Triomphe saucisse

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— Lâché ? Comment ça, lâché ?

— Je ne te répondrai pas, humain ! Il est de notoriété publique qu'il ne faut jamais répondre à un humain !

— Curieux, c'est aussi ce qu'on dit à propos des dragons dans notre petit jargon (sur ce, Fringard grimaça : il venait de laisser passer une bien triste rime, à nouveau) ! Raahh ! Et au passage apprends que tu viens de me répondre, dragon !

— Ce n'était pas une réponse mais un commentaire, petit métallisé ! A présent, je vais te dévorer, annonça la bête aux écailles rouillées et aux yeux pochés. Vois-tu, c'est la tradition ! Nous mangeons les humains comme les chats mangent les souris, comme les requins mangent les dauphins, comme les...

— Comme les chiens mangent les chats, comme les écureuils mangent les noisettes... gna gna ! Serais-tu aussi inutilement bavard que ce maudit ménestrel ?

— Lequel ? chercha le dragon dans les reliefs.

— Celui qui se planque derrière l'arbre mort, là-bas.

— Ne faites pas attention à moi ! Procédez ! clama le chanteur dissimulé.

Le barde, qui avait espéré qu'un vieil orme calciné puisse le faire disparaître, faisait à présent aller sa main pour les éloigner, comme s'ils venaient de le surprendre dénudé.

— C'est ton compagnon ? interrogea la funeste bête. Pas de bol, chevalier... Je ne sais pas ce qui est le pire, mourir entre mes griffes ou devoir se coltiner un mauvais barde.

— C'es toi qui vas mordre la poussière, triste lézard, cette épée baignera dans ton sang avant ce soir !

— Allez, Fringard ! ajouta, piètre supporter, le ménestrel derrière son arbre mort.

Le dragon hérissa soudain sa collerette et concentra dans sa gorge un tonnerre de flammes projetant des arcs incandescents hors de sa gueule. Piroulette s'agrippa au tronc d'arbre comme il s'agissait de sa maman (pour ainsi dire elle était tout aussi longiligne) et ferma les yeux. Il vit néanmoins une gigantesque vague lumineuse percer à travers ses paupières fermées. Fringard n'avait pas de bouclier... Il était fichu.

Un vent chaud balaya la plaine et parvint au planqué. Le trouvère se doutait bien que bientôt des odeurs de barbecue flotteraient dans l'air, elles seraient appétissantes, certes, mais tellement tristes. Il composa mentalement le futur éloge funèbre de son ami : la complainte du cuisiné « Le noble guerrier, sitôt réduit en miettes, devenu allumettes, sortit du combat changé en aiguillette et revint au village en rillettes » Une merveille de chant, certainement !

— C'est tout ce que tu as à offrir, vieille carne ? clama une voix depuis la zone calcinée.

Sauvé ! L'homme était sauvé... Mais dans quel état ? Le ménestrel s'attendait déjà à le voir sortir fumant des décombres, avancer de quelques pas avant de s'effondrer comme une grande chipolata dans l'assiette du monstre. Etonnement, celui qui sortit était plutôt fringant, et nullement meurtri.

— Dieu soit loué ! claironna le trouvère, avant d'entendre la bête éternuer. Vous en êtes sorti, ô être surnaturel, ô chevalier à la peau surgelée ! Vous n'avez nulles égratignures, malgré les flammes qui vous ont léché ! Attendez ! Il faut que je note ce que je viens de dire !

— T'inquiète, piètre ménestrel, j'en ai vu d'autres, lui répondit le chevalier qui avait l'air surpris d'avoir survécu.

— Si je vous dérange il faut le dire, grogna le géant d'écailles en voyant les deux compères deviser comme s'il n'était plus là.

— À mon tour à présent ! lança le chevalier en même temps que son épée droit vers les yeux de la bête. La lame partit en tournoyant vers son immense visage chevalin, à la grande surprise du monument qui n'eut pas le temps de lever sa puissante patte pour l'éviter. « V'la pour ta gueule de four à pain ! » ajouta, superbe, le héros à la peau fumante.

Le dragon reçut la belle Pourprée en plein front. Des gerbes de sang explosèrent hors de sa boite crânienne. Il faut croire que la tête de ce serpent contenait de pleins barils d'hémoglobine, c'est une véritable fontaine qui jaillit subitement de son crâne vaincu.

L'immense s'effondra sur le sol, la terre trembla. Le guerrier se redressa, le soleil dans le dos, des vagues de poussières soulevant sa fière chevelure. Splendide, il regardait au loin, vers d'épiques et mystérieux horizons. Prêt, déjà - non, toujours - pour de nouvelles aventures.

Le ménestrel tomba à genoux. Ses mains s'assemblèrent lentement, entonnant le chant de leur claquement. Sous ses applaudissements, le pourfendeur tendit une main vers le ciel et clama, martyr vivant : « Et de un ! »

Là-dessus, sans prévenir, une gigantesque main griffue s'abattit sur lui.

Le souffle coupé, les mains en suspens, le barde cru entendre son cœur exploser. Mais ce n'était que le bruit de l'armure en métal qui éclatait sous la pression.

— On ne se dé... rabasse... pas d'un... darg... on, si fa... licement, lança, désordonné, l'animal dégoulinant.

— Pa... pardon ? interrogea, surpris, le barde, qui se demandait encore ce qu'il faisait là.

— On... s'ébat... rasse... pas d'un drag... queen, on se face... il ment ! hésita le dragon, du sang dans les yeux.

Sa gigantesque tête de serpent se dressait à présent dans le ciel, il cherchait le poète de son unique œil valide. « Où res-tu ? Vil chian... teur ? »

— En tout cas, je ne suis sûrement plus derrière l'arbre mort ! lança Piroulette de derrière son arbre mort.

— Tu ne gagnes... rien... pour te dé... prêcher ! ajouta le monstre, plongé dans ses désordres cérébraux, alors que la fière lame dépassait de sa tête comme un chapeau au goût fort douteux. Le barde se demandait comment se sortir de cette situation impossible. Si même l'incroyable Fringard, héros inébranlable, venait de se faire trucider, alors un petit jeune, à la voix certes céleste mais au corps glabre, ne pourrait sûrement pas faire grand-chose.

Le lézard ailé parvint à se trainer, lourdement et saisi de gros problèmes de coordination, jusqu'au terrain où le trouvère se trouvait. Ce dernier agrippait son arbre comme, petit déjà, il s'accrochait à l'unique jambe de maman ; tout juste assez pour en profiter, avant que, irritée, elle ne l'éloigne d'un coup de genoux, ou de tête...

— Reculez ! Dragon ! ou...

— Re... culquer ! Er... Agon ! Ouste... Kwa ? le singea la bête agitée de sursauts mentaux inattendus.

— Reculez ! Ou... Je...

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