Pourquoi tous les endroits ont un nom

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Il y a environ 2 500 ans

Pourquoi tous les endroits ont un nom

La toponymie nous raconte le passé

Même si c’est une discipline à part entière qui engendre des livres savants et détaillés, comment ne pas aborder sous forme de clin d’œil les noms de lieux qui défilent sous nos yeux dès que nous voyageons ou prenons une carte de France.

Ce n’est que depuis la seconde moitié du 19e siècle que l’on s’interroge et qu’on étudie la provenance de ces noms de lieux. Cette science des noms (-nymie) des lieux (topo-) est donc récente. Se plonger dans la toponymie, c’est comme, enfant, ouvrir une encyclopédie et découvrir le monde et son histoire.

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À Fresnay, il y avait un bois de frênes, alors qu’à La Fayette c’étaient des hêtres (fagus en latin). À La Maison Brulée, il y a eu un bel incendie, un coup de foudre ou une bande de mercenaires ou d’incendiaires ? Et quand on passe au Bouc Etourdi à Longvillier, que s’est-il passé ?

À Entraygues, nous sommes entre deux eaux, au confluent, à Aix dans une ville d’eau et à la Roque, il ne pousse pas grand-chose sur ce caillou.

À Mirabel, le point de vue est magnifique, à Clermont, le ciel n’est jamais brumeux comme à Belair où il y a rarement du brouillard et il fait bon vivre à Bonneville. La promotion touristique ne date pas d’aujourd’hui.

Toutes ces Maladrerie permettaient de tenir à l’écart des petits bourgs les lépreux.

Au Chatelet comme à Castres et à Roquefort, il y avait une solide construction guerrière, comme à Castelsarrasin où aucun sarrasin n’a jamais occupé la place.

Au 19e siècle, si c’est le comte de Decazes qui a créé Decazeville pour exploiter les mines de charbon, Eugénie-les-Bains est à la mémoire de l’Impératrice, alors qu’Amélie-les-Bains commémorait l’épouse de Louis-Philippe.

Dans l’ile d’Avallon, où séjournent le roi Arthur et Merlin, il y a des pommes, aval en celte.

Port-Royal n’a jamais vu de bateau, mais une abbaye construite dans le vallon de Porrois, ce qui signifiait un trou plein de broussailles en vieux français.

À Montreuil et à Noirmoutier, il y avait un monastère et Martin de Tours a dû faire le tour de la France du 4e siècle pour laisser son nom, Saint-Martin, un peu partout. À moins qu’on ne l’ait beaucoup vénéré, à l’instar des autres saints. Restes de la France chrétienne, environ 4 100 communes sur les 35 885, en 2016, sont consacrées à une sainte ou un saint. Si on ajoute les Don- et les Dan-, remplaçant Saint ou Sainte, c’est alors près d’un sixième des communes.

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La toponymie fait apparaitre des frontières. Ainsi, en Lorraine, les villes et villages en -ville ou -court étaient de langue française, alors que ceux en -hange étaient de langue francique lorrain.

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L’attribution d’un nom relève parfois d’événements particuliers. Celui de Gironde est plaisant. Bégon de Bertrand, seigneur de Murat-l’Arabe, a fondé le château Gironde. Ce château domine le Lot, au débouché de son encaissement dans le Cantal avant d’étaler ses méandres dans le calcaire jurassique de l’Aveyron. Dans la seconde moitié du 14e siècle, il épouse Aygline de Ceyrac, dernière descendante des seigneurs du Bec d’Ambez. À cette époque, un grand procès opposait les riverains de la Dordogne à ceux de la Garonne pour savoir quel nom donné à leur confluent. Bégond de Bertrand, appelé à trancher, décide « Vous n’avez qu’à l’appeler Gironde ! ». Ce qui fut fait et demeure encore.

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Chacun de ces noms nous livre une parcelle de son histoire ou de ses particularités. Par exemple, tous les noms des grands fleuves de France et de leurs principaux affluents ont une origine préceltique, c’est dire l’ancienneté de l’occupation de ce sol. Ou encore, la terminaison si fréquente dans le sud en -an (Perpignan) ou en -ac (Bergerac, Vitrac) dérive du suffixe celte -acum désignant simplement un lieu, ici. En langue d’oïl, ce suffixe devient –é (Vitré) ou –ay (Vitray), -y ou -ey en allant vers l’est.

Et le nom lui-même peut avoir une histoire : c’est parce que Jacques Cartier a entendu des Iroquois parler de leurs Kannata (leurs villages) qu’il les a nommés Canadiens. Et puis, par extension, le mot de Canada décrivit les territoires d’Amérique du Nord explorés par les Français.

Ouvrons une carte détaillée et rêvons sur tous ces noms qui apparaissent La Frogerie, la Maison Rouge, Arignan. Chaque endroit est nommé et nul ne sait depuis quand et pourquoi il s’appelle comme cela.

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Nommer les lieux et les cartographier, c’est également prendre le pouvoir sur le territoire et le contrôler. Il revient à Louis XV la paternité de la cartographie du territoire français. Impressionné par le travail de César-François Cassini de Thury qui avait pris l’initiative de cartographier une partie des Flandres dans le cadre d’une campagne militaire, il lui demande en 1747 de cartographier l’ensemble du pays. Ces cartes seront établies à raison d’une ligne pour cent toises, soit une échelle de 1/86 400.

C’est ensuite quatre générations de Cassini qui vont s’atteler à la tâche, basant leurs relevés sur un réseau géodésique qu’ils ont établi. La carte complète sera éditée en 1815, après les vicissitudes de la Révolution. À cette même époque, les cartographes réfléchissent à une reprise de fond de la méthode, avec de nouvelles normes de relevés, de dessins, de légendes. Les nouvelles cartes seront établies par des officiers de l’État-major, qui leur donneront leur nom. Ce seront les cartes d’état-major au 1/80 000.

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En 1830, c’est aussi la conquête de l’Algérie. Les militaires qui débarquent connaissent à peine les côtes et ne disposent que de quelques descriptions d’itinéraires rapportées par des voyageurs antérieurs.

Nous sommes dans une autre configuration que la cartographie de la métropole, pays connu dans ses détails. En Algérie, ce sont de grandes étendues, souvent désertiques, ce sont des tribus nomades qui se déplacent, ce sont plusieurs langues utilisées. L’objectif de l’administration coloniale est bien de maitriser le territoire et ses populations, d’organiser son utilisation, de se l’approprier. La question des frontières, entre régions, mais aussi avec les pays limitrophes, se posait, sans être toujours résolue, laissant des blancs jusqu’à l’indépendance. Pour le relevé des noms, les cartographes avaient mis au point une fiche avec trois colonnes, la première pour recueillir le nom vernaculaire, la seconde pour sa transcription en français et la dernière laissée vide afin qu’un orientaliste expert puisse donner le nom définitif. Mais comment porter le nom d’un lieu ? En quelle langue, arabe, berbère, touarègue ? Comment prendre un nom quand un même endroit est appelé différemment par les habitants aux alentours ? Comment transcrire les particularités topographiques sans équivalents en France : bordj, chott, oued… ?

Ils ont aussi beaucoup francisé de nom (Bougie), sans parler des villes nouvellement créées et reprenant le nom de communes de métropole (Noisy-les-Bains vs Noisy-le-Sec, Eaux-Chaudes vs Chaudes-Aigues, Orléans-ville…)

Après l’indépendance, et malgré la politique d’arabisation, à part quelques lieux et rues mythiques, peu d’efforts seront faits pour se réapproprier la toponymie locale. Il est vrai que les habitants ont du mal à changer le nom des lieux qu’ils fréquentent tous les jours et que la première cartographie des Français a eu peu d’effet sur l’usage quotidien des populations.

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Quand les noms défilent le long de la route ou s’étalent sur la carte, c’est donc l’occupation de ces lieux qui s’affichent devant nous, racontant ce qui a marqué nos ancêtres, parfois depuis des millénaires, parfois depuis quelques années. Que restera-t-il des nouveaux lotissements, quartiers aux noms répétitifs de fleurs, d’aviateurs, de poètes ?

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La toponymie est une source importante de l’anthroponymie (science des noms de famille). Durant longtemps, un prénom, associé au besoin à une référence au père ou au lieu, suffisait pour savoir de qui on parlait. Cette coutume perdure encore en Islande, où le prénom s’accompagne de fils-de ([prénom-du-père]son ou de fille-de ([prénom-du-père]dóttir). À partir du 10e siècle, le prénom est souvent accompagné par un surnom pour éviter les homonymies, surnom qui devient héréditaire par la force des choses. Ce sont les besoins de l’état civil qui vont accélérer les choses. L’ordonnance de Villers-Cotterêts rend obligatoire la tenue de registres d’état civil, confiés à l’Église. La loi du 6 fructidor de l’an II (23 août 1794) interdit de porter d’autre nom et prénoms que ceux inscrits à l’état civil. Chacun doit dès lors avoir un nom patronymique. Son orthographe sera figée en 1870 avec la création du livret de famille.

La principale origine des patronymes reste le prénom (Martin, le nom le plus porté, mais aussi Bernard, Thomas, en deuxième et troisième position). À l’heure actuelle, les noms de lieux constituent une grande partie des noms de famille, diffusant ainsi la toponymie. Sans oublier les surnoms dus au métier (Barbier, Maréchal), à une caractéristique (Petit, Leborgne, Gaudiche), au caractère (Vaillant, Lesage), etc.

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