Ce que Jean dit...

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Malgré plusieurs SMS de rappel, Jean ne s'était pas présenté à sa consultation chez le Docteur FERRARI. Cette seconde absence avait généré systématiquement l'envoi d'un nouvel SMS qu'il reçut quelques heures après son rendez-vous manqué : « Votre prochaine consultation avec le Dr FERRARI est fixée le 23 décembre. Nous vous rappelons la nécessité d'honorer votre rendez-vous conformément à votre protocole de suivi ». Trois ans plus tôt, le jeune patient avait signé sa participation à un programme de surveillance destiné aux malades du GHM 50*, un sigle anonyme inscrit dans sa mémoire comme une marque indélébile : « Homme présentant un antécédent de cancer du sein lié à une mutation du gène BRCA2 ». Apposer sa signature sous cet intitulé au bas d'un formulaire de consentement, avait été éprouvant.

Une nouvelle absence serait assortie d'une exclusion du protocole et d'une sanction de déremboursement par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie. Conscient de ce risque, le jeune homme programma une alerte vocale sur son agenda.

Jean se sentait en bonne santé malgré une sensation de fatigue qu'il mettait sur le compte d'une activité professionnelle soutenue depuis la rentrée de septembre. Depuis trois ans, les contrôles trimestriels avaient confirmé la rémission complète de sa maladie. La vie quotidienne avait repris son cours dans une routine qu'il trouvait à présent sécurisante. Manager dans une société d'import-export qui l'employait depuis cinq ans, Jean avait retrouvé, auprès de ses collaborateurs, un rythme de travail effréné. Ses craintes d'une récidive s'étaient alors peu à peu évaporées dans ce quotidien trépidant.

L'heure de son rendez-vous approchait. Un simple contrôle. Pas de quoi paniquer. Il fit son inscription à l'arrivée au dispensaire et reçu le numéro de consultant 90. Un ruban lumineux au sol guida ses pas vers la salle d'attente numéro 9. Jean salua poliment l'assistance et prit place sur un siège libre à distance. Une décoration épurée sous les brumes odorantes qui s'échappaient des diffuseurs d'huiles essentielles, évoquait une ambiance apaisante. D'ordinaire, les salles d'attente avaient le don de le rendre fébrile. Les effluves de marjolaine mêlées à l'ylang-ylang picotaient ses narines sans parvenir à calmer son trouble intérieur. L'attente imposait le doute et le silence appelait l'anxiété. Il se rassura par la lecture du label qualité mis en évidence sur le mur. L'établissement, accrédité par les autorités de tutelle avec la plus haute distinction, jouissait d'une excellente réputation avec un classement au troisième rang européen. Jean avait fait le meilleur choix pour sa santé.

Pour célébrer le centenaire de l'institution, des écrans diffusaient en boucle un film historique retraçant quinze années d'innovations technologiques au service des malades. Pour l'occasion, un artiste de renom avait écrit : « Je veux guérir ». Le slogan défilait à intervalles réguliers. Jean observait l'affirmation en lettres bleu-marine s'évanouir dans un fondu artistique puis réapparaitre comme une injonction. Les discussions à mots feutrés, l'effeuillage compulsif des pages d'un magazine par son voisin, accentuaient son angoisse.

Une voix suave sur un fond musical relaxant entrecoupait l'attente.

« Toutes nos équipes font le maximum pour assurer votre confort. Ce 23 décembre, votre temps d'attente est compris entre 8 et 11 minutes.

Ultimsanté a été reconnu par la Haute Autorité de Santé pour sa qualité diagnostique avec un score de 100 % d'adéquation au cours des douze derniers mois, grâce au concours de notre nouvel androïde Axel K. Saluons son dernier exploit remporté à l'ASCO* : Axel a brillamment remporté l'épreuve diagnostique qui l'opposait aux dermatologues les plus expérimentés de la planète*. »

Le numéro 90 s'afficha enfin sur l'écran lumineux invitant le jeune homme à se rendre à la salle de consultation 9. Jean remarqua le mobilier aux formes design et le décor aseptisé du lieu, si différent de son propre environnement professionnel où notes manuscrites et dossiers envahissaient l'espace. Le praticien l'accueillit sans lever les yeux de l'ordinateur qu'il scrutait avec attention.

« Bonjour Monsieur Audat. Asseyez vous, je vous prie. Je prends connaissance de vos derniers résultats d'imagerie, bilan biologique et marqueurs tumoraux. Je suis à vous dans un instant. »

L'expertise conférait à l'oncologue un pouvoir de vérité, une vérité qui pouvait s'abattre sur le jeune homme d'une minute à l'autre ou l'épargner une nouvelle fois. Jean redoutait cet instant suspendu où il avait pris conscience de la place qu'il occupait sur ce siège visiteur à chacune de ses consultations. Face à l'autorité médicale, il se sentait infiniment vulnérable.

« Dans le cadre de l'alliance thérapeutique, je dois vous demander si vous souhaitez être précisément informé des résultats de vos examens. »

- Précisément... Oui bien sûr, je veux tout savoir. Comment prendre des décisions sans savoir ? Certaines personnes refusent-elles encore d'être informées à notre époque ?

- Très exceptionnellement pour être honnête avec vous. Cette procédure est toujours en vigueur néanmoins et je dois m'y conformer. Je vous rappelle également que notre entretien est enregistré pour la défense de nos intérêts communs. Je dois m'assurer de votre consentement. Je vois que vous êtes en retard de deux semaines sur votre PPS*, Monsieur Audat. Dans votre intérêt, je vous encourage vivement à respecter les étapes de votre parcours de soins, qui sont les strictes recommandations de l'Observatoire National de la Survie.

Le manager acquiesça timidement la remarque. Il prit une longue respiration intérieure pour calmer son coeur prêt à s'emballer. Aucune émotion ne s'affichait sur le visage du médecin. Jean détestait ce regard fuyant qu'il avait déjà perçu chez son interlocuteur lors de leur première rencontre. Attentif aux résultats inscrits sur l'écran, l'oncologue entra dans le vif du sujet :

« Les examens d'imagerie indiquent une lésion sur le sein controlatéral. Selon les coupes transversales examinées par notre robot Iplan, il s'agirait d'une lésion infiltrante de type adénocarcinome de grade III. »

Figé sur son siège, transi par une sensation de chaleur qui le submergeait, cette annonce le laissa interdit.

Sans nuances dans la voix, le praticien poursuivait ses explications :

« Comme vous le savez, vous êtes atteint d'une maladie rare : le syndrome de Klinefelter. Dans cette pathologie, le taux d'androgènes bas et le taux d'oestrogènes élevé, vous exposent à un risque accru de cancer. D'après nos analyses, cette lésion est accessible à la chirurgie. Si la nature cancéreuse est confirmée, un traitement spécifique post-opératoire sera indiqué. D'après la RCP* inter-régionale, vous êtes éligible à différents protocoles : RESIST ou EXTREM. Soyez rassuré Monsieur Audat, plusieurs alternatives thérapeutiques s'offrent à vous : la chirurgie avec une probabilité de survie à 5 ans de 90 %, la radiochimiothérapie obtient également un résultat probant à 60 %. La rareté de cette tumeur ne permet malheureusement pas d'affiner davantage ces statistiques. Votre existence est certes menacée mais vous n'êtes pas en danger dans un futur proche. »

Klinefelter, grade 3, infiltrant, RESIST, EXTREM, chirurgie, menacé, futur proche... les mots s'entrechoquaient dans l'esprit de Jean alors incapable d'assembler les éclats de cette annonce diagnostique.

« Lorsque vous m'aurez signifié votre choix, Monsieur Audat, je vous informerai des possibilités d'hospitalisation. Je vous invite à lire cet article qui résume les effets secondaires connus de la chirurgie et des traitements oncologiques. Certains services chirurgicaux de nos établissements partenaires seront fermés durant les fêtes de fin d'années. Alors ne gâchez pas vos chances de survie ! Prenez votre décision sans trop attendre. Plus de question Monsieur Audat ? Voici ma carte... »

La voix douce et monocorde ramena Jean du vide sidéral à une réalité pragmatique.

« Le temps imparti à la consultation numéro 9 est écoulé. Vous êtes prié de vous rendre à la borne relais numéro 9 où vous pourrez prendre connaissance de vos prochains rendez-vous selon les instructions médicales qui vous ont été communiquées. »

Jean suivit le ruban de lumière bleue jusqu'à la borne numérique où il pianota mécaniquement les instructions demandées. Impuissant, il observait le transfert sécurisé des données médicales de l'entretien sur son DMP*.

La voix suave empreinte de basses fréquences énonçait de nouvelles recommandations ponctuées de mots choisis pour leur vertu à écarter tout syndrome anxieux, fruit d'un long travail de recherche mené à bien par la Société Francophone de Psycho-Oncologie.

« N'oubliez pas d'effectuer les mises à jour régulières de vos outils connectés, essentielles pour communiquer avec nos équipes médicales et paramédicales à votre écoute 24 h / 24 et 7 jours / 7.

Si vous devez bénéficier d'un acte invasif, n'oubliez pas de remplir, dater et signer votre consentement éclairé.

Les dernières mises à jour vous permettent de suivre d'un seul clic l'avancement de votre parcours de soins. Une toute nouvelle application vous permettra de connaitre en temps réel l'évolution de votre pronostic vital.

Dans un souci constant d'amélioration de la qualité des soins, nous vous remercions de nous consacrer quelques minutes de votre temps pour compléter le questionnaire de satisfaction envoyé à votre adresse mail.

Les soignants du Centre Robotique Ultimsanté vous souhaitent une bonne journée et un très joyeux Noël ! »

****

Notes

GHM : Groupe Homogène de Malades

Les établissements de santé sont soumis à la Tarification A l'Activité (T2A). Chaque GHM définit un coût par pathologie. L'établissement est rémunéré en fonction des actes effectués qui classent chaque séjour hospitalier dans les différents GHM.

PPS : Programme Personnalisé de Soins

Le PPS est obligatoire dans les établissements de santé. Il formalise le parcours de soins adapté à la situation clinique du patient.

RCP : Réunion de Concertation Pluridisciplinaire

En cancérologie, les décisions thérapeutiques sont prises à l'issue de cette réunion.

DMP : Le Dossier Médical Partagé est un carnet de santé numérique qui conserve et sécurise vos informations de santé : traitements, résultats d'examens... Son déploiement s'effectue actuellement pour tous les assurés sociaux.

ASCO : American Society of Clinical Oncology

Rédaction AFP - 30 mai 2018

« Les dermatos moins efficaces que les robots pour repérer des cancers de la peau. »

https://up-magazine.info/index.php/technologies-a-la-pointe/intelligence-artificielle/7839-les-dermatos-moins-efficaces-que-les-robots-pour-reperer-des-cancers-de-la-peau/

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