Pourquoi nous parlons français

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Il y a 500 ans

Pourquoi nous parlons français

Le pouvoir et l’amour des mots



Le nombre de locuteurs français dans le monde est estimé à plus de 270 millions en 2018. L’étude de cette langue et de son histoire a produit d’innombrables ouvrages passionnants. Parcourir cette histoire c’est se rappeler que notre usage quotidien est d’une richesse étonnante.

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Si nos ancêtres étaient les Gaulois, ils ne nous ont pas transmis beaucoup de leur langage. Notre langue porte le nom des envahisseurs francs, mais elle est avant tout une langue romane, c’est-à-dire d’origine latine, même si le français est la plus germanique des langues romanes.

Les Romains apportent leur langue avec leur conquête et on estime que vers 100 avant J.-C., la Gaule parlait latin, avec bien sûr des prononciations et des déclinaisons variées selon les endroits. Ces latins étaient déjà disparates quand les invasions barbares arrivent. Le latin va perdurer, car c’est la langue de la religion chrétienne qui s’étend aux mêmes époques. Les dialectes quotidiens se séparent peu à peu avec l’isolement des régions et l’affaiblissement des communications. Charlemagne se rend compte que le latin n’est plus compris. Il charge son conseiller pédagogique, Alcuin, de redonner vie au latin. Cette démarche aura pour conséquence de réintroduire dans notre langue des mots latins, ce qui fait que des mots d’une même famille ont souvent deux racines (eau et aqueux, œil et oculaire, frère et fraternel…). Dans la même veine, Charlemagne est à l’origine de la caroline, écriture ronde, facile à écrire et à déchiffrer. Au concile de Tours en 813, il est décidé que les prêches et homélies seront dits en langues, romane ou germanique, rustiques.

Il n’est donc pas étonnant que le premier texte reconnu comme écrit en français soit le serment de Strasbourg, en 842. Il réglait les litiges de succession entre les deux petits-fils de Charlemagne, Louis le Germanique et Charles le Chauve. La rédaction de ce document était due à Nithard, leur cousin. En fait, le texte du serment était en latin. C’est dans son Histoire des fils de Louis le Pieux que Nithard traduit en langue romana et en langue tudesca une douzaine de ligne, faisant de lui le premier écrivain de langue française.

Ceci ne doit pas cacher la grande diversité des parlers de cette époque. Si on distingue les langues d’oc au sud et les langues d’oïl au nord avec leurs différentes déclinaisons locales, il faut associer le franco-provençal, le catalan, l’alsacien et le lorrain, le flamand et ces langues particulières que sont le breton et le basque.

Les rois de France vont étendre petit à petit leur royaume et leurs domaines, unifiant du même coup la langue. Le parler d’Île-de-France, le francien, va ainsi devenir langue nationale et donc accéder au rang de français, tandis que les autres dialectes descendront au rang de patois.

Au 16e siècle, deux événements marquants se produisent. En août 1539, l’ordonnance de Villers-Cotterêts édictée par François 1er dispose dans ses articles 110 et 111, encore jamais abrogés, que les lois, règlements et actes doivent être rédigés en français. C’est la naissance officielle du français. En avril 1549, Joachim du Bellay publie La défense et illustration de la langue française. Avec ses amis de La Pléiade, il va œuvrer à l’enrichissement de cette langue.

Grand centralisateur, Richelieu va fonder l’Académie française en 1635, chargée de créer un dictionnaire et une grammaire. Le premier dictionnaire de l’Académie parait en 1694. En continuité, le 27 janvier 1794, le Comité de salut public approuvera le rapport de Barère qui préconise d’apprendre le français à toutes les populations afin qu’elles comprennent les lois françaises. L’objectif est de les rattacher aux valeurs de la Révolution. Au mois de juin de 1794, ce sera l’abbé Grégoire qui va demander « l’anéantissement des patois ». Cette forte volonté se heurta à de vives oppositions, notamment dans l’Ouest et fut une des causes de la Chouannerie. Il faudra attendre la IIIe République avec la volonté du pouvoir d’inclure la paysannerie dans la Nation pour que le français devienne notre langue commune, inconnue alors pour encore une petite moitié de la population. L’école obligatoire et ses hussards noirs seront les porteurs de cette généralisation.

C’est donc par une lente déformation puis avec une volonté politique forte, renforcée par des défenseurs et des amoureux de notre langue, que celle-ci s’est développée. Si elle continue d’évoluer, avec des querelles sur l’orthographe dignes des Gaulois, n’oublions pas que la langue française fut la langue internationale au 18e siècle. Langue aristocratique parlée dans presque toutes les chancelleries de l’Europe, employée pour les tractations diplomatiques, elle avait détrôné le latin, même si celui-ci demeurait encore d’usage courant. L’extension de la langue françoise (toujours prononcée française) était alors considérable, en raison des conquêtes royales et de l’exode des huguenots hors de France. « Il n’y a guère de pays dans l’Europe où l’on n’entende le françois et il ne s’en faut rien que je ne vous avoue maintenant que la connaissance des langues étrangères n’est pas beaucoup nécessaire à un François qui voyage. Où ne va-t-on point avec notre langue ? » disait le grammairien jésuite, Dominique Bouhours (1628-1702).

Elle demeure aujourd’hui comme langue officielle notamment à l’ONU, au Comité olympique et bien sûr dans les instances européennes (parmi les vingt-quatre langues officielles de l’Union européenne !).

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Le français a beaucoup emprunté aux langues germaniques, arabes, anglo-saxonne. En contrepartie, il a aussi alimenté d’autres langues, dont l’anglais avec de nombreux emprunts, donc certains nous sont revenus ensuite. Qui sait que le ménager, chef de la communauté seigneuriale au Moyen Âge nous est revenu comme manager, la bougette, bourse attachée à la ceinture, nous est revenue comme budget. Ou encore que Mayday, mayday, l’appel au secours, vient de m’aider, m’aider.

Certains mots sont même restés dans la langue anglaise. Si les Anglais mangent du beef, du mutton, du porc, c’est parce que les seigneurs français accompagnant Guillaume le Conquérant mangeaient du bœuf, du mouton et du porc. Les paysans anglo-saxons, eux, voyaient les bêtes vivantes qu’ils élevaient : des cows, des sheeps et des pigs. Quant au mot de barbecue, il ne provient pas de cette même époque où les nobles français d’Angleterre, quand ils avaient abattu une belle bête à la chasse, l’embrochaient de la barbe au cul, c’est-à-dire à travers tout le corps. La plupart des linguistes pensent plutôt que les Anglais, quand ils arrivèrent en Amérique, virent les Indiens cuire leurs aliments sur une espèce de gril appelé barbacoa en arawak, une des langues amérindiennes, parlée notamment dans les Antilles. Les Anglais adoptèrent le mot, et l’adaptèrent à leur prononciation, d’où barbecue.

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