CHAPITRE 4

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Les jours suivants, les chevaliers se succédèrent dans le jardin du château, seuls ou à plusieurs.

Avec, hélas, les mêmes résultats.

Les lances craquèrent, les boucliers volèrent en éclats, les carquois se vidèrent de leurs flèches, les épées se brisèrent en deux ou en mille morceaux, les masses d’armes s’aplatirent comme des crêpes. Certains chevaliers, plus expérimentés, tenaient plus longtemps que d’autres, mais aucun ne faisait vaciller le monstre.

Un beau jour, un curieux individu se démarqua des hommes en armure qui attaquaient quotidiennement. Un petit vieux à la barbe blanche, vêtu d’une longue robe. Il portait sur la tête un chapeau conique usé. Entre ses rides brillait un sourire énigmatique qu’on ne voyait que chez les grands sages.

Cette fois, le dragon n’attendit pas qu’on le provoque. Il descendit de lui-même en planant, intrigué.

“Le Roi doit être bien désespéré pour m’envoyer un vieux débris. Ou alors, il a épuisé toute sa fortune” songea-t-il en se posant face au vieillard.

Sans un mot, l’homme sortit lentement une petite bourse de sa poche et vida son contenu dans la paume de sa main. Puis il souffla la poudre en direction du dragon, qui renifla et attendit qu’il se passe quelque chose.

Mais il ne se passa rien.

Pas même un éternuement.

Le sorcier perdit son sourire et regarda le Roi qui se tenait éloigné avec sa femme.

“Je ne comprends pas, mon Roi, lui dit-il, en haussant les épaules, cette poudre de lavande, de marjolaine et de sable doux aurait dû le terrasser, j’ai veillé moi-même à sa préparation !”

“Je crois que vous avez fait appel à un charlatan, mon Roi. J’ai pitié de vous, je vais vous venger.” ajouta le dragon, avec un accent de sincérité qui le surprit lui-même.

Sang Peur partit d’un grand rire et donna un coup de griffe dans la robe du sorcier qui se retrouva tout nu et dut repartir vers la forêt, une main devant et l’autre derrière.

Pendant ce temps, Bréanne se battait pour sa survie. Savoir que ses parents n’abandonnaient pas lui prodiguait un regain d’énergie. L’espoir la faisait vivre, littéralement.

Du haut de sa prison, elle pouvait les observer lorsque le dragon combattait. Leur mine résolue la confortait dans l’idée qu’ils ne renonceraient jamais. Du coup, elle trouvait la force de tenir tête à son bourreau, se moquait de lui pour lui signifier qu’il ne gagnerait pas. Plusieurs fois, elle tenta même de l'attaquer dans son sommeil, en vain. Le dragon la désarmait avant même qu’elle ait eu le temps de porter un coup.

Résister était devenu un acte vital.

Une nuit, alors qu’elle mijotait un nouveau plan pour s’évader de sa chambre, elle entendit des chuchotements, de l'autre côté de la porte. Elle reconnut la voix inquiète de son père.

“Vous êtes sûr de ce que vous faites ?"

"C'est la dernière chance, vous le savez bien" répondit une voix qu’elle n’avait jamais entendue.

“Elle risque de mourir !” rétorqua sa mère.

“Vous n’avez plus le choix. Si nous ne faisons rien, elle mourra de toutes façons.”

“Allez-y” répondit le père, d’une voix tremblante.

Bréanne eut envie d’intervenir dans la conversation, mais le dragon avait le sommeil léger comme une plume : elle avait peur d’attirer son attention et de mettre le plan en péril. Elle se demanda quelle était cette nouvelle stratégie si risquée, lorsqu’elle aperçut de la fumée surgir sous la porte. L’instant d’après, les naseaux du dragon frétillèrent, le monstre se retourna, ouvrit un oeil, puis l'autre. Incommodée par le nuage âcre qui s’insinuait dans la chambre, Bréanne toussa et aussitôt, le dragon l'imita.

" Ils veulent nous enfumer ! Ils vont essayer de nous tuer. De te tuer !" gronda-t-il. “Monte sur mon dos ! C'est un ordre !“

Bréanne se leva en traînant les pieds.

“Plus vite !” insista-t-il.

“Tu as l’air soucieux, Sang Peur, un mauvais pressentiment ?”

“Tais-toi et monte !”

La princesse obéit. Elle s'agrippa aux écailles et le dragon s’envola. Mais après quelques battements d’ailes seulement, une volée de flèches les accueillit, certaines d’entre elles ricochèrent contre les écailles du dragon, d’autres se perdirent dans le vide.

Bréanne se retourna, les cheveux au vent. Sur le toit du château, une vingtaine d’archers bandaient leur arc, prêts pour la deuxième salve. A leurs côtés, le Roi, la Reine et un homme en armes, le bras en l’air. Il abaissa la main et aussitôt, les traits convergèrent vers le dragon et sa cavalière comme une nuée d’insectes bourdonnants.

Soudain, Bréanne ressentit une vive douleur et grimaça. Elle mit la main derrière l’épaule et sentit la tige d’une flèche sous ses doigts. Et le sang chaud qui coulait doucement.

“Ah ah ! Je te l’avais dit, ils veulent se débarrasser de moi, quitte à te tuer en même temps ! Tu ne peux pas leur faire confiance, tu ne comptes pas pour eux !” grinça le dragon avec une pointe de fébrilité dans la voix.

La jeune princesse ne pouvait pas croire que ses parents avaient donné de tels ordres, il s’agissait certainement d’une erreur, d’un accident ! Elle les avait entendus, derrière la porte, ils voulaient la sauver, pas la tuer… Mais une nouvelle flèche la frappa à nouveau, à la cuisse, ce coup-ci. Cette fois, elle sentit le dragon tressaillir sous elle, comme s’il avait été touché, lui aussi. Son vol ralentit et se fit plus hésitant, des gémissements sortirent de sa gueule ainsi que quelques faibles flammes. La princesse chercha à comprendre ce qui se passait, alors que la douleur fulgurait en elle et ralentissait le cours de ses pensées.

Son regard fut alors attiré par deux gros trous sanguinolents, dépourvus de flèches, dans le cou de sa monture… Sang Peur était blessé, lui aussi.

Une troisième flèche toucha Bréanne au bras. Instantanément, une nouvelle blessure apparut de nulle part dans la nuque du dragon qui poussa un beuglement d’une tristesse à pleurer, s’il n’était pas produit par un horrible monstre. Spontéparité ? Des blessures qui apparaissent sans raison, comme les souris dans le linge abandonné, ou les stigmates sur les mains du Christ ? songea-t-elle… Ou alors… se pourrait-il que… Oui ! Chacune des blessures qui la touchait était communiquée au monstre, car tous deux étaient liés depuis le début, depuis l’éclosion de l’oeuf ! Voilà quel était le plan de ses parents ! Tuer le monstre à travers elle, en essayant de ne pas la faire mourir au passage !

Bréanne sentit une vague de courage la submerger, tandis que le dragon au-dessous perdait de l’altitude et tentait un virage pour partir à l’assaut des archers, un dernier baroud d’honneur. Elle se leva sur le dos de la bête regarda droit devant elle et accueillit une dernière flèche, à la poitrine, sans broncher.

Sang Peur s’effondra sur le sol comme une gigantesque masse de viande flasque et laboura le sol sur plusieurs mètres, la langue pendante. Il poussa un dernier râle fétide, tandis que Bréanne s’évanouit et que ses parents se ruèrent sur elle, les larmes aux yeux.

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