Satire sur mes poèmes

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I

Je voulais, pour ma gloire, apporter mon écot,
mais le fruit de mon arbre était un asticot :
l’orgueil m’avait poussé à déverser mes vers
sur une page blanche engoncée de grands airs.
Je m’étais épanché plus qu’un oiseau des lacs ;
et la rime… — Excusez, je n’ai rien dans mon sac — ;
le rythme, parlons-en, était si grave et lourd
qu’une marche funèbre eût déjà fait son tour.
C’était mauvais et très mauvais ; je voyais bien,
mais un cœur si moelleux peut-il juger sans rien
critiquer ? J’étais fier, et comptais publier.
Il fallait, mon garçon, mettre son tablier.
Mais tu préféras tant la cuisine grossière
que, dans ta macédoine, était la terre entière :
mille sujets, sans queue ni chef ; ta tourterelle
n’était bonne qu’à l’une, et c’était la poubelle ;
pour combler la salade, on débouchonne un vin :
il fallait, cher ami, en ouvrir quatre-vingts :
enfin, tu voulais tout ; et le lecteur, plus rien.
On était dégoûté de ce grand va-et-vient.
— N’avez-vous point fini ? — Eh non, monsieur l’artiste :
quand on chasse un gibier, l’on suit toute la piste.
Ma satire, ô poëte, a juste commencé :
ta poésie, hélas, m’invite à la tancer.
La pratique et l’amour, voilà qui te feront :
n’est-ce pas en forgeant qu’on devient forgeron ?
Tu le pris à la lettre, et ton bruyant marteau
frappait sur le papier de nouveaux tourtereaux.
Tu croyais y voir clair ! Je me revois encore :
tu te vantais sans doute en parfait Matamore ;
mais l’inspiration t’avait donné des ailes
et tu gonflais la voile en invoquant Cybèle.

II

On y voit des sonnets, des mauvais et des bons,
qu’une fable introduit sans esprit ni façons.
Ce sont des jeux d’esprit, de jolis tours de mots,
et l’on peint les contours d’un étrange tableau.
Le goût de l’œuvre, ensuite, est amer et gazeux :
c’est une écume vague au contenu oiseux
qu’une infatigable marée, près d’une mer,
jette à l’aveugle, été, printemps, automne, hiver.
On s’y noie, on s’y perd, et l’on cherche du pied
un sol assez solide où l’on peut se confier.
Ce que j’ai critiqué, tu l’as dit par toi-même :
tu étais naufragé dans ta course au poème
et dans les profondeurs de ton âme et conscience,
tu te perdais souvent, petit poëte en transe,
quand le rythme, et le chant, et la sourde musique
réclamaient de tes sens la litanie publique.
Enfin, de ces portées qui jouaient dans ta tête
on t’appelait, sans doute, à être le prophète ;
tu inventas alors ta religiosité :
le culte de la rime en toute cécité,
et tes vers, aveuglés, avançaient à tâtons
tandis que dans la rue résonnait ton bâton.

III

Alors, ce fut alors que tu perdis la boule,
et l’on finit d’entendre un oiseau qui roucoule ;
tu composas dans l’ombre un ultime recueil
et d’une plume noire assembla ton cercueil.
Le séjour de la nuit te fit marcher sans but,
et pour te repérer, tu couvris le début
de rimes et d’échos ; mais dans la solitude,
nul ami ne répond à la triste attitude.
Peu à peu, tout s’efface ; et les bonnes manières
s’en vont, et laissent place à ta propre bannière ;
l’œuvre s’écroule, et le fumet propitiatoire
d’un sacrifice honnête égaie ton auditoire :
enfin, tu parles vrai ; et ton souffle incarnat
commet avec esprit le bel assassinat
de l’imposteur. Vaincu, tu as fait tes adieux
au corps ; on voit à peine un éclair dans tes yeux ;
que peut-il arriver ? Quel est ce vœu funeste ?
Es-tu prêt à mourir pour vivre ce qui reste ?
On voit à son travail la Parque malheureuse :
le duel a rompu la brume belliqueuse
et la paix d’une mort en toute amitié
donne les pleins pouvoir à l’autre moitié.
Ce fut ainsi, amis, que l’on vous découpa :
une partie sur terre, et l’autre… on ne sait pas ;
et pour chanter à deux l’harmonie du chaos,
vous jouez… Mais enfin, ça va pas bien là-haut ?
Voilà que je me prends à métaphysiquer !
J’en ai marre, et je signe avec cette satire
la fin de ce voyage. Où m’aura-t-il mené ?
J’aurai vu que la rime est un piège ; et le rythme,
un guide sage et pieux qui marche au pas de l’oie ;
la musique est si belle, et le sens incomplet !
J’aurai la tête ailleurs, et l’oreille aux couplets ;
mais puisqu’il faut aussi recevoir nos défauts,
je chanterai toujours, et je chanterai faux.

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