laisse pas tout seul... dit-il en tendant le bras pour tenter de la retenir.

Un léger rire lui répondit et il entendit la porte de la chambre s'ouvrir, puis celle de l'appartement se refermer. Il soupira, enfouit sa tête dans l'oreiller et se rendormit.

Maureen descendit jusque chez elle. Elle voulait renouveler l'eau de ses fleurs et faire ses comptes, ce qu'elle n'avait pas fait la veille, car elle avait aidé Mickaël à préparer une partie du repas d'anniversaire de Sam. Elle releva son courrier et s'étonna. Une lettre de son frère était arrivée. Elle s'occupa rapidement de ses fleurs, puis monta chez elle, s'installa dans la cuisine et ouvrit la lettre.

Chère Maureen,

A mon tour, je me permets de t'écrire. Tara m'a donné de tes nouvelles. Elle m'a dit aussi qu'elle t'en avait donné de toute la famille et que tu t'inquiétais d'Emily. Je tiens à te rassurer, sa fin de grossesse se passe bien, comme les premiers mois d'ailleurs. Nous nous réjouissons de l'arrivée de ce nouveau bébé, et les deux aînés sont impatients.

Tara m'a aussi informé de ta situation à Glasgow. Je suis quelque peu surpris de ton choix, de ta nouvelle vie. Néanmoins, Tara m'a dit que tu étais heureuse, alors sans doute est-ce l'essentiel. Je ne veux pas te juger, Maureen, je ne connais pas Mickaël, mais si je t'écris, c'est pour que tu comprennes bien pourquoi il vaut mieux ne pas parler de toi, de lui, à nos parents. Il ne sert à rien de leur écrire. J'ai parlé avec eux, de toi, il y a deux mois. J'ignorais alors encore que tu étais "avec" quelqu'un. J'essayais juste de savoir comment ils étaient disposés vis-à-vis de toi. Dès qu'on prononce ton nom, papa s'énerve, la colère n'est pas loin. Quant à maman... Son visage se ferme et elle n'a que le mot de "honte" à la bouche. Alors, je ne pense pas qu'il soit judicieux de leur parler maintenant de ton ami. Il faut attendre encore, Maureen, j'espère que tu le comprendras.

J'espère sincèrement que tu comprendras ma démarche, mes remarques, petite sœur. Prends soin de toi, ne te trompe pas non plus de chemin... Bonne chance à toi. Je t'embrasse.

Kenneth

Les sourcils de Maureen se froncèrent, ses doigts se crispèrent sur la feuille de papier. Puis, soudain, elle se leva, repoussa sa chaise un peu rudement et se dirigea vers la fenêtre. Les mots sortirent d'un coup :

- Il n'est pas "mon ami" ! Mickaël est mon compagnon ! Je vis avec lui ! Il est l'homme que j'aime ! Il est l'homme qui m'aime ! Qui m'aime vraiment ! Et il se fiche bien des apparences, des qu'en dira-t-on ! Et moi aussi, vous entendez ? Moi aussi ! Maman peut bien avoir honte ! Papa peut bien se mettre en colère ! S'il n'y a que cela qui compte pour eux... Qu'ils se fichent de savoir leur fille heureuse ! Et bien, ils ne le sauront pas ! Ca, c'est certain, Kenneth, je ne ferai pas d'esclandre... Mais personne ne m'empêchera d'aimer Mickaël. De vivre avec lui. D'être heureuse avec lui. Personne...

Elle respira un grand coup, eut soudain l'impression d'étouffer. Il fallait qu'elle sorte. Il fallait qu'elle aille marcher, qu'elle puisse se calmer. Tant pis pour ses comptes. Elle les ferait demain soir ou dans la journée, si elle avait peu de clients, comme souvent en début de semaine.

Elle referma la porte de l'appartement, laissant la lettre ouverte sur la table de la cuisine. Elle avait l'intention de faire le tour du quartier, en descendant jusqu'à la rivière. La promenade lui fit du bien, mais elle sentait qu'elle ruminait encore. Le soir tombait, elle décida de rentrer, de retrouver Mickaël. De retrouver l'homme qu'elle aimait. Et qui l'aimait. Pas Brian. Mickaël.

Quand elle arriva dans la ruelle, elle sourit et se sentit un peu réconfortée : la lumière était allumée dans l'appartement, il était donc levé. Dans quel état, ça... Elle le découvrirait d'ici peu. Au moins, il n'était plus au lit. Elle grimpa rapidement le petit escalier, ouvrit la porte. Un parfum de pommes l'accueillit. Il était à la cuisine, en train de préparer une tarte. Elle perçut aussi la légère odeur de vanille et songea qu'il avait peut-être agrémenté la compote avec celle qu'Ann-Aël lui avait envoyée. Mais elle ne s'attarda pas à cette pensée. Elle traversa à grands pas l'entrée, la cuisine, si vite et un peu brusquement qu'il eut à peine le temps de se retourner et la regarda venir avec étonnement. Elle avait les joues rosies par le vent frais de la marche, les cheveux un peu décoiffés. Ses yeux étaient magnifiques. Il y lut un peu de colère, beaucoup d'énergie et énormément d'amour. Il eut juste le réflexe de poser le sac de farine et la cuillère qu'il tenait à la main, car elle ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit et le plaqua contre le plan de travail pour l'embrasser passionnément.

La surprise fit vite place au plaisir et lui répondit de la même manière, la prenant par la taille. Quand elle le lâcha, ce fut pour plonger son regard dans le sien et lui dire avec assurance :

- Mickaël, qu'est-ce qui compte vraiment pour toi ? Vraiment, vraiment.

- Etre heureux, répondit-il d'emblée. Avec toi. Vivre avec toi. T'aimer. Etre aimé de toi. Le reste, c'est secondaire. Pourquoi ?

- Tu t'en fiches qu'on soit mariés ou pas ? Qu'on vive "dans le péché" ?

- Totalement. Mais si c'est important pour toi... Je veux bien te passer la bague au doigt !

Et il l'embrassa à son tour, à lui en couper le souffle.

- Il y a quand même une chose importante à faire avant, dit-elle avec gravité.

- Laquelle ? s'étonna-t-il.

- Faire cuire ta tarte aux pommes !

Et ils éclatèrent d'un grand rire joyeux. Il la reprit par la taille, la fit tourner plusieurs fois avant de la reposer et de la laisser s'appuyer contre la table. Il se campa devant elle, ses yeux étaient pleins de gaieté et d'amour, de ce vert profond qui lui faisait toujours penser aux Highlands, à leur nature sauvage.

Et à la liberté.

Les mains toujours posées sur la taille de la jeune femme, un léger sourire aux lèvres, alors qu'un éclat de bleu s'allumait dans ses yeux, il lui dit :

- Mademoiselle Maureen, vous êtes une femme extraordinaire. Et moi... Moi, je suis votre homme. Votre compagnon, votre petit ami, votre mari, ce que vous voulez, mais votre homme. Et je vous aime. Et je peux le crier sur tous les toits de Glasgow et de Dublin, dans les vallées profondes ou aux sommets de toutes les collines des Highlands, si c'est ce que vous voulez. Je le ferai. Je vous aime. Je vous aime !

**

- J'étais sérieux, Maureen, tout à l'heure.

Ils étaient étendus dans le lit. Elle, couchée sur le dos, lui, sur le flanc, et il la regardait avec tendresse, en jouant délicatement avec une des mèches de ses cheveux.

- Sérieux de quoi ? demanda-t-elle.

- Pour le mariage. Si tu veux.

- Tu crois que c'est vraiment important ?

- Non, si c'est pour faire comme tout le monde ou si c'est pour sauver des apparences, répondit-il. Mais oui, si c'est vraiment par amour.

Elle tourna légèrement la tête pour le regarder de côté.

- Je me suis mariée une fois, par amour. Enfin, je croyais que c'était par amour, dit-elle simplement.

- Tu l'as vraiment fait par amour, à l'époque. Tu te souviens, tu m'avais dit que tu n'avais pas vraiment réfléchi, pas vraiment eu conscience non plus de ce que cela représentait. Je crois que tu ne savais pas que cela pouvait aussi se faire juste pour faire bien... Je crois que tu étais sincère dans tes sentiments.

- Parfois, je me le demande... fit-elle. Je n'en suis plus très sûre...

- Qu'est-ce qui te fait douter de ce que tu as été ? demanda-t-il doucement.

- Si je devais le refaire... Ou plutôt, si je remontais le temps avec l'expérience et la maturité que j'ai aujourd'hui... Je ne le referais pas. Indépendamment de t'avoir rencontré, tu comprends ce que je veux dire ?

- Oui.

- Alors, aujourd'hui, je me pose la question de savoir si c'est vraiment important, expliqua-t-elle.

- Ce sont les échanges avec ta sœur qui te font réfléchir à tout cela ?

- J'ai aussi reçu une lettre de mon frère, de Kenneth. Et je crois que ce sera très dur d'aller à Dublin, du moins, de revoir ma famille. Mon frère m'a prévenue : les ressentiments de mes parents envers moi sont encore très forts. Tara ne le m'avait pas dit aussi franchement, aussi "brutalement" que lui. C'est pour cela aussi que je doute. Les apparences sont parfois si fortes ! Il y a un tel poids... Je ne veux pas le refaire juste pour faire bien... Juste pour pouvoir dire : "Maintenant, je suis remariée, alors vous allez accepter de me recevoir avec mon mari. Vous n'allez pas pouvoir nous fermer la porte..."

- Si tu penses que ce serait le seul moyen d'être reçus dans ta famille, alors, restons comme nous sommes. Car, en effet, ce serait se contraindre à respecter des codes et des obligations. Et moi, ça me dépasse. Je veux dire, ce que je ressens pour toi, ça dépasse cela. Moi, je veux être heureux, c'est tout. Et avec toi, je le suis. Comme je ne l'ai jamais été avant. J'aime ce que tu es, je t'aime telle que tu es. J'aime ce que nous faisons, ensemble, cette entente entre nous, pour tout. J'aime pouvoir prendre soin de toi, partager des choses avec toi. Ce respect que tu as pour moi, aussi, cette compréhension. Je ne connais pas beaucoup de filles qui n'auraient pas fait la tronche parce que je suis rentré trop soûl de la fête d'anniversaire d'un ami. J'aurais eu droit à une vraie prise de tête le lendemain ! Un réveil en fanfare ou je ne sais quoi...

- Ca me semble normal d'avoir envie de s'amuser... expliqua-t-elle. Ce n'est pas comme si tu rentrais ainsi tous les soirs... J'en ai vu, quelques jeunes gars, parmi les amis de mes frères, déjà alcooliques et dépensant au pub ce qu'ils avaient gagné dans la journée... Débrouille-toi après pour faire vivre une famille ! C'est bien différent.

- Oui, et je tiens à ce que cela le reste. Parce que l'alcool, c'est une drogue, dit-il. Mais c'est aussi un plaisir. Et je veux que cela reste un plaisir. Comme la nourriture. Et comme le cigarillo pour Harris...

- Et pas la cigarette pour Sam, dit-elle avec un peu d'amusement.

- Voilà, sourit-il en retour.

Il se redressa un peu, déposa un léger baiser sur sa tempe, puis chercha ses lèvres. Il laissa son visage juste au-dessus du sien :

- Maureen, si on se marie, c'est parce qu'on s'aime. Mais ce n'est pas parce qu'on s'aime, qu'on doit se marier.

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