31 - Dans la gueule du loup

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  • Ce n’est pas très poli de venir fouiller comme ça dans nos locaux monsieur Laguna.

Ronan se figea en entendant la voix derrière lui. C’était une voix familière, qu’il avait déjà entendu plusieurs fois quand il était dans les bureaux pour voir sa chef de section. Une voix qu’il avait du mal à apprécier. Une voix qu’il aurait préféré ne pas entendre. Une voix qui résonna à nouveau dans la pièce.

  • Plus un geste. Retournez-vous lentement, les mains en l’air.

L’infiltré fit ce qu’on lui demandait, sans faire de gestes brusques. Un frisson remonta le long de sa colonne vertébrale lorsqu’il se tourna vers son interlocuteur, et il ne put cacher sa surprise en se retrouvant face à face avec le chef de la section quatre. Il avait compris que certains de ses membres faisaient leur petit trafic avec Elegia, mais que le chef de section en personne y prenne part… L’agent essayait tant bien que mal de garder son sang-froid. Il lança simplement :

  • Monsieur Völker… Qu’est-ce que vous fichez ici ?
  • Je vous retourne la question.

Ronan avait du mal à comprendre. Qu’est-ce que cet homme pouvait bien faire dans cet endroit ? Est-ce qu’il était seul, ou alors… Une partie des membres de la section quatre se trouvait aussi dans le BioLab ? Ce n’était décidément pas son jour. Völker le tenait en joue, le visage neutre, impassible.

  • Qu’est-ce que vous faites ici ? C’est la section cinq qui vous envoie ? A moins que vous ne soyez venu de votre propre initiative pour une raison qui m’échappe.

L’agent de la section quatre s’étrangla presque en rétorquant :

  • Je suis là pour récupérer Lorelai !

Völker haussa légèrement un sourcil.

  • Lorelai ?
  • Ouais, Lorelai ! Je suis son… propriétaire. Sa puce m’a indiqué qu’elle se trouvait ici.

Ronan n’aimait pas se définir comme étant le propriétaire de sa dulcinée, mais aux yeux de la loi, c’était ce qu’il était. Son interlocuteur secoua doucement la tête.

  • Désolé pour vous, mais il semble que ce soit une erreur. Lorelai, comme vous l'appelez, fait et a toujours fait partie de notre institution.

Pendant un instant, l’agent resta figé, sans rien dire, ne comprenant pas vraiment où Richard voulait en venir. Ce dernier ne put s’empêcher de lui lancer un large sourire avant de commencer ces explications.

  • Je ne vais pas y aller par quatre chemins, car je doute fortement que nous ayons le temps de discuter autour d’un café. Lorelai donc, comme vous l’appeler, vient d’ici et n’aurait jamais dû sortir de cet endroit. Maintenant qu’elle est revenue, je vous prierai de l’oublier.

Ronan secoua la tête, son regard noir soutenant celui de son interlocuteur. Il cria presque :

  • L’oublier ? Mais vous êtes complètement idiot ou vous le faites exprès ? C’est ma partenaire ! Je suis son propriétaire légitime devant la loi !

Le chef de la section quatre éclata d’un rire qui résonna dans la pièce pendant un court instant avant de se reprendre.

  • Comme c’est adorable… Mais vous savez, agent Laguna, il est très simple de faire disparaitre quelqu’un… Très simple… Et encore plus simple de mettre sa disparition sur le dos de quelqu’un d’autre.
  • Qu’est-ce que vous voulez dire par là ?

Völker haussa les épaules.

  • Lorsqu’un papillon s’approche trop près de la flamme d’une bougie, il se brûle. Il en va de même pour les personnes s’intéressant d’un peu trop près aux affaires d’Elegia.

Ronan avala sa salive. D’un seul coup, ce fut un peu plus clair dans son esprit. La disparition soudaine d’Ishikawa, Gray qui clamait qu’il était innocent de la mort de son propriétaire. Tout cela avait simplement été une orchestration de la section quatre pour le compte d’Elegia. C’était bien pire que ce qu’il pensait. L’agent demanda sans aucun détour :

  • Vous allez me tuer ?

Richard poussa un petit soupir avant de regarder sa montre. Le temps passait un peu trop vite à son goût, et il n’aimait pas le perdre. Surtout en explications. Son interlocuteur dû se contenter d’une réponse assez courte :

  • Non. Tout du moins, ce n’est pas prévu pour le moment. Tout dépendra de vous, agent Laguna.

Ronan entendit alors le bruit de pas qui se rapprochaient de sa position. Avant qu’il n’ait le temps de rétorquer quoi que ce soit, il se retrouva entouré par un groupe de membres de la section quatre, sans aucune chance de pouvoir prendre la fuite.

Lorelai s’était au final retrouvée toute seule dans la pièce qui lui servait de chambre. Richard et Lolithia étaient partis, le chef de la section quatre la séparant de sa mère. Quelque chose lui disait que ce n’était pas la première fois. La jeune femme soupira avant de poser de façon instinctive sa main sur son ventre. Bientôt, elle grossirait, et ce serait difficile de se mouvoir comme elle le voudrait. Si elle devait prendre la fuite et partir d’ici, il fallait qu’elle le fasse le plus rapidement possible. Avant que cela ne devienne trop compliqué pour elle et pour la petite vie qu’elle portait. La nu-man regarda attentivement autour d’elle, sans voir le moindre moyen de sortir de la pièce. Il n’y avait que la porte blindée. Pas de fenêtre. Pas de conduit d’évacuation. Rien de la sorte. Elle poussa un juron entre ses lèvres.

  • Bordel…

Et s’il n’y avait que ça. Maintenant qu’elle avait retrouvé sa mère, elle ne voulait pas l’abandonner ici. Et il y avait sûrement d’autres nu-man dans la même situation. Comment les laisser ici et les abandonner à leurs sorts sans avoir de remords ? Non, elle ne pouvait pas.

Elle repensa à Ronan, au père de son enfant. Est-ce qu’il allait bien ? Est-ce qu’il allait chercher à venir pour la récupérer ? Le dernier point, elle en était sûre et certaine. Mais c’était tellement dangereux. Surtout connaissant Richard. Ce dernier ne se gênerait pas pour s’amuser avec lui. Et elle avait cru comprendre que le terme « s’amuser » était bien trop gentil. Alors, sans trop comprendre pourquoi, elle joignit les mains et murmura une petite prière.

  • Faites qu’il ne lui arrive rien.

Entouré par un groupe d’hommes de la section quatre armés, Ronan fut escorté jusqu’à un des nombreux bureaux du sous-sol de l’Améthyste. Ses mains avaient été liées, il était désarmé, et n’avait plus vraiment le choix que d’obéir bien sagement pour éviter les problèmes et continuer à vivre. La pièce où il venait de pénétrer était un bureau on ne peut plus classique, et Richard l’invita à s’installer sur l’un des sièges qui s’y trouvait, tandis que ses sbires sortaient avant de retourner vaquer à leurs occupations habituelles. Ronan n’avait aucune idée de ce qui l’attendait. Mais vu qu’Elegia se débarrassait des gêneurs, il n’y avait aucune chance pour lui de s’en sortir vivant. Pendant combien de temps allait-on le garder en vie ? Il n’en savait rien du tout. Le chef de la section quatre s’installa à son tour confortablement dans son fauteuil. Il sortit un cigare d’une boite avant de l’allumer, laissant un lourd silence s’installer dans la pièce. Il ne prit la parole qu’après avoir recraché un lourd nuage de fumée nocive.

  • Bien, bien… Agent Laguna de la section cinq, vous devez comprendre qu’il va être difficile pour Elegia de vous garder en vie. Mais j’ai peut être une solution pour vous.

Il marqua une légère pause avant de continuer sur le même ton neutre.

  • Vous pourriez rester aux côtés de votre… partenaire. Pour cela il suffirait simplement de travailler pour nous.
  • C’est-à-dire ? Faire le sale boulot avec la section quatre ? Très peu pour moi.

Richard se racla la gorge, étouffant un rire.

  • Laissez-moi finir de parler. Je n’aime pas lorsqu’on me coupe la parole.

Tout en prononçant ses mots, il prit son cigare dont il écrasa le bout brûlant sur le bras de Ronan qui ne put s’empêcher de pousser un petit cri de douleur avant de jurer entre ses dents. Une légère odeur de chair brûlée monta aux narines de l’agent qui fixait d’un regard noir son interlocuteur.

  • Où en étais-je ? Ah oui… Vous pourriez travailler avec nous. Tout en restant à la section cinq, cela va de soi. Puisque vous avez l’air de vous être attaché à cette Lorelai, autant que ce soit vous qui vous occupiez de l’engrosser dès que c’est possible. Qu’est-ce que vous en pensez ?

L’agent fit les yeux ronds. Est-ce qu’il avait bien comprit ce que Richard venait de dire ? S’il acceptait, il devrait faire des enfants à Lorelai ? L’homme secoua la tête.

  • C’est n’importe quoi. Vous parlez d’elle comme si il s’agissait d’un animal qu’il fallait saillir encore et encore… Lorelai n’est pas une vache ou je ne sais quoi.

Le chef de la section quatre ne put s’empêcher d’éclater de rire cette fois-ci. Son rire résonna dans la pièce comme une moquerie jetée au visage de Ronan. Ce dernier gardait son sang-froid, mais intérieurement, il voulait juste mettre une droite dans le visage de Richard.

  • C’est mignon. Mais vous devez vous rendre à l’évidence Ronan. Les nu-man n’auront jamais le même statut que les humains. Ils sont condamnés à rester nos animaux domestiques. La première génération va devenir inutile une fois que la seconde sera commercialisée.

Richard ramena son cigare à ses lèvres avant d’en prendre une nouvelle bouffée.

  • Pouvoir assouvir la plupart de ses fantasmes avec une nu-man… C’est déjà un grand pas en avant. Et ensuite, une fois que les recherches avanceront, nous pourront commander un ou une nu-man avec les critères que l’on veut. C’est un peu comme jouer à la poupée, sauf qu’il ne s’agit pas de poupées… Quoi que… En y réfléchissant bien…

L’homme ne termina pas sa phrase, la laissant en suspens. Dans tous les cas, Ronan était dans une panade monstre. Il espérait que son frère soit moins tête brûlée que lui et qu’il prenne son temps sans se jeter dans la gueule du loup.

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