CHAP.10 : Perspectives

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Notre petit groupe blessé dans sa chaire et dans son esprit était sur le chemin du retour au club de tennis. Nous arpentions lentement et machinalement le parcours comme des zombis. Karl avait installé Cindy sur la place-passager du scooter et précédait la troupe au ralenti. A la moindre approche menaçante pour lui ravir son engin, il pourrait accélérer et fuir sans l’obstacle de notre présence. Syvanna m’avait agrippé le bras et marchait près de moi son bras imbriqué dans le mien. Elle tremblait de tout son corps, choquée par les événements récents. En fait, c’était une accumulation de traumatismes formant un mille-feuilles de malheur indigeste. Edouard ne s’éloignait pas d’un mètre de Vanessa. Malgré la défaillance de la jeune fille, il se sentait protégé à ses côtés. Il n’y eut pas un mot pendant ce trajet interminable. Nous franchîmes non sans difficultés le pont et son camion qui lui barrait en partie le passage. Je vis un homme accourir vers nous les bras gesticulants en l’air. C’était Moïse. A la vue de nos mines graves, il ralentit de suite baissant les bras branle ballants le long de ses cuisses.

« Vous êtes enfin revenu ! Quel soulagement, on n’arrêtait pas de faire les cent pas…

─ Tout ne ce n’est pas passé comme prévu mon pote, dis-je en serrant son épaule en signe d’affection.

Moïse nous jeta un rapide coup d’œil avec Syvanna.

─ En tout cas, vous avez l’air de vous êtes rabibochés tous les deux.

─ On en reparlera au camp si tu veux bien, nous sommes tous épuisés et certains sont blessés.

Karl, pressé d’arriver et d’installer confortablement Cindy, prit les devants et augmenta l’allure. Nous parvînmes à destinations quelques minutes plus tard.

Nous tombâmes dans les bras les uns des autres dans une effusion d’enlacements avant de rejoindre l’abri protecteur du bar. Karl, plutôt de caractère vif et brusque, eut pour le coup, toutes les attentions les plus délicates envers Cindy. Il l’allongea précautionneusement sur une épaisse mousse synthétique extrait d’un des canapés et la couvrit d’un plaide. Il lui dégagea les cheveux de son front et lui caressa la joue. Au moment de prendre congé, Cindy lui agrippa la main.

─ Merci d’être venu Karl !

─ Non ne dis pas ça, nous ne sommes pas arrivés assez tôt pour toi.

─ Peut-être mais nous sommes encore en vie grâce à vous.

─ J’aurais voulu faire tellement plus… Repose-toi, je te ramènerai à manger dès que c’est prêt.

─ Karl !

─ Oui ?

─ C’est gênant, mais tu pourrais me faire chauffer une bassine d’eau chaude pour… Nettoyer et soigner, tu sais quoi.

─ Ah !... Euh oui pas de soucis. Je fais ça tout de suite. Tu veux que je demande à une des filles de t’aider.

─ Non merci, je devrais pouvoir me débrouiller toute seule.

Karl lui réserva un large sourire. Ce dernier jour, elle était devenue plus loquace. Sous ses airs de fille fragile et superficielle, elle se révélait posséder un mental fort face à l’adversité et au pire supplice que l’on puisse infliger à une femme.

La nuit était tombée. Le feu crépitait au centre du foyer sur la terrasse du club. Edouard au milieu de Chris et Romain assis au bord des flammes racontait ses péripéties. Vanessa, un peu en retrait, écoutait amusée ses élucubrations mais elle ne les dénonça pas. Edouard avait besoin d’être rassuré et de par son récit romancé en sa faveur se sentir plus fort et crédible auprès de ses compagnons.

De l’autre côté du feu, j’assistai silencieux aux échanges de paroles mais aussi de regards ; tendres, passionnés, inquiets, soulagés… Syvanna restait à mes côtés la tête posée sur mon épaule. Elle était restée muette toute la soirée. Fab, Fred et Moïse commençait à apporter des conserves près du foyer pour les réchauffer. Au menu ce soir, c’était des tripes de Caen. Je pensai qu’aucun d’entre nous n’avait déjà mangé ces abats une fois dans leur vie. A l’ouverture des conserves, une forte odeur ne ravit pas nos narines, mais l’information lancée à nos synapses fut bloquée aussitôt par le signal plus puissant de la faim.

Nadia était restée au côté de Cindy malgré sa volonté d’indépendance. Karl fut bien embêté quand il fallut chauffer de l’eau. Tous les récipients qu’il avait sous la main était en plastique, rien qui ne puisse passer sur le feu. Il se gratta la tête un petit moment et observa ce qui l’entourait. Il remarqua un gros pot de fleur qui accueillait un mini palmier. Sans ménagement, il retourna le pot par-dessus la terrasse laissant choir la terre et la plante comme un vulgaire cornichon au fond de l’assiette. Il le rempli d’eau et le posa au centre du foyer. Il ne savait pas si le pot en terre cuite allait tenir la haute chaleur. Il observa anxieux la progression de la cuisson. Après un temps interminable, une heure au moins, quelques petites bulles commençaient à remonter du fond du récipient. Ebullition. L’eau était bien chaude. Karl s’empara de plusieurs torchons et décolla le pot rempli d’eau bouillante du feu. La température de ses mains montant en flèche, il se précipita auprès de Cindy, déposa le précieux liquide à ses pieds le plus décontracté possible malgré l’ébouillantage qui lui tirait une larme de douleur.

─ Attention, c’est chaud ! ironisa Karl.

─ Merci !

─ Je vais t’aider, proposa Nadia. Karl, peux-tu transporter l’eau dans la réserve du bar s’il te plait.

─ Pas de problème, blêmit Karl en soufflant sur le bout de ses doigts.

Karl porta le pot d’eau chaude à l’arrière puis aida Nadia à soutenir Cindy à se déplacer dans le cagibi et referma le rideau improvisé qui clôturait la pièce. Impuissant à ce stade, il laissa les filles à leur intimité.

Je n’osais pas bouger de peur de déranger Syvanna. Voyant mes amis s’activer à préparer le diner, je ne supportais pas rester sans les aider. J’approchais délicatement mes lèvres de son oreille.

─ Désolé, je ne veux pas te brusquer, mais il faudrait que j’aide les autres à préparer la bouffe.

Syvanna émergea et me regarda comme sortie d’un rêve agréable.

─ Non, mais ne t’excuse pas, vas-y ! D’ailleurs il faudrait que je me bouge aussi et que j’aille m’occuper de Cindy.

Nous nous décollâmes l’un de l’autre, me levai et tractai main dans la main mon amie sur ses pieds.

─ Je suis désol…

─ On en reparlera tous ensemble tout à l’heure, coupai-je.

Nous nous réunîmes tous autour du feu, les conserves fumantes, chacune plantée d’une petite cuillère à nos genoux, un verre de boisson chacun. Nous attendions tous, en prosternation devant notre ragoutant repas, la présence de Cindy. Enfin elle arriva sur la terrasse et s’installa en tailleur entre Nadia et Karl. Je vis qu’écarter les jambes était très douloureux pour elle, mais elle le masquait dignement.

─ Vous ne m’attendiez tout de même pas pour commencer ? Demanda la jeune fille meurtrie.

─ Je t’en prie, c’est normal, dis-je.

─ J’aurai étripé le premier à se servir, menaça Karl.

La réaction de notre ami extirpa un bref rire des lèvres de Cindy.

Le repas se déroula dans un silence monastique. L’expression de mes compagnons à la dégustation de notre nourriture originale ressemblait à des regards de fins gourmets, comme une soirée trois étoiles.

Comme nous avions déjà bien changé. Il y a à peine une semaine, nous ne jurions que par le kebab frites mayonnaise ketchup sauce samouraï ou un menu big-mac XL frites coca. La frite… Le gout de ce met n’était plus qu’un fantasme. Quatre jours et tout nous semblait gouteux à souhait. Les tripes chaudes furent engloutis d’une traite à base de « slurp » et d’éclaboussures de sauce grasse au vin blanc. J’observais mes amis et pris soin de bien attendre que chacun est fini sa conserve et de s’être hydraté à sa volonté.

Quand tout le monde eut fini, un silence s’installa comme pendant les trois coups précédent une représentation de théâtre. Notre groupe réunis à intervalle régulier l’un de l’autre autours de ce feu semblait se préparer à une réunion mystique.

Comme tout le monde si attendait et le désirait, je pris la parole.

─ Tout d’abord, je voudrais réitérer mes plus sincères excuses auprès de Nadia et Syvanna. A aucun moment, je n’aurais dû occulter le corps de votre mère même si cela vous aurait procuré une immense douleur. Au début de ce cataclysme, vous m’avez désigné spontanément ou naturellement, je ne sais pour quelle raison, capitaine de route de notre équipe. Je dois avouer que je l’ai plus ou moins assumé. Mais je dois vous avouer qu’après ces derniers jours d’épreuves, mes choix pas toujours efficients, nous amènent tous à être en vie et plus ou moins en bonne santé. Mon plus grand regret est d’avoir blessé Nadia et Syvanna, et surtout de ne pas être arrivé à temps pour sauver l’intégrité de Cindy. J’ai beaucoup de regrets sur mes décisions récentes mais au final elles n’étaient pas toutes pourries…

─ Tu voudrais donc que l’on te reconduise pour un second mandat, coupa Vanessa.

─ Non pas du tout, je voulais juste vous rendre compte de mes erreurs et des actions à mener qui pourraient être plus efficaces…

─ Tais-toi, trancha Vanessa. Nous allons voter à main levée pour que tu sois notre chef de file.

Cette décision hâtive me glaça le sang.

─ Micaël ! déclara solennellement Vanessa contre toute attente en levant la main.

─ Mic File de fer, dit à son tour Karl.

Mes trois amis de longues date confirmèrent leur vote en ma faveur à tour de rôle.

─ Je pense que notre ridicule petit groupe de douze survivants n’a pas besoin de chef absolu qui nous mènerait à la baguette, continua Romain. Mais je pense que Mic fait le consensus pour accorder toutes nos propositions.

─ En accord avec ça, confirma Chris.

─ Pareil, suivit Edouard.

Nadia et Syvanna se regardèrent circonspectes. Tout leur semblait aller très vite d’un coup.

─ A présent, notre vie sera faite d’erreurs, d’échecs, parfois mortelles qu’on se le dise, mais aussi de réussite et d’avancée dans notre survie. Et je dirais que depuis le début du « jour d’après », Mic est probablement la personne qui propose le moins de conneries, exposa Nadia. Je te pardonne pour ton erreur passée mais probablement pour celle à venir car tu n’es pas un surhumain.

─ Je ne suis pas sûre d’avoir le même sens du pardon que ma sœur, mais je te soutiens, affirma ma douce Syvanna. Je te pense être le plus à même pour nous mener vers…

Elle s’interrompît ne trouvant pas les mots pour la suite de sa phrase.

─ Vers… Je ne sais pas… Notre survie, notre espoir… Notre avenir serein et heureux.

─ Ola, que voilà les grands mots, ok Mic La Tige de Fer est élu capitaine, mais rien ne nous prouve que c’est la fin de notre monde civilisé, s’exclama Vanessa. Ça ne fait que quatre jours, ne l’oublions pas. Rappelez-vous, les premiers secours de l’armée américaine ont mis sept jours à parvenir à la Nouvelle Orléans après l’ouragan Katrina. Certains villages d’Indonésie n’ont pas vu un seul engin ; hélicoptère ou autre avant une semaine après le grand tsunami.

─ Oui, nous sommes en état de catastrophe naturelle, pas de cataclysme provoquant la fin du monde, continua Romain.

─ Ou peut-être un acte de guerre mondiale, s’alarma Chris.

─ Ou d’une invasion extra-terrestre, changea Karl.

─ Ah ! arrête avec ça Karl, stoppai-je.

Ma prise de parole avait conclu ce débat de nouvelle législature enflammé. Je lançai une rotation de la tête d’un regard affirmé autour du foyer faiblissant.

─ Ok, je prends en compte votre choix mais sachez que cela n’a que peu d’importance. L’important est de rester soudé et que chacun soutienne l’autre en cas de difficulté.

Mes camarades opinèrent de la tête.

─ Maintenant, parlons du planning des prochains jours. Ça fait donc quatre jours que nous sommes là. Nous avons encore à manger pour à peu près quatre jours de plus. Je pense qu’il faut que l’on reste ici trois jours de plus pour dépasser la barrière psychologique de la semaine. Comme tu disais Vanessa, l’histoire passée nous a appris que les secours mettaient sept jours voire plus à atteindre des zones difficiles d’accès après de grandes catastrophes naturelles.

─ Tu ne crois pas en cette possibilité en fait ? Demanda Romain.

─ En effet, je pense qu’une grande ville comme la nôtre à moins de soixante kilomètres de Paris aurait déjà été survolée par une multitude d’hélicoptères et d’avions et parcourue par des camions et des ambulances militaires. Je pense que tous nos moyens mécanisés militaires, civils et médicaux ont été anéantis.

─ Et bah, tu es sacrément pessimiste dis donc ! réagît Chris.

─ Oui, mais je veux laisser un peu de chance à l’espoir et j’écoute ce que pas mal d’entre vous m’avez dit.

─ Merci Mic, parce que je suis persuadé qu’ils vont bien finir par arriver ses putains de secours, s’exclama Romain.

─ Espérons ! Mais d’ici là, nous allons profiter de ces trois jours pour reprendre des forces.

─ Et que ferons-nous à l’issue de ces trois jours ? interrogea Edouard.

─ Nous allons aussi profiter de ce laps de temps pour organiser notre marche vers Paris ; répartition des paquetages, des provisions et de l’eau, tracés de notre parcours…

─ Wowowo-woooh ! Paris ! Tu es sérieux là ? Intervint Romain.

─ Oui je le suis. Je vous en avais déjà parlé. Je sais que ça demandera beaucoup d’efforts, de long kilomètres à parcourir à pieds sur un terrain accidenté. Mais je reste persuadé que c’est la meilleure destination pour trouver un semblant d’aides humanitaires organisées. Je pense que pour le moment, il n’est pas bon de rester immobile.

Mes amis s’observèrent les uns les autres recherchant un regard confiant dans les yeux de l’un d’eux.

Vanessa le leva énergétiquement et me pointa du doigt.

─ Ok, va pour ton plan.

Karl se redressa aussi sur ses pieds et partit faire son petit tour nocturne autour du club. Fred, Fabrice, Moïse d’un côté, Romain, Edouard, Chris, d’un autre et Nadia, Cindy de l’autre, conversaient entre eux. Syvanna approcha ses lèvres à quelques centimètres de mon oreille.

─ Tu as retrouvé ma confiance Micaël, me susurra-t-elle. Mais ne la gâche pas. Je sais que nous mettons beaucoup de responsabilités sur tes épaules, mais ne nous déçois pas. Sur ce, je te laisse, je suis épuisée, je vais me coucher.

J’accompagnais du regard sa sortie gracieuse (mais qu’est-ce que tu racontes, elle est accablée de courbatures et a du mal à aligner un pas devant l’autre).

Malgré la fatigue, j’étais regonflé à bloc. La confiance retrouvée de mes amis me faisait chaud au cœur. Je pris une forte inspiration, remplis mes poumons d’air au maximum, me redressant le dos fier comme un coq, puis expira bruyamment évacuant la tension de cette journée.

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