2 - Equinox

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Assise à l’avant du véhicule sur le siège passager, le front collé contre la vitre fraîche, Lorelai regardait le décor défiler sous ses yeux sans vraiment le voir. Elle avait l’impression désagréable que les rues de Solstice se ressemblaient toutes. Seuls quelques quartiers arrivaient à sortir du lot, mais la ville en elle-même n’était qu’un agglutinement de grands immeubles concentrant une grosse partie de la population de la planète. La nu-man se demandait à quoi ça ressemblait, au dehors de la ville. Elle avait déjà posé la question à Ronan, et ce dernier s’était contenté de hausser les épaules, en lui expliquant qu’il ne savait pas trop. Qu’il y avait peut-être quelques petites villes rurales et quelques Biolab de moindre importance. Lui non plus n’était jamais sorti de cette grande cité après tout. La voix de la jeune femme brisa le silence qui s’était installé dans l’habitacle.

  • Ronan…

Ce dernier était concentré sur la route et se contenta simplement de pousser un petit hum, lui signifiant qu’elle avait une partie de son attention. Lorelai continua donc :

  • Ca ne te dit pas que pour les prochaines vacances, on parte tous les deux loin de cette ville ?
  • Pourquoi faire ?
  • Pour changer d’air. Découvrir un peu ce qu’il y a au-delà de Solstice. T’es pas curieux toi ?

Un léger sourire se forma sur les lèvres de l’humain. Décidément, cette fille était bien plus curieuse que lui ou que la plupart des personnes qu’il connaissait.

  • On verra, Lorelai. Mes prochaines vacances, ce n’est pas avant un bon moment.

La nu-man prit un air faussement boudeur avant de se replonger dans sa contemplation.

Karen Weiss était installée à son bureau. Les dossiers qui s’y trouvaient étaient soigneusement rangés, montrant l’habitude quelque peu maniaque de la femme aux courts cheveux blancs. Son œil bleu, car elle n’en avait qu’un, l’autre étant caché sous un cache œil discret, parcourait le rapport qu'on lui avait apporté à la première heure. Elle avait à peine posé ses affaires en arrivant à son bureau de la section cinq qu’une personne essoufflée, affiliée à la section un, lui avait remis. Légèrement agacée, elle l’avait parcouru d’une traite. Un accident. Dans le Biolab de l’un des bas-quartiers de la cité. La plupart des agents étaient occupés ailleurs et Karen avait dû se résoudre à appeler Ronan. Pas qu’elle n'appréciait pas les qualités de cet homme, mais il avait tendance à agir comme si rien n’avait d’importance. Enfin, il s'était assagi depuis qu'il avait récupéré sa nu-man, mais cela ne changeait rien au fait qu’elle n’aimait pas l’envoyer dans ce genre de mission. Si les choses dérapaient, il ferait d’abord parler son arme avant de discuter. Mais elle n’avait pas le choix et devait compter sur lui pour cette fois. Karen leva la tête vers l’horloge murale. Bientôt huit heure et demie. Elle espérait juste que l’agent ne mettrait pas trop de temps à arriver.

Ronan claqua la porte de la voiture et se dirigea vers la grande porte, Lorelai sur les talons. L’accueil au rez-de-chaussée était comme d’habitude, grouillant de monde. Et si la plupart des personnes présentes étaient des humains, on pouvait distinguer quelques nu-man affairés à des tâches plus simples et plus rébarbatives. Comme le loup qui s’occupait de faire des centaines de photocopies, l’air blasé. Il n’y avait que le fait qu’il se tienne debout sur ses deux pattes arrière et qu’il porte un costume qui le différenciait de l’animal. L’agent lui tapota l’épaule en passant, le saluant.

  • Salut Gray. Tu t’en sors avec tes paperasses ?

Le nu-man se retourna vers son interlocuteur, et ses babines se retroussèrent dans un sourire.

  • Si tu appelles le fait de photocopier une simple note de service de la paperasse, alors oui, je m’en sors plutôt bien Ronan…

Gray salua de la main celle qui suivait l’agent comme son ombre, et Lorelai fit de même. Le loup demanda à l’humain, alors que la photocopieuse continuait de faire un boucan monstre à côté de lui :

  • Et toi ? Qu’est-ce que tu fais ici ? C’est rare de te voir débarquer à la première heure dans les locaux.
  • Ma patronne m’a appelé pour me dire de venir. C’est le genre de femme à laquelle il vaut mieux ne pas dire non.
  • C’est vrai qu’elle n’a pas l’air très commode, la chef de la section cinq.

Ronan acquiesça d’un léger signe de tête avant de continuer.

  • Je te le confirme si tu en doutais. Allez… Moi, il faut que j’y aille avant de me faire remonter les bretelles.

L’agent se tourna vers sa partenaire.

  • Je te laisse ici, Lore. Normalement je ne devrais pas en avoir pour trop longtemps.

La jeune femme hocha la tête pour signifier qu'elle avait compris et regarda son binôme s’éloigner en se glissant entre les personnes présentes.

Les doigts de Karen tapaient en rythme sur le bureau. Son œil était rivé sur l’horloge. Elle scrutait chaque seconde qui s'écoulait, poussant de temps à autre un soupir impatient. Est-ce qu’il y avait des embouteillages pour que l’agent Laguna mette autant de temps à venir ? La femme vérifia à la hâte sur son téléphone. Les routes n’étaient pas encombrées, alors pourquoi mettait-il un temps fou pour arriver jusqu’ici ? Quelqu’un frappa à la porte du bureau. Elle espérait que ce soit lui, sinon, elle ne se gênerait pas pour lui rappeler que la ponctualité n’était pas pour les chiens. La voix de Karen résonna dans la pièce, un ordre froid.

  • Entrez.

La porte grinça doucement, et Ronan pénétra la pièce, un air sérieux ancré sur le visage. Sa patronne n’était pas du genre à sourire, et encore moins à rire. Il se demandait si elle vivait pour autre chose que le travail. Mais ce n’était pas le moment de poser ce genre de questions. Droit comme un piquet devant le bureau ou était assis la femme aux cheveux blancs, il demanda :

  • Vous m’avez fait appeler. Je suis venu le plus vite possible.

Karen haussa légèrement un sourcil. Elle allait lui lancer une pique sur le principe de rapidité, mais se retint. Elle n’était pas là pour se prendre la tête avec l’un de ses subordonnés. Elle se racla la gorge quelques instants, puis montra le siège vide en face d’elle à son interlocuteur.

  • Asseyez-vous Ronan.

Ce dernier fit ce qu’on lui demandait sans se poser de questions. Après tout, il aurait les réponses bien assez tôt.

Lorelai n’aimait pas rester les doigts croisés sans rien faire. Elle s’était mise en tête de donner un coup de main à Gray, s’amusant elle aussi avec l’une des photocopieuses de l’étage. Elle attendait sagement à côté de l’appareil qui faisait un boucan monstrueux, chantonnant doucement l’une des dernières chansons à la mode qu’elle avait pu entendre à la radio. La nu-man était tellement concentrée sur sa tâche qu’elle ne fit pas attention à la personne qui arriva derrière elle.

  • Qu’est-ce que vous faites là ?

La voix désagréable qui l’arracha à ses rêveries la fit presque sursauter, et la jeune femme se retourna vivement. Elle se retrouva face à un homme qu’elle avait déjà vu de loin et dont Ronan lui avait vaguement parlé. Il s’agissait du chef de la section quatre. Richard Volker. L’homme n’était plus très jeune, et cela se voyait aux rides qui creusaient son visage. Visage barré d’une cicatrice sur la joue gauche. Le brun la fixait intensément de ses yeux noisette, et elle trouvait cela particulièrement désagréable. Elle avait l’impression qu’il la déshabillait du regard, s’en était presque écœurant. Lorelai avala sa salive avant de s’expliquer sur un ton peu assuré :

  • J’fais des photocopies… pour aider un collègue…

L’homme n’avait rien répliqué, se contentant de l’observer avec son regard perçant. Elle continua sur la même intonation :

  • J’en ai pas pour longtemps…

Elle appuya en vitesse sur le bouton d’arrêt et s’empara des feuilles qu’elle avait déjà faites. Sans lever la tête vers Richard, elle tenta de mettre fin à la conversation :

  • Voilà… La machine est libre… Je vous laisse…
  • Attendez.

La main de l’homme se posa sur son épaule, la serrant presque. Lorelai se demandait comment elle faisait pour garder son sang-froid à cet instant.

  • A quelle section travaille votre propriétaire ?

Richard posa sa question, mais elle ressemblait plus à un ordre auquel il valait mieux obéir. Elle répondit sans attendre :

  • A la section cinq… Je dois y aller… On m’attend…

Richard desserra sa prise sur l’épaule de la nu-man, la libérant. Cette dernière s'éloigna rapidement pour rejoindre Gray un peu plus loin. Elle ne savait pas vraiment pourquoi, mais le chef de la section quatre lui filait la chair de poule.

Ronan parcourait le dossier que sa supérieur venait de lui remettre en mains. Sans lever les yeux des nombreuses photographies jointes aux documents, il marmonna de manière peu discrète :

  • Le biolab du secteur 14… Ce n’est pas le meilleur endroit pour se balader, que ce soit en journée ou en pleine nuit…
  • Ce n’est pas le pire secteur de la cité.
  • Certes, mais quand même… Je suppose que vous m’y envoyer parce que ce sera plus facile pour moi au vu de mon faciès ?

Karen n’avait pas répondu directement, se contentant de regarder son subalterne en haussant les sourcils. Il pensait vraiment que c’était pour cela qu’elle l’envoyait là-bas ?

  • Ce n’était pas mon intention première, mais maintenant que vous le dites, effectivement, votre faciès vous facilitera la tâche.

La femme aux cheveux blancs se racla la gorge et s’empara d’un autre dossier, bien plus épais que celui qu’elle avait donné à son interlocuteur, avant de continuer sur le même ton détaché.

  • Si vous voulez bien m'excuser, il me reste pas mal de choses à faire. Je compte sur vous pour réussir cette mission Ronan.

Ce dernier se leva de la chaise, le document entre les mains.

  • Vous ne serez pas déçue.

A peine termina-t-il sa phrase qu’il prit le chemin de la sortie du bureau de sa supérieur, sans même dire au revoir. Quand il ferma la porte derrière lui, Karen s’était déjà replongée dans d’autres dossiers.

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