Catherine , mal à l'aise, fixait l'homme :

- Vous souhaitiez ?
- Faire un point sur l'évaluation.
- Rien de plus normal .
- Je dois m'adresser à...
- Moi ! C'est le principe du guichet unique.
- Rien n'a changé.
- Non , vous avez les items, les sous items.
- Et à chaque fois je coche mes progressions, mes régressions, mes doutes, mes hésitations?
- Puis, nous en discutons.
- Commençons par le travail ?
- Non l'essentiel c'est l'interactivité sociale.
- C 'est simple, seul 10 % de la population travaille,
- Et 90 % de la population vit du Revenu Universel ?
- Exactement, donc pour l'Is, l'indicateur 1a est de 60 .
- Et de 70 pour le 2b.
- 80 pour le 3c.
- Bref, Monsieur K, tout va bien...
- La courbe est belle.
- Superbe !
- Comme les vôtres...

Catherine eut un rire gêné, elle se dit qu'elle avait choisi la bonne stratégie : rester, strictement professionnelle.
Rassurée, elle reprit :

- Le travail est positif.
- Vraiment ?
- Oui, vous ne cessez de réagir ?
- J'évalue à 2,5 minutes, le temps de réaction face à un nouvel article.
- C'est très correct.
- Mais la sphère personnelle ?
- Globalement stable.
- Non ?
- 0,1 % de fluctuation...
- Même pour la sexualité ?
- Entre 0,1 et 0, il y a...
- 0,1 % !
- Donc, rien d’inquiétant.
- Conclusion ?
- Tout est pour le mieux
- Dans le meilleur des mondes possibles...

Catherine se tut, ignorant la pointe ironique.
Monsieur K la regarda.
Brune, la peau très blanche, elle le regardait, distante, hautaine, impassible.
Simulation , tout chez elle était simulation , comme dans le beau tableau de Lorenzo Lippi.

Il l'imaginait, le regardant de haut, un masque dans la main droite, une grenade dans la main gauche.
Monsieur K choisit l'attaque frontale :

- Et pourtant...
- Oui, Monsieur K ?
- Pourtant, je suis mort !
- Je sais.
- Depuis ?
- Trois mois.
- La cause ?
- Crise cardiaque foudroyante.
- Et je vous parle ?
- Oui
- Et cela ne vous étonne pas ?

La jeune femme prit peur, elle eut envie de s'enfuir.
Mais elle se retint : son bilan d'évaluation aurait été catastrophique !
D'une voix hésitante, elle reprit :

- Mon travail consiste à...
- M'aider dans ma démarche d'auto-évaluation ?
- C'est cela.
- Et dialoguer avec un mort, cela ne vous dérange pas ?
- Je ne sais pas.
- Vous ne vous posez pas de questions ?
- Je ne suis pas payée pour me poser des questions...
- Certes, mais à quoi sert l'évaluation ?
- Vous savez.
- Une vie non évaluée
- ne mérite pas d'être vécue.
- Donc, si , mort, je continue à m'évaluer...
- Vous vivez ?
- Exactement.
- C'est absurde !
- Non c'est logique.
- Donc ?
- On suit le protocole.
- On se retrouve dans trois mois...