Un peu plus près de ses poils

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— Allez venez ! Allons bouffer l'horizon ! flamba soudain Fringard, saisi d'une idée en plein milieu d'une tournée.

Mais son mugissement alla se perdre dans la fête. C'est alors, rugissant, qu'il empoigna son barde et sa belle, défonça l'entrée et se jeta dans l'aube bleutée.

— Et l'intrépide vainquit le banquet, perforant son ventre, ce baril, pour se déverser dans la nuit, armé de sa fougue gracile ! chanta le barde, tiré sans ménagement vers il ne savait trop où – mais s'en fichait, du moment qu'il pouvait coller son chouchou.

Un chouchou des plus imbibé, pouvait-on en juger à la démarche alambiquée du fêtard.

— Attend moi (sinistre alcoolique sans cervelle) Fringard, le héla Poivre-et-sel en déboulant à son tour hors du bordel.

— Mais pourquoi t'appellent-ils tous Fringard, mon beau ? s'inquiéta l'opulente Lulu, s'agrippant au puissant gaillard.

— Sais pas, ma poule, mentit-il. Et c'est pas mon problème. Mon problème c'est savoir où pioncer dans tes bras dorés. T'aurais pas une piaule quelque part dans c'te poisse ?

— Oh moi aussi, je me meurs de fatigue, claironna Piroulette en s'avançant vers les flancs portuaires en faisant la roue.

— Oh, que voilà de jolies pirouettes ! Ton ami est charmant, mon gros pioupiou, minauda Lulu. Hélas, je ne puis t'offrir ce que tu désires pour la nuit, ajouta-t-elle en l'enlaçant tendrement. Mon oncle Manbuldus m'a jeté dehors, je dépends de toi, pour ce soir.

Son clin d'œil refléta l'aube naissante. Fringard l'aurait bien bouffée sur place. Mais Poivre-et-sel se rappliqua et cassa l'ambiance d'un « Nous n'avions pas fini notre entretien, narrateur, tu n'as... »

— Gna gna... Tu commences à devenir fatigant. T'as rien d'autre à foutre, le vieux ? grinça Fringard, en baladant ses mains à des endroits de Lulu que l'honneur nous fera taire. Genre, tu pourrais occuper l'autre chanteur et me permettre d'aller trouver une chambre à c’te charmante ?

— Ma parole l'ami, s'exclama le quadra, trop snob pour être vrai. Tu as le plus grand pouvoir de l'univers et tu ne penses même pas à t'en servir (c'est parfait) !

— Toujours à marmonner dans ta barbe croûteuse... Ben tiens, t'as raison, j'vais faire en sorte que tu ne l'aies plus, hop, ce sera vite fini ! Attends...

L'horreur naquit alors sur le visage parfait de Poivre-et-sel. Perchées sur l'horizon, les six reines (que tout le monde avait oubliées) n'en perdaient pas une miette. Elles se mirent à rigoler franchement, surtout l'une d'entre elles, qui partit d'un ricanement fou, un rire de vengeance.

— Les mouettes s'amusent... commenta Fringard qui, pris d'une furieuse envie, commença à uriner, à contrevent – ce faisant, il continua son propos : qu'est-ce que j'disais moi ? Ah oui ! Attends... Je cherche l'inspiration.

— Non, mais ce n'est pas la peine, insista le vieux. Je t’assure, et puis sans cette barbe tout le monde verrait les décombres de ma vilaine vérole passée, doublée d'une acné. Non, vraiment. Cherchons plutôt un endroit où dormir ! D'ailleurs nous pouvons toujours aller à Beoffroy...

— Hin hin, c'est ça... Tais-toi et écoute, car j'ai trouvé ! fit le narrateur, s'éclaircissant la voix. Il existe en ce monde une créature funeste et mystérieuse, la nuit elle volète de coupes en poils, de barbes en cils (il fit un clin d'œil à Piroulette, histoire de dire : moi aussi je sais faire de belles phrases). Elle caquette dans l'ombre, glougloute parfois. Là où elle passe, tifs et toisons trépassent, car elle mordille tout ce qui dépasse, queue-de-cheval comme tignasse. Personne n'en parlait jusqu'à présent, mais les chauves la dénoncent à l'instant d'un vibrant "Balance ta quoi ?". Oui, quoi ? Ils en sont persuadés, leurs poils ne s'effondrent pas, dépressifs, non ! Ils savent où sont passés leurs tifs : disparus dans la bouche mulassière de la Croquatif !

— Joli, argua le barbu plaintif. Mais ça ne suffira pas (et je mesure l'étendue de ton incompétence, poétique comme...

— Je n'ai pas fini ! trancha l'autre, poursuivant : elle évoque le coq, elle en a même l'allure, mais sa bouche est celle de l'âne. Ses ailes sont celles d'une chauve – ah ah – souris, son corps celui d'une dinde chétive et déplumée, ses pattes celles d'une araignée et sa queue celle d'un perce-oreille aux fesses acérées. (Fringard sourit, machiavélique) La Croquatif vit en bord de mer, proche des villes, sinon dedans. Et adore mordiller les barbes des enquiquinants...

— Fringard ! Je ne te permets guère, tu ne peux pas me faire ça, je suis le seul à avoir accepté de t'aider jusqu'à présent (sinistre cancrelat vagissant) ! fit le quadra en sentant sa bouche tirée vers le bas. C'est comme cela que tu remercies celui qui... Mais quoi ? s'insurgea-t-il en voyant Fringard et Lulu rigoler.

— Non, non continue, admit le chevalier, se retenant tout en pinçant sa dulcinée.

— Ce pouvoir est une réelle responsabilité, pas un jouet ! reprit Poivre-et-seul toujours plus alourdi. Tu ne dois pas l'employer à des choses triviales (c'est bien l'apanage des vrais génies de... Mais qu'est-ce qu'il... ma parenth...) Que se passe-t-il, enfin ? C'est quoi ce bruit ?

— Rien, pouffa le preux, serrant Lulu, tandis que Piroulette revenait de ses pérégrinations, curieux.

— Mais Fringard, mon héros joli, pérora-t-il, joyeux. Qu'a donc ton bon ami ? On dirait sa toison dévorée par un coquelet malheureux !

Le quadra baissa alors les yeux et vit le regard triste d'un petit poulet aux dents d'ovin qui tétait sa barbe d'un air coupable.

Outré, Poivre-et-sel cria, s'époumona, s'agita en tous sens, en toussant. La bestiole alla de gauche à droite, de bas en haut, au gré des aléas de sa barbe, rebondissant. L'air morne, elle aspirait ses poils aigris comme l'italien biberonne ses spaghettis. Dérangée dans sa dégustation, elle semblait ne rien vouloir lâcher.

— Au secours, à l'agonie ! beuglait le beau-gosse terni sous le regard hilare des trois amis.

— Fera moins l'malin, du coup, s'enorgueillis le héros rigolard en empoignant sa belle comme on saisit un trophée – ou une tranche de lard.

— Hi hi, ponctua Lulu, inspirée comme jamais, tandis que Piroulette, jaloux, s'interposait.

— Notre héros, guère farouche, d´une troublante créature mythologique accouche ! rima sans ménagement le trouvère, rêvant. À la chimère qu'on appelait coquatrice, il ajouta de tout nouveaux artifices. Dorénavant, la coquette, tout en poils et écailles, se délectera de plages, de parenthèses et de tifs bancals. Planquez-vous, coiffeurs ; déprimez donc, barbiers. Car la Croquatif au chômage va vous jeter !

Et tandis que Fringard lui murmurait « Euh... ta gueule, trouvère », Poivre-et-sel commençait à se rouler par terre, avant d'être immobilisé par la puissante poulette.

— Tu me le payeras Fringard, espèce de... Merde ! Ma barbe !

A cet instant, en un furieux bruit de slurpation, poupoule finit d'aspirer son plat de pâtes, tel Ottavio descendant ses linguinis sur la piazza Martoni - en Italie - avec une avidité bestiale. La toison, en un instant, disparut.

Fière, la Croquatif, d'une de ses pattes poilues, frotta de son bec le surplus, puis essuya ses dents d'ânesse de sa langue reptilienne, sous les yeux déjà beaucoup moins rieurs des spectateurs.

Telle la mafia, elle les inspecta, caquetant doucement, puis se mit à siffler un doux air d'Enio Morricone (un sombre musicien romain) tout en les évaluant. Les trois, désaoulés d'un coup, lui rendirent son regard, puis passèrent leurs doigts dans leurs cheveux, comprenant l'enjeu...

La Croquatif, nullement rassasiée, se mit à les charger. Dans ses yeux explosait La Traviata, de ses ailes moisies elle battait Verdi. Ils seraient bientôt dégarnis !

Quelque chose se précipita devant elle, coupant sa course brusquement, en la faisant recracher quelques poils.

Ses yeux est-ouest réfléchissaient chaque extrémité du port, ses pattes rentrées donnaient l'impression qu'on les avait échangées, mais il se tenait pourtant fier, défensif, et surtout, connaissait sa force : son poil ras, inappétissant, même répulsif.

— « L'herbe ne peut pousser dans les rues actives » grogna le carlin qu'on nommait Thrasybule en faisant face au gallinacé.

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