Chapitre 2 : Le tableau.

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À partir de quand le vent avait-t-il changé de direction ? Une tendance à dire que c'est à partir d'une peinture que tout a commencé, mais je dirais que c'est plutôt l'œuvre de dix adolescents irresponsables.

Le tableau où nos deux amis, Eglantine Akitorishi et Michael Challen étaient représentés en train de s'embrasser, n'avait marqué que le début d’un long périple. Une question résidait incomplète : comment est-ce que celui-ci s’était retrouver dans les mains de ses parents ? La probabilité s’avérait infime, mais les sept familles trouvaient toujours le moyen de dépasser les limites de l’impossible, l’argent n’y étant pas pour rien. Fallait-il encore qu’ils connaissent l’existence de ce tableau. Souvenir de notre premier voyage scolaire en Espagne, et d’un moment partager en amoureux au pied de la fontaine magique de Tenerife. Ils avaient souhaité que rien ne s’arrête, jetant une pièce dans l’eau comme tous les autres couples de touristes venus dans l’espoir que leur vœu se réalise. Ils voulaient juste être heureux, et voilà qu’ils s’étaient trouvés au mauvais endroit au mauvais moment.

Le peintre qui les avait dessiné ne savait pas qu’il capturait l’image d’un amour interdit. Il avait simplement peint ce qu’il avait trouvé de plus beau ce jour-là : un jeune couple, assis au bord de la fontaine, se tenant par la main et partageant un baiser des plus romantiques. Celui-ci faisait partie de ses petits artistes de rues qui gagnait son pain en faisant des portraits des touristes avides. Il aura suffi que l’un d’eux vienne de chez nous et qu’il trouve par hasard cette pépite parmi les toiles invendues. Personne ni voyait l’intérêt de l’acheter, mais le vendeur compris au regard de l’homme qui l’avait découvert qu’il ferait tout pour l’avoir. Il fut donc heureux de recevoir une somme d’argent raisonnable en échange de sa modeste peinture. S’il avait su, il l’aurait gardé pour faire fortune.

***

Les mains d’Eglantine ne cessaient de trembler, incapable de tenir le cadre plus longtemps et de regarder son père dans les yeux. Heureusement, qu’il ne s’agissait pas de sa mère à la place. S’il était sévère et intimidant, cette dernière se voulait manipulatrice et hystérique. Elle sentait sa respiration s’amoindrir, elle avait toujours eut une faible condition et des difficultés à gérer les situations oppressantes.

- Je t’ai demandé de m’expliquer, alors PARLE !

- Je…

Aucun son ne voulait sortir de sa gorge trop serrée. Étant incapable de faire ce qu’il souhaitait, son père lui arracha le tableau des mains et le contempla d’un air dégoûté avant de le jeter au sol. Elle voulut mentir, sortir une excuse, n’importe laquelle qui la sauverait de cette situation.

- C’est… Je ne comprends pas comment ça a pu arriver, balbutia-t-elle. Peut-être que c’est… un fantasme du peintre ? Qui en est l’aut…

- Ne me prends pas pour un imbécile ! Je sais déjà tout, ta mère et moi, nous savons. Sais-tu combien m’a coûté ta bêtise ?! Devine combien ?!

- Je… je ne sais pas, bégaya-t-elle pendant que ses yeux terrorisés se remplissaient de larmes.

- Dix mille, ma chère fille, répondit-il comme s’il avait du sable dans la bouche. Eh oui, dix mille euros pour racheter cette horreur, ajouta-t-il à son air abasourdi. Nous avons dû remonter jusqu’au premier acheteur, parce que oui, il est passé de mains en mains. Tu n’imagines pas la colère de ta mère quand elle a reçu cette menace. Elle a dû se déplacer en personne, jusqu’en Espagne pour que ce tableau n’apparaisse pas dans les médias. Je suis tellement déçu de toi, fit-il d’un ton particulièrement désappointé. Dix mille euros pour avoir fréquenté le fils des Challen ! Tu te rends compte ?! De tout les Richess, il a fallu que ce soit lui ? Si ça avait été Chuck Ibiss, je ne dis pas, mais la famille Challen ? Ce sont nos ennemis depuis toujours !!

- Si… ça avait été Chuck, alors ça aurait été bon ? osa-t-elle, une larme froide coulant sur sa joue.

- Je ne te savais pas si bête, tu me déçois de plus en plus. AUCUN ! Aucun tu m’entends ? Mais par fierté, j’aurais encore préféré que ce soit quelqu’un de plus haut dans la hiérarchie ! Là, c’est comme si… c’est comme si, les Stein et les Ibiss se fréquentaient ! C’est une trahison, et tu vas le payer ma fille. Tant d’argent que de ta personne, pas besoin de dire que tu ne le verras plus.

- Non ! Non, s’il vous plait, je vous en prie ! Trouvons une solution, je ferais n’importe quoi ! se leva-t-elle enfin de son lit pour le supplier, l’angoisse se lisant sur son visage décomposé.

Il la repoussa d’un geste, la faisant tombant au sol où se trouvait le tableau. Son père s’en saisit à nouveau et déchira la toile d’un coup de canif qu’il sortit de sa poche, séparant les amoureux tant sur la peinture que dans la réalité.

- Parfait, gloussa-t-il, voilà la seule manière dont ça peut se finir !


La porte se ferma à nouveau sur sa chambre sombre. Elle s'empressa de se relever avant qu'il n'utilise la clé, mais ce fut trop tard. Eglantine était prise au piège dans sa propre maison, le tableau en guise de couteau dans le cœur. Elle le prit en main, glissant ses doigts le long de la déchirure. Ils tremblaient comme ses lèvres qui tentait de réprimer un sanglot. Elle les mangeait pendant qu'elle regardait le visage peint de Michael et elle déposa un doigt sur sa joue, laissant un hoquet sortir difficilement. Puis, serrant le tableau contre sa poitrine, elle s'avachit sur elle-même. La douleur remontait jusque dans ses poumons et broyait son cœur. Il ne savait même pas qu'elle était partie. Bien sûr, il devait sans être rendu compte avant tous les autres, mais il n'aurait aucune explication. Et s'il pensait qu'elle l'avait abandonné ? Et si elle ne pouvait jamais le revoir ? Lui parler ? Ne serait-ce que lui dire au-revoir. Si seulement ce peintre ne les avaient pas prit en flagrant délit. Elle empoignait le cadre de ses doigts fragiles, le serrait de plus en plus, en se laissant doucement tomber à genoux. Repliée sur la toile, les larmes coulèrent le long de celle-ci. Si seulement elle n'avait pas existé. Elle suffoquait, sa respiration s'accélérant, se bloquant au gré de ses sanglots. Si seulement. La rage grimpa, parti de ses entrailles pour laisser des marmonnements s'échapper, alors qu'elle prenait un bout de papier entre ses doigts. Elle l'arracha dans un cri. Compulsivement, elle mit la toile en pièce et jeta le cadran contre un de ses murs roses. Là, elle appuyait ses deux mains sur le bureau pour se rattraper, ses larmes tachant les feuilles de cours qui y résidait. Eglantine les envoya valser par terre, puis les livres de sa bibliothèque et les décorations en porcelaine suivirent. Elle devint folle, frappant dans tout ce qu'elle trouvait, hurlant à chaque fois qu'elle balançait quelque chose au travers de la pièce, s'agrippant les cheveux pour presque les arracher.

Son père réapparut en furie dans la pièce, ahurie, voir même effrayé, lorsqu'il découvrit les yeux rouges de sa fille.


- Eglantine ! Arrête ça !


Elle répondit en prenant son réveil-matin dans les mains, l'éclatant au sol, et s'abaissant de suite pour prendre les piles. Il accourut pour l'empêcher de les envoyer valser à leur tour, mais ne réussit pas à les dégager de ses poings fermement clos. Il l'attrapa par les poignets dans l'espoir qu'elle se calme, mais elle criait. Toujours plus fort dans des cris stridents qui faisait exploser ses oreilles.


- Je t'ai dit d'arrêter !! Arrête cette comédie, fit-il en la secouant cette fois par les épaules. Ça suffit ! Hurla-t-il en la poussant à nouveau, excédé.


Sa tête cogna contre le coin de celle-ci, faisant régner le silence, comme si Eglantine avait cessé de fonctionner. Les larmes restaient en perdition, suivant leur chemin, mais son regard se voulait vide. Elle balayait le plafond des yeux, vitreuse et les planta dans ceux de son père avant de s’évanouir dans ses bras. Celui-ci, poussa un long râle avant de la porter jusque dans son lit, enjambant les débris éparpillés dans la chambre. L’antre de princesse avait disparue entre les livres arrachés et tous les morceaux de porcelaines fissurés. Sur son chemin inverse, il ramassa un bout de toile déchiré, laissant entrevoir le regard amoureux qu'elle rendait à ce garçon qu'il détestait tant. Il l'enferma dans son poing et le laissa tomber comme un vulgaire mouchoir qu'on aurait jeté après s'être moucher dedans. Cette fois, il laissa la porte ouverte pour veiller sur sa fille qui restait inerte dans son lit. Seul les larmes continuèrent leur chemin roulant jusque dans son cou. Si seulement cette toile n'avait pas existé, elle aurait peut-être pu lui dire au-revoir.

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