Chapitre 1 : Mauvaise fille

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Je marche dans le couloir et tout le monde s'écartent en me voyant arriver, pour mieux me dévisager. Ils parlent dans mon dos, je le sais, je sens les insultes qu'ils me lancent en cachette et leurs regards de vautours fixés sur moi. Ici, on me craint autant qu'on me déteste et les langues de vipère, ce n'est pas ce qui manque, ça fait longtemps que les messes basses ne m'affectent plus. C'est pourquoi je ne dis rien, je les ignore, car c'est la meilleure chose à faire. Passant devant un petit groupe de filles à l'allure un peu trop hypocrites, leurs commentaires arrivent en partie à mes oreilles, je m'interromps dans mon avancée.

— .... Tu as vu ? Elle ne s'est toujours pas fait renvoyer..., dit une petite brunette aux longs cils dont le maquillage trop voyant était d'un sombre déprimant. À la mode paraît-il, plutôt grotesque oui.

— Ouais, c'est suspect ... Je parie qu'elle doit passer sous le bureau pour amadouer le proviseur..., renchérit la blonde à sa droite en exagérant chacun de ses mouvements de mains.

Les deux filles ricanent aussitôt.

Mon sang ne fait qu'un tour avant que mon poing vienne frapper contre le casier juste derrière cette langue de vipère. J'approche mon visage du sien avec une lenteur calculée, jubilant d'avance en imaginant la trace de mon poing sur son visage. Si elle veut du sombre, je lui en donnerai un beau bleu, voire une arcade explosée en prime, de quoi lui donner envie de tourner sept fois la langue dans sa bouche avant de l'ouvrir à nouveau devant moi.

— Qu'est-ce que tu viens de dire Barbie ?! Répète un peu pour voir..., lui craché-je avec une telle fureur que je peine à la contenir. Il faut que je me contrôle, sinon, c'est moi qui va avoir des problèmes.

Tétanisée, elle lève les yeux vers moi. Elle se crispe, je vois son visage blêmir comme si je venais de me transformer subitement en une créature effrayante à trois têtes.

— ... Je ... Ce n'est pas..., essaye-t-elle d'articuler sans succès avant de se plaquer contre son casier en levant les bras devant elle, de peur que je la frappe. Peur totalement justifiée puisque je n'ai pas la réputation d'être une tendre.

— Alors ? fais-je en cognant à nouveau le casier, ce qui la fait sursauter. Je te parle, merde !

Le bruit de mon poing sur la paroi métallique de son casier se répercute dans le couloir alors que tous les regards sont braqués sur nous. Les chuchotements augmentent en emportant ma patience avec. Une soudaine envie de passer à l'action me démange le poing droit, mais je ne fais rien, je connais les limites à ne pas franchir à l'école, même si j'ai vraiment du mal à retenir mon poing. Elle n'aura plus la même chance si jamais ce genre d'incident vient à se reproduire, je ne serai plus aussi sympa.

— Éloïse Malli, je peux savoir ce qu'il se passe ici ?! dit une voix grave que j'identifie comme étant celle du directeur, il vient se placer dans mon dos et tape le sol de son pied en signe d'impatience.

Eh merde ! Je n'ai pas fait attention à vérifier les alentours au cas où un prof passerait par là.

— Il me semblait pourtant que l'on était arrivés à un accord tous les deux, n'est-ce pas ?! tonne-t-il, toujours dans mon dos.

Je me redresse pour me tourner vers lui avec un grand sourire plaqué sur les lèvres. Sourire que je tente de rendre le moins faux possible.

— Monsieur Renders, quelle joie de vous revoir, vous avez passé de bonnes vacances ? Ça fait un moment que nous ne nous sommes pas vus. Oh, mais que vois-je, vous avez de nouvelles chaussures en cuir ?!

— Euh non... C'est... Mais attends un peu, ce n'est pas de ça que...

— Oh, vous les avez lustrées, on dirait des nouvelles..., essayé-je de renchérir.

— Malli.

— Vraiment, elles sont très belles, je me disais même que je pourrais offrir les mêmes à mon papounet d'amour.

— Éloïse ! il hausse le ton en me fusillant du regard. Visiblement l'ironie de ma dernière réplique ne lui a pas vraiment plus.

— Oui monsieur ?

— Dans mon bureau, maintenant !

— Très bien monsieur..., réponds-je en faisant la moue, un peu déçue que ma diversion un peu foireuse, je le reconnais, n'ait pas fonctionné.

Monsieur Renders se tourne alors vers la petite blonde, car son amie s'est enfuie, ainsi que pas mal d'élèves d'ailleurs puisqu'il vient de sonner. Il lui dit d'une voix autoritaire :

— Vous aussi mademoiselle Bailly, il me semble d'ailleurs que vos vêtements ne sont pas réglementaires, il est interdit de porter des t-shirt qui ne couvrent pas vos épaules et votre nombril. Les règles sont faites pour être respectée et il le semble que ce n'est pas la première fois que vous sortez votre Smartphone à l'école ! la réprimande-t-il en désignant l'objet électronique qu'elle tient toujours en main alors que je ricane de mon côté en empruntant déjà le couloir qui mène à son bureau.

J'entre la première, aussitôt suivi du propriétaire du local et de la blondinette. Je m'installe confortablement dans le petit fauteuil au cuir noir tout près du bureau alors que monsieur Renders se dirige vers son bureau, laissant ainsi miss Barbie confuse, ne sachant quoi faire devant cet homme imposant qui la fixe désormais de son regard autoritaire. Brrr... lui non plus n'est pas un tendre, mais seulement avec ceux qui ne respectent pas ses règles.

— Installez-vous mademoiselle Bailly, sa voix grave résonne dans la pièce et il désigne de la main une chaise face à lui. Asseyez-vous.

Elle s'exécute sans broncher alors qu'il range de son côté, les quelques feuilles qui traînent sur le bureau. Faut dire que espace de travail est impeccable à chaque fois que j'y mets les pieds et je peux vous dire que ce n'est pas vraiment rare.

— Et bien les filles, pouvez-vous m'expliquer ce qu'il vient de se passer dans le couloir ? Vous savez bien que je n'autorise aucune forme de bagarre.

Puisqu'aucune de nous ne prend la parole, il enchaîne :

— Alors ?! Dans ce cas, je devrais vous mettre toutes les deux en retenu demain après les cours. Je suis sûre que les éducateurs pourront trouver de quoi vous occuper, ramasser les déchets de la cours ou encore laver les tables du réfectoire des élèves ? Beau programme, n'est-ce pas ?

Je ne dis toujours rien, pas que les corvées me conviennent particulièrement, mais parce que je sais que se sera bien plus pénible pour miss Barbie que pour moi. Ça vaut le coup. Et puis de toute façon, je n'ai pas cours de boxe ou de krav maga demain puisque mes entraînements ne commencent que la semaine prochaine. Mais miss blondinette n'est pas du même avis, puisque dès que ses mots sortent de la bouche du directeur, elle pâlit. Hoho ! Ça annonce un meilleur spectacle que prévu.

— Non, ce n'est pas juste, j'ai déjà réservé une journée shopping avec les filles ! s'écrit-elle d'une voix rendue aiguë par la surprise alors qu'elle se lève précipitamment.

M. Renders qui s'enfiche complètement de sa sortie lève un sourcil en l'air. Son excuse me fait bien rire moi.

— Et donc ?

— Et bien ce n'est pas de ma faute ! C'est à cause de l'autre sauvage que je suis ici. C'est à cause d'elle, c'est elle qui m'a menacé. Elle voulait me frapper, c'est elle qui devrait être punie, pas moi ! s'emporte-t-elle violement.

Alors, comme ça, la miss a retrouvé sa langue...

— Pauvre chou, que tu es fragile. Pourtant, tu n'avais pas l'air comme ça en insinuant mon soit disant passage sous le bureau du directeur. Tu n'es qu'une idiote de croire pouvoir me provoquer ta face retouchée encore regardable !

Mon ton est sarcastique, je fais mine de ne pas remarquer sa tête qui devenait rouge sous l'effet de la colère.

Outré, monsieur Renders se lève à son tour en frappant ses mains contre le bois massif de son bureau.

— Ça suffit ! Bailly, vous resterez après les cours point final et Malli, surveille ton langage jeune fille !

Il doit être sacrément énervé. Barbie sort en trombe de la petite pièce en me laissant seule avec le directeur. Celui-ci soupire bruyamment en se massant l'arrière du nez avant de poser son regard sur moi, m'incitant à me placer correctement sur le fauteuil alors que je m'y étais allongée pour être plus à l'aise. Il se rassoit calmement.

— Pourquoi cherches-tu toujours les problèmes Éloïse ? demande-t-il d'une voix plus douce.

— Et alors quoi ?! réponds-je, agacée qu'il prenne ce ton plus doux avec moi. Ce n'est pas parce que tu es mon oncle que je dois tout te dire, je suis une mauvaise fille, tu ne l'as pas encore compris ?! C'est dans mes gènes de chercher la merde et plus encore si on a un problème avec moi.

Mes piques lui font balancer la tête de droite à gauche en soupirant de nouveau.

— Je ne sais pas ce qui s'est passé, tu étais une fille tellement gentille et douce avant. Pourquoi t'acharnes-tu à donner une mauvaise image de toi ?

Il me regarde droit dans les yeux en ricanant. Pour rien au monde je ne reviendrai comme avant. Plutôt crever.

Mais oncle Albin est le seul à m'accorder de l'attention. À une époque, il venait souvent manger à la maison, lui et tante Clara. Ils formaient un très beau couple et malgré les sept ans de mariage, ils étaient toujours aussi amoureux, ça se voyait dans leurs regards. Oncle Albin m'apportait toujours des kinders surprise lorsqu'il venait manger à la maison et pendant que les adultes parlaient entre eux avec mes grands frères en me laissant de côté, c'est lui qui venait vers moi pour qu'on joue avec les petites figurines. Il m'écoutait.

Le coin de mes lèvres s'étire en un semblant de souris, j'étais rentrée dans cette école sans que personne ne connaissent les liens de parenté qui me lies à lui. Mais malgré sa gentillesse, jamais je n'ai pu me confier à qui que ce soit, c'est bien trop gros pour moi. Je n'ai jamais eu le courage d'en parler à personne et je ne compte pas le faire, surtout pas à lui. Ne surtout pas le décevoir.

— Les gens changent plusieurs fois dans une vie, c'est ce qu'on m'a dit..., ajouté-je d'une voix à peine audible en me dirigeant vers la porte.

— Et Éloïse ? entends-je derrière moi.

— Hmm ?

— Ne crois pas que j'ai oublié, demain je veux te voir dans la salle de retenu.

— J'aurais essayé, ne puis-je m'empêcher de dire alors que mon sourire s'étire avec sincérité cette fois, ce qui déclenche un petit rire d'oncle Albin.

— Et avant de parti, passe d'abord à l'infirmerie pour désinfecter tout ça ..., intervient-il avant que je n'ai pu franchir le bas de la porte.

— Pourquoi ? demandé-je confuse.

Il désigna de son menton ma main droite.

— Tu saignes.

Sans dire un mot, je me retourne et prends la direction de l'infirmerie. Je n'ai rien de grave, mais je décide quand-même de lui obéir avant de rentrer à la maison.

Une fois de retour chez moi, je jette mon sac contre le mur, au fond de ma chambre et je m'étale de tout mon long sur mon lit douillet. Après une dizaine de minutes, je descends pour aller me chercher quelque chose à grignoter quand un petit post-it collé sur le réfrigérateur attire mon regard.

《 Ton père et moi ne seront pas à la maison, on va dormir chez des amis (mais tu le sais déjà). Kevin et Dylan non plus, nous rentrons tous demain. Ps: Mathilde ne sera pas là, aujourd'hui, c'est son jour de congé. 》

Sans aucune trace de chaleur évidemment. Mais j'ai l'habitude maintenant, je reste souvent toute seule puisque je n'ai pas d'ami, enfin, à part mes camarades de krav maga et de boxe, pas de vrais avec qui sortir et m'amuser comme tout adolescent de mon âge. Et je n'ai plus jamais laissé quelqu'un s'infiltrer dans ma vie depuis presque dix ans. Ça fait longtemps, mais peu m'importe.

La soirée se déroule comme à chaque fois : manger, regarder la télé, manger, série d'échauffent et d'étirement, douche et puis direction mon lit. Rien n'y fait, cette routine monotone me suit quoi que je fasse. Je sors de ma douche et prends la direction des escaliers pour rentrer dans ma chambre. Passé le seuil, mon repère me semble être dans un bordel pas possible. Il faut vraiment que je pense à ranger tout ça, mais l'envie n'y est pas.

Je vais tout ranger demain...

J'enjambe un sac de boxe immense que je n'ai pas encore emmené dans la salle d'entraînement que possède notre maison. Oui, mon père a gagné beaucoup d'argent depuis l'ouverture de son entreprise, mais ne passe pas plus de temps à la maison pour autant. En passant devant mon miroir accroché au mur, un reflet attire mon regard. Je décide alors de bifurquer sur ma gauche pour venir me voir de plus près afin de constater une fois encore mon image qui n'est pas vraiment réjouissante. J'ai une mine affreuse à cause de mes cernes et mes cheveux ne font que pâlir mon teint déjà bien trop clair, paraissant presque maladif. Je grimace en apercevant des longs cheveux roux m'arrivant en haut de ma poitrine et des yeux verts-gris brillaient dans la faible luminosité de ma chambre, bien que fatigués. Je soupire un bon coup avant de décider enfin à me mettre au lit.

Je réussis à m'endormir, mais assez vite, je commence à gigoter dans mon sommeil, perturbé par un rêve inhabituel.

Une sensation de nausée traverse mon esprit, je me sens engourdi. Des murs blancs, c'est tout ce que je vois. La petite pièce dans laquelle je me trouve me semble froide et sans trace de vie. Seules trois chaises sont disposées autour d'une table, elles aussi d'une blancheur immaculée. Je fais un pas en avant alors que ma tête me tourne terriblement. Un frisson me parcourt l'échine, je me rends compte que je ne suis plus vêtu de mon pyjama, mais d'une sorte de pantalon de toile brun-gris et d'un t-shirt gris. Je fais tâche dans ce décor d'un blanc parfait. L'envie de sortir d'ici commence à se faire sentir, je me dirige donc vers la porte dans le but de m'échapper de cette pièce devenue trop étouffante, mais poignet résiste. C'est fermé ! J'ai beau forcer, la porte reste coincée. L'angoisse monte en moi, un bruit étrange attire alors mon attention et un détail que je n'ai pas remarqué avant fait augmenter mon rythme cardiaque à tel point que j'ai peur de voir mon cœur sortir de ma poitrine. Les murs se rapprochent, ce n'est pas une impression. Je me mets à crier, je crie aussi fort que mes poumons me le permettent. Mes hurlements résonnent dans cette minuscule pièce qui rétrécit à vue d'œil. Il doit sûrement y avoir quelqu'un derrière cette fichue porte, quelqu'un qui pourrait l'ouvrir avant que je ne finisse en chair à pâté. Mais personne ne vient, les murs continuent de se rapprocher et mes cris laisseront sûrement place d'ici quelques secondes aux craquements sinistres de mes os broyés. Et j'ai peur, pour la première fois depuis dix ans, je sens de nouveau une peur viscérale monter en moi.

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