Chapitre 32 : Les oiseaux volent dans le ciel.

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Un petit verre dans le nez, je festoyais ma bonne humeur avec les gars dans les rues de Saint-Clair. Pointant l'internat du doigt, Jo fit une mauvaise blague en y voyant les lumières bleues. Il me fallut un temps de réaction pour comprendre qu'il s'agissait d'une ambulance. Alors prit d'un mauvais pressentiment, je démarrais une course effrénée jusqu'à la cour où un petit monde s’était déjà agglutiné. Je m’effrayais de la présence de Chuck et d’Eglantine qui fixait l’entrée du bâtiment. Blear en sortait, tenu de part et d’autre par un ambulancier et John-Eric. Je compris que “ce jour” était enfin venu, quand je la vis se plier légèrement, grognant sa douleur entre ses dents. Quand je me précipitais dans leur direction, elle me lança un regard terrifiant, embêté qu’on gêne leur passage. Mais dès qu’elle me reconnut, c’est la peur qui se fit le plus ressentir.

  • Dossan…
  • Je vais vous aider à monter mademoiselle, s'en alla l'homme.


Elle n’eut vraiment le choix de se laisser porter dans le vanne, mais elle put au moins accrocher le bras de John-Eric pour lui balbutier quelques mots. Ce dernier sembla alors en colère, puis pris clairement sur lui, quand il me regarda depuis le haut de la voiture.

  • Tu viens ? m'envoya-t-il en pleine face.
  • Venir ? Mais je…
  • Soit tu montes, soit tu restes, fait un choix car je ne te le demanderai pas deux fois. Alors ? fit-il en me tendant sa main.

Mon cœur se mit à battre monstrueusement fort dans ma poitrine quand j'approchais ma main de la sienne. Il roula des yeux et me la prit de force pour m'aider à monter. Couchée sur un brancard, j'imitais John-Eric qui se posta aux côtés de Blear. Ils se regardaient dans le blanc des yeux, se convainquant l'un et l'autre que tout irait bien. Et quand j'arrivais derrière John-Eric, ses jolies prunelles paniquées se déposèrent sur mon visage qui devait l'être tout autant. Elle me regarda avec douleur, contractant tout son corps, aux toutes premières contractions. À la détresse dans ses yeux, je compris qu'elle m'appelait, qu'elle souhaitait que je sois présent, malgré la réticence de John-Eric. JCelui-ci m'acceptai quand je montrais par ma posture que je les accompagnerais dans cet accouchement. Avant que la voiture démarre, une voix s’éleva derrière nous. Madame Karen apparut d’entre les deux portes ce qui eut pour effet d’immédiatement atténuer la détresse de Blear. Elle lui avait promis d’être présente le “ jour j” pour la guider et la rassurer. Notre très chère psychologue s’invita dans la camionnette et nous dévisagea tous les deux comme exaspérée, puis résigné, elle nous demanda de nous écarter. Elle s’invita alors près de Blear qui écoutait difficilement les mots de l’ambulancier à sa charge, se tordant de douleur. Quand elle tourna son visage vers Madame Karen, ses yeux se remplirent de larmes, terrifié à l’idée d’en venir au moment fatidique.

Dès notre arrivée à l’hôpital, elle fut transportée en urgence à la maternité où une sage-femme commença son travail. Elle réussit à la calmer, l'assaillant de suite de questions. Et avant de vérifier la dilatation, la jeune femme qui sentit le malaise de Blear, nous regarda avec insistance. Madame Karen parla à sa place :

  • Les garçons, il est temps de sortir, nous convia-t-elle d’un sourire authentique.

John-Eric me guida alors vers la sortie où nous priment tous les deux une grande inspiration. Il me regarda d’un air amusé, fixant la main que je déposais sur mon torse. Je me vexais, me sentant dès lors comme un gamin. Contrairement à lui, c’était la première fois que j’assistais à un accouchement, d’autant plus de la personne que j’aimais. Dans le silence et la gêne nous nous installâmes sur les sièges devant la chambre. Je me sentais particulièrement mal à l’aise et comme s’il le sentait, il alla se chercher un café. Je fis étonner qu’il m’en rapporte un à la volée. À peine je trempais mes lèvres dans liquide chaud que la sage-femme sortit de la chambre pour nous donner les nouvelles.

  • Nous devons encore attendre avant de la déplacer en salle d’accouchement, je reviens dans une demi-heure vérifier l’avancement du travail. Si vous avez besoin de moi avant cela, n’hésiter pas, fit-elle en mimant d’appuyer sur le bouton de la télécommande prévu à cet effet.
  • Excusez-moi, pouvons-nous rentrer ? l’arrêta John-Eric dans sa précipitation.
  • Ces dames s’entretiennent, répondit-elle par un sourire.

Il la remercia d’un hochement de tête et s’installa à nouveau sur le siège. Je détestais ce moment d’attente, anxieux à en mourir. Et je me sentais honteux de ne pas arriver à reprendre le contrôle de mes émotions alors qu'il était à côté de moi, si droit et sérieux. Je ne doutais pas du fait qu'il angoissait aussi, mais au moins lui, arrivait à le garder à l'intérieur. Je le vis déplacer son regard vers moi et je me retournais, nous obligeant à établir le contact.

  • Tu sembles aller un peu mieux, fit-il après avoir prit une gorgée de sa boisson. Ce n'est pas très délicat de ma part, mais depuis l'accident, j'ai l'impression que tu te portes mieux. Je m'excuse d’ailleurs de n'avoir pu le faire plus tôt, mais tu ne me laissais pas vraiment le choix, donc je te souhaite toutes mes condoléances maintenant et sincèrement, appuya-t-il pour se rendre convainquant.
  • J'avais juste besoin d'un peu de temps pour, hésitais-je, m'en remettre, dis-je tristement. Même si on ne peut pas dire que je m’en sois remis...
  • Comme de la rupture, souffla-t-il, l'air embêté.
  • Hum John, soyons sincère, ma présence ici te déplaît, n'est-ce pas ? Alors je ne comprends pas pourquoi…
  • Elle t'a réclamé, parce qu'il semble ta présence la calme, mais ce n'est pas le problème, répondit-il durement. En fait, je suis en colère, commença-t-il en serrant son verre, parce que malgré toute la méchanceté que tu as montré envers elle ces derniers mois, elle reste attacher à toi. Et moi aussi, ajouta-t-il, je n'ai pas supporté te voir te détruire alors que tu avais promis de te relever. Notre promesse n'a-t-elle pas compté ? Est-ce que tu sais à quel point ça a pu la rendre malheureuse de te voir dans cet état ?

Il s’arrêta, contenant sa colère du mieux qu’il pouvait pour ne pas me blesser davantage. Je le sentis frustré, retenant ses durs mots en se mordant les lèvres. Je compris à son regard qu’il me reprochait beaucoup.

  • L’alcool, la drogue, j’espère que c’est fini ? Je veux dire, ce n’est pas ce à quoi je m’attendais de la part de quelqu’un qui m’avait promis de s’en sortir. Et surtout de la part d’un homme qui prétend aimer ma femme plus que moi.
  • Je l’...
  • Est-ce que tu es enfin décidé à te remettre sur pied ? le coupa-t-il, j’avoue que je m’attendais à un peu plus de rivalité.
  • Pourquoi est-ce que tu parles comme si tu voulais que je la récupère ?
  • Il en est hors de question, mais je pensais que c’était ton but, même si cela t’es impossible, dit-il d’un air snob. J’avoue que je suis un peu déçu et vexé de savoir que le premier dans son cœur soit devenu aussi pitoy…

Je le coupais en me levant de mon siège, bouillonnant. La sage-femme revint à ce moment-là et nous dévisagea avant de s’enfuir dans la chambre. Il me défia du regard, à croire qu’il penserait que je me laisserais faire.

  • Je la reprendrais ! Je vais devenir l’homme respectable que je rêve d’être et un jour, elle sera à moi, lui assurais-je.
  • Très bien, j’aime mieux ça, me confia-t-il près du visage, un sourire au coin des lèvres.
  • Messieurs, apparut Madame Karen soudainement, si vous pouviez éviter de répandre votre testostérone dans tout le couloir, ça m’arrangerait bien et votre très chère Blear, également
  • Le travail commence ! s’écria la sage-femme, nous allons la déplacer en salle d’accouchement, ajouta-t-elle pendant qu’un infirmier s’occupait de faire rouler lit d’hôpital. Hum, lequel d’entre-vous est le père ? Voulez-vous nous accompagner au bloc, s’adressa-t-elle alors à John-Eric qui se mit en avant.
  • Absolument, répondit-il sans hésiter.
  • Jeune homme, je vais vous demander de patienter en sal…
  • NON ! cria Blear, non, s’il vous plaît…
  • Nous n’avons pas pour coutume de…
  • Je veux qu’ils m’accompagnent ! Tous les deux !! ordonna-t-elle dans un cri de douleur.

Sans plus attendre, nous nous retrouvâmes tous dans la salle d'accouchement en blouse de chirurgien. John-Eric se trouvait du même côté que la sage-femme et je me tenais de l'autre. Le médecin gynécologue s'attaqua alors à sa tâche pendant que Blear et son accompagnatrice respirait ensemble. Ces hurlements dès les premières poussées me donnèrent des frissons et je me sentis faible, sans savoir où donner de la tête. M'appuyant contre la table, je sursautai quand elle m'agrippa violemment le bras, poussant un cri féroce. John-Eric lui donnait des encouragements, pendant que la sage-femme lui donnait les indications. La douleur se lisait sur son visage rouge, essoufflée et transpirant. J'eus honte de me plaindre du mal que me fit ses ongles dans ma peau. Après chaque effort, elle relaissait tomber sa tête contre le dossier, secouant frénétiquement sa tête en guise de refus. Elle ne s'en croyait pas capable, s'accablait de son manque d'effort et en plein milieu de l'accouchement, elle donna l'impression d'avoir abandonné, lâchant ma main à la volée. À ce moment-là, elle releva son regard larmoyant vers John-Eric, puis tourna la tête vers moi. Si belle, avec son petit nez et ses yeux tout rouges qui en faisait ressortir le bleu. Comme un appel à l'aide, elle renifla fort en me regardant, tremblant de ne pas y arriver. Une vague d'énergie me traversa alors et je voulus lui transmettre en rattrapant sa main. "Tu peux y arriver", criais-je dans mon esprit, serrant son poing dans le mien. Je la vis essayer de toutes ses forces, poussant à chaque fois que l'infirmière lui demandait. Je n'aurais su dire le temps que ça prit, mais mon cœur s'arrêta de battre quand j'entendis des cris de bébé. Je partageais alors un même regard avec John-Eric, découvrant avec lui son enfant dans les bras du docteur. J'eus l'impression que le temps s'arrêtait, ému de voir ce tout petit être se faire laver. Je me retournais alors vers Blear quand il s'avança pour lui tendre, mais il n'y avait que terreur sur son visage. Elle se recula sur la table, refusant d'un geste l'enfant.

  • Je… je ne peux pas, sanglota-t-elle, prends-le, supplia-t-elle John-Eric.

Ma tête était pleine d'interrogation quand je le vis le prendre à sa place, concilient. Il sourit tendrement en le découvrant pour la première fois, jetant un œil alors à Blear qui ne cessait de pleurer. Le médecin appela la psychologue qui arriva en hâte à ses côtés pour la rassurer. Pendant ce temps, je croisais à nouveau le regard de John-Eric. Il avait l'air si heureux.

  • Tu veux le voir ? dit-il en faisant le tour jusqu'à moi.

J'hésitais un instant, puis me penchais sur ce bout de chou qu'il me montrait d'un geste. De tout petits yeux verts égaux à ceux de son père m'apparurent, je m'éblouis de la beauté de cet enfant, passant délicatement un doigt sur sa joue.

  • Mon Dieu, il est adorable, ris-je, si ce n'est pas un futur briseur de cœurs, je ne comprends pas.
  • Merci Dossan, rigola-t-il à son tour.

Les médecins semblaient déconcertés de nous voir partager tous les deux ce moment de bonheur, sans doute parce qu'ils ne savaient pas lequel de nous deux elle aimait le plus. John s'assit sur le rebord du lit et je m'appuyais contre la rambarde pour admirer la scène. Tandis que Madame Karen lui chuchotait des mots d'encouragement, Blear relevait le torse du peu de force qui lui restait pour regarder son fils. Elle sembla apeurée de le découvrir et me dévisagea curieusement comme pour se rassurer. Je lui fis signe de se lancer pendant que John lui souriait. La jolie mine de Blear s'illumina, des larmes se formant encore dans ses yeux, elle couvrit sa bouche avec émotio d'une de ses mains avant de le réclamer.

  • Je suis désolée, lui chuchota-t-elle, je promets de faire un effort, de t'aimer, je te le promets, continua-t-elle en prenant sa petite main délicate.
  • Comment s'appelle-t-il ? leur demandant Madame Karen, émue.
  • Sky, ce sera Sky Makes, répondit Blear qui partageait un regard à son fils.
  • Parce que les oiseaux vols dans le ciel, ajouta John à la surprise de la psychologue, me lançant un regard que je n'oublierai jamais.

Il me regardait avec beaucoup de tendresse, mais aussi avec méfiance, quand je lui rendis un plus triste. L'image de Blear et John, heureux, attendrit devant leur nouveau-né, m'apparut à la fois douce et cruelle. Bien que je lisais encore de la peur sur le visage de Blear, je la voyais apprendre à connaître son fils, à partager ces premiers moments en famille. Je compris que je n'y avais plus ma place, du moins pour le moment. Il m'avait déjà donné une partie de son bonheur en lui donnant ce prénom qui lui rappellerait à tout jamais le corbeau noir planant au-dessus de sa tête. Je fis quelques pas en arrière, ce qui attira automatiquement son attention. Elle ne sut néanmoins pas m'arrêter.

  • Je voulais vous dire… Tout simplement, félicitations, pour vous, pour votre fils, leur dis-je en tirant ma révérence, quittant la salle comme un voleur.
  • Blear, John, je vais l'accompagner, commença madame Karen, s'il y a quoi que ce soit qui vous tracasse, vous savez bien, ajouta-t-elle en serrant la main de Blear pour la lâcher dans la seconde d'après.

***

Je remettais mon cuir avant de sortir de l’hôpital, déboulant dehors avec l’envie de prendre une grande bouffée d’air frais. Enfin, je me retrouvais seul avec moi-même, avec ce trop plein d’émotion, cette envie de pleurer que je retenais à tout prix. Pourquoi ne pouvais-je tout simplement pas me satisfaire de son bonheur ? Déposant mes mains de part et d’autres d’une des barrières longeant la route, j’envoyais ma tête en avant, pris d’une intense douleur dans ma poitrine. J’entendis le coulissement des portes derrière moi, puis reconnut la voix de cette très chère psychologue m’appeler, comme si je l’avais vu venir. Je passais un doigt sous mon nez coulant, me servant de mes cheveux pour cacher mon visage triste. Son silence, me poussa à parler en premier.

  • Pourquoi est-ce que c’est si douloureux ? demandais-je difficilement, j’ai tellement honte de ne pas pouvoir apprécier leur bonheur…
  • Ce n’est pas étonnant, fit-elle en se plaçant à mes côtés, mais ce qui compte c’est précisément de t’en vouloir de les maudire. Tu es quelqu’un de bien et de raisonnable, je suis certaine que tu finiras par traverser toutes ces épreuves avec brio et à surpasser la douleur…
  • Je ne sais pas, aujourd’hui avec John-Eric, j’ai été un peu puéril, lui avouais-je.
  • J’ai entendu, me sourit-elle alors que je m’efforçais de ne pas rougir. Ceci répond en quelque sorte à mes questions, ajouta-t-elle d’un ton rieur.
  • Vous… n’allez quand même pas recommencer avec ça ?
  • À toi de voir…
  • Je rentre à l’internat, soufflais-je en mettant mes mains dans mes poches, prêt à m’enfuir.
  • Allez, réponds-y juste une fois...
  • Au revoir Madame, lançais-je en lui faisant un signe de main.
  • Est-ce que tu l’aimes encore ?

Je m’arrêtais, enfonçant mes poings un peu plus loin dans mes poches et fixait mes pieds, avant de me retourner pour lui lancer tout juste un sourire.

  • À votre avis ? haussais-je les épaule en osant cette fois la regarder dans les yeux.

Madame Karen me répondit par une mine satisfaite, me chassant vivement d’un geste quant je lui fis un clin d'oeil.

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