III – Silence

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Six mois s’étaient écoulés depuis que je m’étais réveillée dans cette chambre de soin. Six mois que j’étais devenue un parfait petit soldat qui obéissait à tous les ordres, nourrissant la sombre espérance de m’échapper de cet enfer. Six mois de course pour accroître mon endurance. Six mois de pompes, d’abdos et de gainages pour augmenter ma force. Six mois de tir dans l’espoir de toucher ma cible avant qu’elle ne me touche et donc d’élever mes chances de survie au combat. Six mois de routine interminable qui ne nous laissait que très peu de temps libre, autrement dit la durée d’une douche. Six mois de solitude à chercher quelqu’un comme moi sans jamais trouver. Six mois emplis de peur que les « tuteurs » ne découvrent que j’avais toujours ma mémoire. Six mois de tristesse de voir tous mes amis réduit à l’état de marionnette sans pouvoir les aider.

Je souffrais devant la situation actuelle, mais je ne pouvais encore rien faire. Je ne savais pas comment réactiver leurs souvenirs. Et un seul faux pas de ma part signifierait un adieu définitif à ma mémoire, ce qui n’était pas vraiment dans mes intentions.

Je cachai du mieux que je pus la présence de tous ces sentiments que je ne devrais pas éprouver et poursuivis ma tâche du moment. Tirer sur une cible immobile était enfin dans mes cordes, mais dès qu’on y rajoutait un peu de mouvement, je n’arrivais plus à la toucher correctement, si on ne comptait pas toutes les fois où je visais à côté.

Je devais me concentrer au risque de me faire blâmer par nos « tuteurs ». Et franchement, je n’étais vraiment pas en état pour nettoyer les douches toutes seules, surtout celles des filles. C’était fou ce que ça pouvait perdre comme cheveux, même lorsqu’ils étaient courts. Armes en mains, je fermai un œil et visai ma cible, suivant ses mouvements. Le moment venu, je pris une grande inspiration pour calmer les battements de mon cœur, stabilisai mes mains et tirai. Je ne sus pas par quel miracle, mais la balle toucha à quelques centimètres du centre, m’évitant par là le récurage des salles d’eau.

L’exercice terminé, je nettoyai mon équipement et le rangeai. Les chefs n’étaient pas fous, ils ne laissaient pas des adolescents en possession d’instruments mortels. Ils n’y avaient, selon eux, aucune chance pour que les jeunes se retournent contre eux, mais ils étaient toujours préparés au pire.

Après cet exercice, nous avions un peu de temps pour nous, ou plutôt une demi-heure sans rien pour nous doucher, s’occuper de notre linge, de nos chaussures, et de toutes les autres tâches domestiques que nous n’avions pas finies la veille. En arrivant dans la salle/chambre du groupe Écarlate, je remarquai que seule Gwen était présente, tous les autres étant surement déjà en train de se laver.

Toutes les deux, nous étions amies d’enfance avant l’effacement de mémoire. Nous nous connaissions depuis la maternelle et nous ne nous étions jamais quittées. Il y avait bien eu quelques périodes où nous nous parlions moins, cependant nous avions toujours gardé contact. Elle était ma plus vielle amie, mais aussi la plus chère et celle qui me connaissait le mieux. J’aimais passer du temps avec elle à parler de tout et de rien, à ne rien faire d’autres que lire des mangas ou des fictions et nous donner nos impressions une fois notre lecture terminée.

Sans m’en rendre compte, je m’étais mise à la fixer, trop occupée à me rappeler le bon vieux temps. Elle dut sentir mon regard insistant, car elle tourna la tête vers moi. Lorsque je croisai ses yeux, j’y aperçus un éclat qui était absent de celui de tous les autres. Un éclat signifiant qu’elle était comme moi, que ses souvenirs étaient toujours présents. Mais je devais être certaine de ce que j’avançais, que je ne me faisais pas de faux espoirs au risque d’y laisser ma peau si je lui parlai de ce qui m’était arrivé – ou plutôt pas arrivé dans mon cas. Et j’avais le mot parfait pour ça. Si elle ne réagissait pas, c’était que je m’étais fait des illusions.

— Spring, dis-je tout bas pour ne pas être entendue du couloir, mais assez fort pour qu’elle l’ait perçu.

Sa réaction ne se fit pas attendre. Gwen se tourna rapidement vers moi, les sourcils froncés de surprise. Elle ne devait pas avoir entendu ce prénom depuis un moment, d’où son incompréhension. Personne ici ne devait comprendre ce mot puisque l’anglais avait été banni de notre vocabulaire. Pourquoi se fatiguer à apprendre une langue étrangère lorsque nous ne sommes que des pions sur un immense jeu d’échec ?

— D’où tu connais ce mot ? demanda-elle d’un souffle, une pointe de peur en fond.

— Supernova.

En l’espace de quelques secondes, son visage s’illumina. Ce mot était peu connu, et je doutais fortement que nos « tuteurs » ne l’aient utilisé ne serait-ce qu’une seule fois. De plus, le lien entre Spring et Supernova n’était connu que d’un petit groupe de personnes, les éloignant de ce fait de la confidence. En gros, personne ne pouvait le trouver par chance à moins de le savoir, rendant mon message encore plus explicite.

— Tu te rappelles ?

— Comme toi visiblement. Ça fait du bien de se rendre compte qu’on n’est pas seul.

— Mais comment ? Je n’ai trouvé personne comme nous encore, m’informa-t-elle.

— Je n’en ai pas la moindre idée. La seule chose dont je me souviens avant cet enfer, c’est l’attaque de cinq hommes armés jusqu’aux dents et tirant des rayons bleu-vert pour nous priver de tous nos souvenirs, expliquai-je. Et de me réveiller trois semaines plus tard dans une chambre ressemblant à celle d’un hôpital.

— Lorsqu’ils ont voulu le faire sur toi, tu faisais peut-être quelque chose de particulier qui a bloqué les effets de leur tir, supposa Gwen.

— Mis à part penser à ma famille, aux gens que j’aime ou à n’importe quel moment heureux de ma vie, je n’ai rien fait d’exceptionnel.

— C’est peut-être ça la réponse. Lorsque ça a été mon tour, je me suis focalisé sur Spring, l’équitation, ma famille, tout ce qui était cher à mon cœur.

— On tient peut-être quelque chose pour aider les autres, déduisis-je.

— Il ne reste plus qu’à savoir comment utiliser cette information.

— Nous trouverons, j’en suis sûre.

Nous étions maintenant deux pour trouver une solution au petit problème de mémoire de tous nos anciens camarades. Et nous étions plus déterminées que jamais.

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