CHAP. 03: Errements

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Les braises brûlantes diffusaient une douce chaleur au milieu des douze compagnons assoupis sauf Fred. Il assurait un quart de garde. Nous nous étions mis d'accord sur ce principe aux premiers hurlements de chiens sauvages qui avaient transpercé la nuit. Il était temps de prendre la relève. Je me levai et d'une tape sur l'épaule de mon ami je lui signifiai la fin de sa surveillance. Mon geste le sortie d'une profonde torpeur.

"A quoi pensais-tu? Demandai-je.

— A ma famille, ma sœur, mon père, ma mère.

— Je suis désolé vieux.

— Arrête, merde! tu veux nous emmenez à Paris demain. Mais pourquoi ne prendrions pas le temps de faire le tour de toutes nos habitations pour voir si nous ne retrouverions pas des membres de nos familles.

— Mais regarde autour de toi, tout a été rasé.

— Et alors, tu as un rendez-vous de prévu demain? Je réfléchissais sur nos situations, et tout le monde ici habite dans un périmètre de moins de trois kilomètres. Tu ne peux pas enlever de l'espoir à nos amis.

— Tu as raison! nous réserverons toute la journée à ça. Mais la chute risque d'être terrible.

Fred s'allongea le plus silencieusement possible à côté de Tania. Sentant sa chaleur, inconsciemment dans son sommeil, Tania se tourna et se serra contre lui. Il passa son bras autour de sa tête. Elle se blotti contre lui en posant sa tête sur son torse. Ses longs cheveux bruns lui chatouillèrent la nuque. Il y a quelques heures cette situation n'aurait été qu'un rêve, un fantasme mainte fois répété. Maintenant ce n'était qu'un geste de réconfort et de protection comme il l'aurait reproduit avec sa sœur.

Je ne pouvais pas rester longtemps assis sur ces débris, j'avais les fesses endolories par la chute dans le local à ordures. Je me levai et marchai autour de la zone faiblement éclairée. En dehors de ce halo de lumière, l'obscurité plongeait notre environnement dans un noir que nul homme moderne ne pouvait connaitre. Toutes les lumières des villes étaient mortes. Seules quelques fins d'incendies parsemaient l'horizon comme des bougies sur un gâteau d'anniversaire. Mon regard se porta vers le ciel étoilé. C'était magnifique. C'était la première fois que je pouvais admirer aussi clairement cet océan d'astres merveilleux. J'étudiai grâce à mes souvenirs la localisation de chacun pour réaliser un circuit de recherche logique pour les investigations de demain. Au sud de Mantes La Jolie, Syvanna et Tania habitait dans le même quartier pavillonnaire huppé du haut de Magnanville que Vanessa. Elles n'avaient jamais manqué de rien, les parents des deux sœurs étaient de hauts fonctionnaires. Le père de Vanessa était chirurgien. En allant vers le nord à Mantes la Ville, Cindy vivait dans une petite maison de location avec ses parents professeurs de collège. En passant la ligne de chemin de fer à Mantes la Jolie, on trouvait Karl et Edouard, au centre-ville Chris. Dans le vieux Mantes derrière la collégiale Notre Dame habitait les parents commerçants de Fred. Aux bords de Seine dans les luxueuses résidences il y avait la famille à Romain. Plus à l'ouest dans le vieux quartier de Gassicourt logeait Moïse chez son père dans un appartement moyen. Et à cent mètres l'un de l'autre Fabrice et moi, nous habitions proche du Lac en bordure de Gassicourt. Je passai le restant de la nuit à me dessiner des plans dans la tête pour tracer le chemin des prochains jours. Je réalisai de la douceur de la température pendant cette nuit et estimai notre chance dans ce malheur. La catastrophe aurait pu se produire en pleine hiver par des températures négatives. J'observai mes compagnons, nous étions tous habillé avec de légères vestes. Certain n'avait même pas de quoi se couvrir, ils avaient laissé leur affaire en classe pendant la pause. En février, ils seraient morts de froid. Là, tous dormaient les uns contre les autres pour se tenir chaud. La plupart remuait spasmodiquement leur corps dans leur sommeil mouvementé, hanté par les monstruosités de la veille. Je ramassai au sol un morceau épais de laine de verre, surement un échantillon d'isolation murale, et me confectionnai une assise dans un creux.

Les premiers rayons de soleil baignaient mon visage, et leur chaleur agréable avait baissé mes paupières. Le lent changement de lumière m'avait plongé dans une douce somnolence. Le déséquilibre de ma tête sur le côté me sortit brusquement de ma léthargie. Je me levai et contemplai le décor de mort, tellement irréel que j'avais l'impression d'être devant un écran de cinéma regardant un blockbuster américain de fin du monde. Non, hier n'était pas un rêve, mais la réalité, un cauchemar qui ne se terminera pas. De nombreuses colonnes de fumée s'activaient encore au-dessus des ruines. Le ciel était radieux sans le moindre nuage pour obscurcir l'astre solaire. Soudain une autre activité me fit sursauter. J'aperçus des petits groupes d'humains remonter la rue, tous dans la même direction. Ils paraissaient amorphes, marchant mécaniquement les uns derrières les autres comme une colonne de fourmis. Un homme tirait un brancard improvisé sur le sol avec une femme blessée allongée dessus. D'autres soutenaient avec leur épaule leur proche claudiquant. J'accouru vers eux en les interpellant. Cela réveilla mes compagnons.

"Eh! Bonjour! Savez-vous ce qui s'est passé? Où y a-t-il des secours? Où allez-vous? Demandai-je.

J'eu l'impression de m'adresser à une colonne de zombis. Un garçon de notre âge sorti d'un petit groupe de trois.

" Nous ne savons rien! Nous suivons juste la majorité des gens vers le centre-ville pour voir s'il y a des secours ou l'armée.

— Nous avons été anéantis par la colère de Dieu, cria une femme au regard fou.

— Non ce sont ces salauds de terroristes qui ont tout fait péter, pesta un autre homme.

Je restai sans voix. Ces gens étaient dans le flou total, comme nous. Je retournai vers mes amis laissant la progression interminable des survivants de Mantes la Jolie vers son centre.

Un grouillement flasque accompagné d'un râle aigu fit vibrer mon ventre. La faim. Il n'y aurait pas de petit déjeuner ce matin. Comme un idiot, la recherche de nourriture n'était pas entrée dans mes plans longuement pensés cette nuit. Il fallait qu'on reconstitue nos forces physiologiques pour garder un mental fort.

Tout le monde était levé, avec les articulations rouillées et les muscles endolories. Le groupe s'était reclus dans une bulle de silence. Chacun savait ce qu'il avait à faire, c'est-à-dire pas grand-chose; suivre le groupe et s'entraider pour trouver à manger.

J'eu le sentiment d'être dans le rôle d'un chef d'Etat annonçant solennellement les Jeux Olympiques ouverts, en me tournant vers mes compagnons et en déclarant simplement;

" Partons de ce lieu de malheur!"

Je pris la tête du groupe et le dirigea selon mes souvenirs et mon sens de l'orientation assez bien développé vers l'épicerie tout proche de notre lycée. Elle appartenait au commerçant le plus gentil que je connaissais, Momo; un algérien cinquantenaire. Avait-il survécu? Je ne pensais pas à la vue de la ruine qui se présentait devant nous. Arrivé au commerce supposé, nous grimpions sur le tas de gravats marquant sa position. Nous observions intensément les débris.

Vanessa appela tout le monde avec un air de triomphe. Elle pointa du doigt une palette de marchandises répandue sur le sol. La plupart des colis avait explosé dégueulant les denrées que nous avions besoins. Nous avions rassemblé un tas de boite de conserve. Je remerciai l'ingéniosité humaine de ces dernières années et d'avoir associé aux conserves des ouvertures comme sur les canettes de soda. Il y a quelques années, nous aurions eu toutes les difficultés du monde à ouvrir ces boites sans l'outil adéquat. J'étais curieux de connaitre le nom de ce génial inventeur. La seconde d'après, je me demandai pourquoi j'avais ce genre de réflexion dans ce contexte dramatique. Peut-être parce que la vie reprenait son cour, tout simplement. Nous ingurgitions un cassoulet froid chacun. Finalement les haricots blancs et les saucisses froides n'étaient pas si mauvais. Dans notre état, cela nous paraissait délicieux. C'était le premier plaisir que l'on avait depuis l'apocalypse. C'était presque jouissif.

Les filles qui auparavant portaient une grande importance sur leur apparence, ne prêtaient même pas attention à la sauce qui bavait de leurs lèvres sur leurs joues et aux éclaboussures de gras sur leurs vêtements. Après la conclusion de nos plats respectifs, nous nous accordions un moment de digestion, étendu face aux premiers rayons du soleil matinal comme si ce petit interlude magnifique ne se reproduirait pas de sitôt.

" Bon! Commençons le programme de la journée, m'exclamai-je. J'ai étudié un circuit cette nuit et n'y voyez aucun égoïsme, mais il commence par chez moi.

— C'est vrai ça! tu habites à moins de deux cent mètres d'ici et tu n'as pas eu envie de te rendre à ton domicile? Intervint Fred.

— Je pense que j'ai eu peur de m'y rendre sans vous avoir pour supporter la douleur de ce que je pourrais découvrir sur place.

Syvanna s'approche de moi et me pris la main. Son regard pénétra dans le mien.

"Nous serons tous là pour te consoler. Et nous allons nous soutenir les uns les autres! Allons-y!

Nous approchions de chez moi. Nous contournions une montagne de pierres et de bardage qui devait être l'immeuble en vis-à-vis. Celui qui je voyais tous les matins en regardant par ma fenêtre du cinquième étage. J'eu la surprise de découvrir que mon immeuble ne s'était pas complètement effondré comme la plupart des tours de la ville. L'immeuble qui nous masquait avait surement fait office de bouclier face à l'onde de choc. Mon bâtiment était crevé sur toute la façade. Nous pouvions voir l'intérieur des appartements dévastés comme un chirurgien sur un squelette. Sans son manteau extérieur, j'éprouvai beaucoup de difficulté à repérer ma chambre. J'étais obligé de compter les cases sur la hauteur (pour les étages) et sur la largeur (pour l'appartement) pour enfin observer ce qui restait de ma chambre. Personne. Il n'y avait bien sur personne chez moi à l'heure de la catastrophe. Mes parents étaient au travail. Qu'est-ce que j'espérai? Que ma mère soit soudainement revenue de son travail pour un arrêt maladie? Non, ma mère ne posait jamais de jour de congé imprévu ni d'arrêt maladie. Elle préférait faire son job à moitié morte aux remarques éventuelles que pourrait lui faire son patron.

" Désolé!

— Pourquoi? Demanda Vanessa.

— Désolé de vous avoir traîné jusqu'ici! je savais pertinemment qu'il n'y aurait personne chez moi.

— Tu n'as pas à être désolé! tu as juste eu de l'espoir!

Soudain un miaulement aigu attira notre attention. Une petite tête poilue surplombée de deux oreilles triangulaires dépassait de l'encadrement de la porte de ma chambre. Son museau piochait dans le vide à la recherche d'un moyen pour descendre du cinquième étage.

"Mushuu! Hurlai-je. C'est mon chat.

— Oh! il a l'air mignon. Mais il est coincé là-haut.

— Je vais le chercher!

— Et tu vas utiliser tes pouvoirs de Spider-man pour grimper là-haut? ironisa Karl.

— Par la corniche là! et puis je ne peux pas le laisser! m'énervai-je.

— Mais tu ne vas pas te tuer pour un chat!

— Tais-toi ou...

Un grondement gras de la structure de l'immeuble parvint à nos oreilles et à nos pieds par sa vibration. Ce bruit inquiétant coupa net la dispute. Comme le grouillement d'un estomac affamé, un second se propagea et je cru voir le bâtiment ciller.

" Qu'est ce qui se passe? S'inquiéta Cindy.

— Ton immeuble bouge Micaël, fit remarquer Romain.

— J'ai bien peur que...

— Il va s'écrouler! hurla Karl.

— Il faut s'éloigner et se mettre à l'abri! cria Chris.

Le groupe paniqué commença à se disperser et à prendre de la distance avec la tour branlante.

Seul, je restai les yeux rivés sur mon petit compagnon de poils qui miaulait de peur, agitant sa patte dans le vide comme pour agripper mon bras à distance. Tout le monde avait pleuré jusqu'à présent depuis le cataclysme sauf moi. La mort de million d'humains, de ma famille probablement n'avaient pas mouillé mes joues de mes larmes. Mais ce petit lien encore vivace qui me raccrochait à ma vie d'avant fit craquer le réservoir de ma tristesse en un geyser de liquide oculaire. Mes jambes flanchèrent pour percuter le sol grondant sur les genoux. Quel ridicule moment de ma vie! Sombrer dans le désespoir à cause d'un vulgaire animal.

Fred brisa ma torpeur et me tira du sol par le col.

— C'est fini Micaël! Faut se planquer! Regarde nos amis derrière! tu nous as tous sauvé! Ils te doivent la vie et tu ne pourras le faire pour tout le monde! Viens te protéger avec moi.

J'acquiesçai d'un signe tremblant de la tête.

Soudain, un bloc de béton s'écrasa à quelques mètres de nous. Cela précipita notre fuite et l'écroulement du bâtiment.

Le dernier étage sombra sur le niveau inférieur et celui-ci encore sur le niveau inférieur et la chute s'accéléra masquée par une tempête de poussières de gravats, de plâtre et de béton.

Nous courions à perdre haleine poursuivi par cette avalanche de poudre grise. Une main surgit derrière une grande carcasse de camion et nous indiqua l'endroit salvateur pour nous protéger des éclats de projection. Nous plongeâmes derrière le container de la remorque pratiquement sur les genoux de Romain. Je fermai les yeux, agrippé à mes amis. Le métal de la dépouille du transporteur était mitraillé par les milliers de petits gravas concassés par le choc de la destruction. Puis le bruit sourd s'éloigna de nous laissant échapper de multiples échos. J'ouvris les yeux et distinguai à peine le bout de mes mains. L'atmosphère était recouverte d'un épais brouillard gris, une couche de poussière nous recouvrai, s'insinuait dans nos orifices ce qui rendait la respiration très difficile. Un silence profond congestionna l'environnement comme la sensation d'une importante tombé de neige au sein de la montagne. Romain masqua sa bouche avec ses mains pour ne pas avaler de la poussière et cria:

" Est-ce que tout le monde va bien?"

Chaque membre du groupe répondit et selon la provenance des voix nous nous apercevions que nous nous étions séparés en trois groupes. Tout le monde était présent à l'appel.

Nous attendîmes quelques minutes pour sortir de notre cachette et nous réunir, le temps que le voile opaque se disperse un peu.

Une fois tous ensemble, nous nous éloignâmes le plus rapidement possible de la zone encombrée. Nous nous arrêtâmes et prîmes le temps les uns les autres de s'épousseter.

" Je suis désolé Micaël, compatit Syvanna.

Le ruisseau de mes larmes s'était transformé en deux traînées boueuses maquillant mes joues de noir. Elle passa sa main délicate sur mon visage pour nettoyer la preuve de ma tristesse. Mais cette tentative, tout agréable fut-elle, se transforma en un étalement de suie sur la totalité de mes joues, tel un commando camouflé en mission dans la jungle.

" Mince, je n'arrive pas bien à enlever... désespéra Syvanna.

Je pris sa main.

— Ce n'est pas grave! Je nettoierai ça à la prochaine flaque d'eau que l'on croisera. Ce n'est pas ça qui manquent maintenant.

Tous nos compagnons étaient tournés vers nous. J'en profitai pour leur adresser une parole collective.

" Je suis vraiment désolé de vous avoir tous mis en danger par ma bêtise. Et je tiens...

Fabrice me coupa en passant son bras autours de mon coup. Et en silence il m'étreignit. Mes amis formèrent une file d'attente et l'un après l'autre répétèrent ce geste de compassion. Et ce sont de nouvelles larmes finalement qui lavèrent un peu mes joues sales.

Nous arpentions du Nord au Sud les ruines de notre ville. Les habitations de Fabrice et Fred n'étaient plus que champs de pierres et de poussières. Aucuns de mes deux amis n'avaient osés s'approcher trop prêt du désastre de peur de trouver des preuves charnelles de la disparition de leurs proches. Ils préféraient le doute, source d'un minimum d'espoir.

Arrivé sur la principale avenue de Mantes qui la traversait d'ouest en est, nous devions y marcher pendant plus d'un kilomètre pour rejoindre le centre-ville.

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