La course au champignon magique...

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Relève la tête.

Le Magicien avait perdu son chapeau...

J'ai allumé ce soir une pincée d'étoiles.

J'ai soufflé sur tes yeux pour en ôter les cendres.

Ton âme a rougeoyé ; je crois que j'ai pleuré.

A ta flamme mourante, j'ai sacrifié mon sang.

Un sourire penché vint déchirer la nuit.

J'ai sacrifié mon sang ; ton âme a rougeoyé :

Une pincée d'étoiles à ta flamme mourante.

Pour en ôter les cendres, je crois que j'ai pleuré.

J'ai soufflé sur tes yeux une pincée d'étoiles.

Tu as fermé les yeux, j'ai regardé la nuit.

Les astres vacillants gouttaient sur ta peau pâle.

Je crois que j'ai pleuré à ta flamme mourante.

J'ai sacrifié mon sang. Une pincée d'étoiles

Disparaît peu à peu tandis que tu t'éloignes.

Il était une fois, dans une grande ville du nord de la France, un homme sans famille du nom de Roger. Roger passait ses journées et ses nuits à rouler avec sa vieille voiture de bar en bar, se saoulant du soir au matin et du matin au soir. Il ne cessait de boire que le temps d'un coma éthylique. A l'hôpital, on le connaissait bien, puisqu'une ambulance l'y déposait toutes les semaines, mais les médecins ne savaient plus quoi faire. Roger, depuis qu'il avait tué sa femme et ses deux filles dans un accident de voiture que son ébriété avait provoqué et duquel il avait réchappé, noyait sa peine d'être vivant dans l'alcool, et conduisait tant qu'il pouvait à la rencontre de sa justice.

Un soir qu'il traversait une forêt, ivre mort et à tombeaux ouverts, pleurant sur son malheur et se morigénant, il essaya en vain d'éviter un petit animal volant qui restait pétrifié dans la lumière de ses phares. Il ne parvint à s'arrêter qu'après le choc sinistre et fatal de la créature sur son pare-brise. Pendant quelques minutes, il fixa d'un œil vide la traînée de sang laissée sur le carreau par le petit animal puis, livide, il ouvrit sa portière et tituba, en s'accrochant à la carrosserie, vers l'arrière de la voiture, à la recherche du petit corps. Il l'aperçut à peine, à quelques mètres de là. Il zigzagua vers sa victime et s'écroula, mi-pleurant, mi-râlant, à genoux au-dessus du frêle animal. L'observant de plus près, Roger s'aperçut que la créature était en fait une toute petite fille, qui portait une petite robe de dentelle rose et une petite paire d'ailes nacrées dans le dos. Roger la recueillit dans la paume de sa main et, arrêtant net ses sanglots et gémissements, il examina le visage du petit être. C'était le visage de sa plus jeune fille. Alors, son chagrin et son désespoir reprenant de plus belle, il enfouit la créature dans les plis rougeauds de sa figure et pleura, abondamment, pendant plusieurs heures, la minuscule défunte, son malheur, sa bêtise, son manque de chance dans la vie, sa famille anéantie par son alcoolisme, sa vie désertée par le salut... Il pleura tant et tant que ses larmes, noyant le petit cadavre au fond de ses mains, le firent fondre. Quand son trouble se calma, il ne trouva plus au fond de sa main qu'une petite perle de nacre renfermant une minuscule bulle dorée. Alors, se redressant avec peine, il regagna son véhicule et rentra chez lui.

Au matin, lorsqu'il s'éveilla, une migraine terrible lui enserrant le crâne, Roger ne se souvenait plus de rien, et il ne subsistait en lui de la nuit qu'un sentiment profond de malaise. En s'habillant, alors qu'il renfonçait dans son pantalon ses poches indisciplinées, il sentit un petit objet rond entre ses doigts. Il sortit la perle et la contempla, fasciné. Soudain, tout lui revint en mémoire : les premières fois où il se saoula devant sa femme et ses filles, ses colères contre elles lorsqu'elles cachaient ou vidaient ses bouteilles, le terrible accident, toutes ces années à écumer les bars et les routes, et cette nuit, où il avait de nouveau tué, tué par alcoolisme et égoïsme ce petit être dont il ne comprenait même pas l'existence. Alors, se laissant tomber dans son fauteuil, accablé par une immense fatigue, il adressa à la petite perle de nacre les questions terribles qui lui rongeaient l'âme depuis si longtemps, lui livrant ses angoisses les plus secrètes et les plus inavouées. Roger n'aurait su dire ni pourquoi, ni comment, mais il lui semblait que l'objet l'écoutait, le comprenait, qu'il le pardonnait.

Quand il eut fini de s'épancher, il serra la perle au creux de sa main et quitta son appartement. Son premier geste fut d'aller à sa voiture mais, pour la première fois depuis un temps qu'il ne savait plus mesurer, il décida de marcher un peu. Il faut ajouter que la traînée brunâtre qui finissait de sécher sur son pare-brise ne pesait pas pour rien dans cette décision. La main crispée sur son trésor, il promenait sur ce monde qu'il avait abandonné et qui l'avait abandonné depuis longtemps un regard curieux, mais son esprit, déserté par toute conscience, ne s'interrogeait pas sur les nombreux changements qui s'étaient opérés dans la ville. Les gens le croisaient en évitant son regard, allant jusqu'à s'écarter exagérément de son chemin lorsqu'il les approchait. Les voitures vrombissaient et klaxonnaient alentours, des enfants riaient ou pleuraient, des oiseaux gazouillaient et des chiens aboyaient. Bouteille vide, Roger se laissait remplir par le nectar de vie qui s'écoulait dans les artères de la ville.

Soudain, alors que ses pas l'avaient mené à proximité d'un grand carrefour qu'il ne connaissait pas, Roger vit dans le même instant le chauffard qui zigzaguait à folle allure sur la chaussée et une petite fille tenant son petit frère par la main au milieu du passage piéton, en plein dans la trajectoire meurtrière du bolide. Avant même de l'avoir voulu, il s'était élancé vers les enfants, les avait pris dans ses bras et les avait mis hors de danger, tandis que la voiture allait finir sa course folle dans le mur d'un immeuble, à quelques dizaines de mètres de là, dans une terrible explosion dont Roger put sentir la chaleur. Il raccompagna chez eux les enfants terrifiés et choqués où, une fois arrivé, tel un héros, il fut embrassé, béni et remercié par leurs parents, fous de joie.

Lorsqu'il ressortit de l'immeuble où il avait mené les deux enfants qu'il avait sauvés, un soleil resplendissant l'accueillit. Il rouvrit sa main et contempla dans le creux de sa paume la petite perle de nacre qui y brillait. Au contact des rayons de lumière, elle se mua en gouttelette resplendissante qui eut tôt fait de s'évaporer. Roger souffla sur sa main à l'endroit où, quelques secondes plus tôt, la perle de nacre se tenait puis, inspirant à pleins poumons le parfum des fleurs alentours et de l'herbe fraîchement tondue, il sourit au soleil comme il ne l'avait jamais fait, et il reprit sa ballade en sifflotant.

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