Pourquoi nous feuilletons des livres

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Il y a 2 000 ans

Pourquoi nous feuilletons des livres

La révolution silencieuse de l’écrit

Imaginez que vous soyez en train de parcourir ce petit livre sur papier, et comme tout peut être sujet à question, demandons-nous depuis quand nous pouvons feuilleter un livre. Plusieurs révolutions ont été nécessaires pour ce merveilleux résultat, celle du support, celle du format, celle de la reproduction.

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L’invention de l’écriture est forcément liée à l’invention du support et de sa conservation. On écrit pour transmettre et garder trace sur de la pierre, de la soie, de l’argile, des feuilles de latanier ou d’autres végétaux. Les premiers écrits que nous avons retrouvés concernent des contrats, des échanges, des lois à faire connaitre.

Faisons défiler rapidement le temps et plaçons-nous dans le monde romain au 2e siècle avant J.-C.. Les écrits se font sur des tablettes d’argiles pour les choses courantes ou sur des rouleaux de papyrus, les volumen. Le papyrus, que l’Égypte produit en quantités, est un support de grande qualité. Il est indispensable à la gestion de ce vaste empire. Les lettrés sont nombreux et la lecture répandue, avec des bibliothèques publiques.

Quand il le faut, les tablettes sont réunies, ce qui forme un codex, se référant au bloc de bois (« codex » en latin) dont sont faites les tablettes. Les Romains utilisaient aussi du papyrus, plié et assemblé, pour en faire des carnets de notes à usage personnel. Le terme de codex leur sera appliqué.

Avec la scission de l’Empire romain, les approvisionnements de papyrus chutent. Un nouveau matériau est utilisé en Europe, le parchemin. Il a l’avantage de pouvoir être utilisé des deux côtés. Les peaux étaient était pliées en quatre, quaterni en latin, qui deviendra notre mot cahier, avec leur réunion en codex. Ces ouvrages contiennent beaucoup plus de textes que le rouleau antique. Les chrétiens utiliseront préférentiellement le codex, pour se démarquer des juifs qui écrivent et lisent la Torah sur des rouleaux. Plus petit, il peut également se dissimuler sous les vêtements, avantage non négligeable pour une secte pourchassée par le pouvoir.

Le remplacement du volumen par le codex prend plusieurs siècles, mais il va bouleverser l’approche de l’écrit, avec surtout la notion de page, permettant l’accès direct à un passage du texte. La page permet également le découpage en chapitres, avec leur numérotation, les annotations, une table des matières. Accéder au texte de façon sélective et non plus continue sera une rupture intellectuelle importante, séparant le texte de la parole et de son rythme.

La contrepartie de ce support est son cout très élevé. Les livres deviennent rares, se transforment en objets précieux. Le nombre de lettrés suit cette pente, la diffusion de la culture se ralentit.

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La révolution suivante sera le papier, invention chinoise, qui se répandra au Moyen-Orient, puis en Occident, apporté par les Arabes. Du 11e au 14e siècle, le papier est considéré comme une curiosité fort onéreuse. Le développement des vêtements en lin et chanvre permet d’avoir des chiffons à papier. La multiplication des moulins à papier au 14e siècle provoque l’abaissement du prix de revient, en même temps qu’une meilleure résistance à la déchirure. Ce n’est qu’en 1348, que les Français créeront leur première fabrique de papier, à Troyes. L’usage du parchemin décline alors rapidement dans l’usage courant. L’imprimerie achèvera son effacement : il ne servira plus, jusqu’au 19e siècle, que pour des manuscrits de luxe ou des actes solennels.

La dernière étape étant celle de l’imprimerie, l’invention des caractères amovibles et réutilisables, permettant la diffusion en masse de l’écrit.

Parallèlement, une autre évolution était en cours, celle de la lecture et de l’écriture. En Grèce antique et à Rome, les textes, dans les volumens, étaient d’un seul bloc, sans espace, sans ponctuation. Il fallait donc des experts pour décrypter et lire ces textes, lectures qui se faisaient à voix haute. Le codex introduit la possibilité d’une lecture personnelle, en murmure. Ces pratiques de lecture orale se perpétuent jusqu’au Moyen Âge, notamment dans les monastères, même si la lecture individuelle et en silence s’est développée. En hébreu, les espaces entre les mots sont présents et ont beaucoup d’importance. Dans les premiers siècles, la traduction de ces textes commence à introduire la séparation entre les mots, l’écriture discontinue. C’est également à cette époque que les premiers signes de ponctuation font leur apparition. Ces améliorations, non seulement facilitent la lecture pour un plus grand nombre d’individus, mais permettent également de rendre la lecture non ambigüe en évitant toute interprétation. Ce dernier point était essentiel pour les textes religieux et les risques de dérives hérétiques.

L’imprimerie apportera une généralisation et une uniformisation de ces pratiques. Il faudra cependant encore attendre un siècle pour que les partisans de la présentation monobloc des textes anciens abandonnent cette mise en forme.

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Le livre reste une invention majeure, permettant de condenser une masse importante d’informations avec un accès quasi immédiat, quand on l’a sous la main, bien entendu. Associé au plaisir de la lecture et de l’évasion qu’elle apporte, le livre ne peut que rester un objet central de notre vie intellectuelle, malgré les nouveaux accès et supports qui nous sont proposés qui viennent en heureux compléments, mais non comme substitut. Surtout si nous continuons à éveiller le petit enfant en lui racontant des histoires en tournant avec lui les pages de son livre et en découvrant sa magie.

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