Pourquoi il y a un lac sous l’Opéra de Paris

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Il y a environ 5 000 ans

Pourquoi il y a un lac sous l’Opéra de Paris

La géographie masquée de Paris

Il faut avoir lu le Fantôme de l’Opéra de Gaston Leroux pour savoir qu’il y a un lac sous l’Opéra de Paris, le Palais Garnier. Situé au cinquième sous-sol, il couvre un quart de la superficie totale et n’est accessible que par les équipes des techniciens qui assurent la surveillance du bâtiment.

Lors des fouilles pour sa construction, en 1861, le niveau de la nappe phréatique est rapidement atteint et la situation oblige à la mise en place de grosses pompes à vapeur fonctionnant jour et nuit pendant sept mois, asséchant tous les puits des quartiers alentour. Un cuvelage en béton de grandes dimensions est monté, bientôt rempli d’eau, pour contrebalancer la pression des eaux d’infiltration et de mieux répartir les charges d’une partie des bâtiments.

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Ce lac caché est symptomatique de la géographie physique de Paris, déformée et masquée par l’urbanisation depuis plus de deux millénaires. S’il reste des buttes visibles, comme celles de Montmartre, de Belleville (sur laquelle était installé le télégraphe de Chappe), de Ménilmontant ou les buttes Chaumont, déjà la montagne Sainte-Geneviève ou la butte aux Cailles ne se distinguent plus que par des rues en pentes. Le Montparnasse n’évoque plus la butte formée par des remblais au 17e siècle sur laquelle les étudiants voisins venaient déclamer des vers et qu’ils nommaient ainsi en référence au mont Parnasse, une des résidences des neuf Muses.

Si dans le quartier de l’Opéra la nappe phréatique était si haute, ce qui posera également des problèmes lors du creusement du RER A à la fin des années 1960, c’est que nous sommes dans un ancien lit de la Seine. Jusqu’au Néolithique (5 000 ans av. J.‑C.), le méandre parisien de la Seine s’étirait beaucoup plus vers le nord de Bercy. Il allait baigner les pieds de Montmartre et de Belleville, en suivant globalement ce qui deviendra les Grands Boulevards.

Plus au sud, petit affluent de la Seine, la Bièvre, la rivière des castors, suivait le cours actuel de la Seine au centre de Paris et se jetait dans la Seine au niveau de l’actuel pont de l’Alma. Lors d’une crue, la Seine balaya ses alluvions et emprunta le cours de son petit affluent. La Bièvre se jettera dorénavant dans la Seine au niveau du quartier d’Austerlitz. L’ancien bras de la Seine deviendra un marais, qui a laissé son nom au quartier.

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Restons sur la Seine et les nombreuses iles de son nouveau parcours, qui ont été remaniées ou ont disparu. L’ile Louviers fut rachetée par la ville de Paris en 1700 puis louée à des marchands de bois. Le bras qui la séparait de la rive droite de l’ile fut comblé en 1847. Cette ancienne ile correspond aujourd’hui à la zone située entre le boulevard Morland et le quai Henri IV. L’ile Saint-Louis est née de la réunion de l’ile Notre-Dame et de l’ile aux Vaches, séparées au Moyen Âge par un petit canal qui occupait l’emplacement de l’actuelle rue Poulletier. L’ile aux Juifs et l’ile de la Gourdaine furent réunies à l’ile de la Cité lors de la construction du Pont Neuf, et, plus tard, de la Place Dauphine. Citons l’ile Merdeuse, qui était une partie du quai séparée de la rive au pied de l’Assemblée nationale. Son nom était dû à sa petitesse, si petite qu’elle ne fut d’ailleurs jamais dessinée sur aucun plan. Plus en aval, l’ile Maquerelle, où, selon la légende, se déroulaient de « mauvaises querelles » devint l’ile des Cygnes quand Louis XIV y introduisit quarante cygnes offerts par l’Ambassadeur du Danemark. Depuis 1812, cette ile forme l’actuel quai Branly, où se trouve le musée du même nom. L’actuelle ile aux Cygnes, anciennement digue de Grenelle, est une ile artificielle créée en 1825.

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Revenons à la Bièvre, qui avait deux lits dans Paris, la Bièvre vive et la Bièvre morte, sur lesquels s’installeront des moulins, des blanchisseuses et des tanneurs et qui devinrent petit à petit des cloaques puants. Auparavant, un canal de dérivation, le canal des Victorins, permettait d’arroser les jardins de deux abbayes et venait se terminer dans la Seine au chevet de Notre-Dame, ce qui explique la situation de la rue de la Bièvre sur cet ancien confluent. Les travaux d’Hausmann et de Belgrand avec le remblai du quartier de Port-Royal achèveront de mettre le circuit de la Bièvre dans les nouveaux égouts.

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Terminons cette brève histoire de la Seine dans Paris par son endiguement progressif. En descendant dans la crypte archéologique sur le parvis de Notre-Dame, nous pouvons voir l’ancien quai de Lutèce, à plus de 50 m du quai actuel et à 5 m de profondeur. On imagine alors la construction de quai de plus en plus haut et resserrant de plus en plus le lit de la Seine. Ces endiguements n’ont pas empêché Paris d’être inondé en 1910 (8,60 mètres) et surtout en 1658 (8,80 mètres) et en février 1408, avec une débâcle associée aux inondations.

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Devant l’Hôtel de Ville s’étendait la grande zone portuaire de Paris, la place de Grève, occupée autrefois par une ancienne grève, une sorte de plage faite de sable et de gravier, sur laquelle il était facile de décharger des marchandises arrivant par la Seine. Le port de Grève devient le plus important de Paris : le bois, le blé, le vin, le foin y sont déchargés, facilitant ainsi l’installation d’un marché. Les hommes sans emploi y trouvaient facilement du travail. L’expression « faire grève » a donc d’abord signifié « se tenir sur la place de Grève en attendant de l’ouvrage » avant d’évoluer vers le sens qu’on lui connait aujourd’hui. Ce changement de signification se fera entre 1830 et 1848 quand les conflits professionnels augmenteront fortement.

C’était la place la plus importante de Paris et c’est à cet endroit qu’avaient lieu les supplices et exécutions capitales. C’est aussi sur cette place que la municipalité de Paris, sous l’égide d’Étienne Marcel, fit l’acquisition en 1357 de la maison aux Piliers qui deviendra l’Hôtel de Ville de Paris, reconstruit après l’incendie de 1871.

La Seine est depuis toujours au cœur de Paris.

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