5 - Fantôme

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 Elle est assise sur un tabouret. Devant elle son bureau. Sa tête est pleine mais ses yeux vides. Sa main est noire de sang, mais elle ne le sait pas. Elle s'active en silence, dans le sérieux du travail.

 Je suis là, mais elle ne me voit guère. Ma présence flotte dans la pénombre de sa chambre. Je suis là, et je le sais à peine. Je vogue par ici sans savoir qui je suis.

 J'ai entendu, je ne sais quand, je ne sais comment, que les hommes percevaient parfois des choses différentes, des silhouettes là où il n'y avait rien. Pourtant, je ne crois pas qu'elle puisse me percevoir. Je n'ai ni jambes ni bras, ni pieds ni mains. Je n'ai qu'une tête, une tête sans visage, une tête rectangulaire.

 C'est du moins ce que je crois percevoir, c'est ce que je crois être. Mais le mystère de mon existence flotte hors de moi-même. Je ne suis rien en moi-même. J'existe dans ce monde, mais ne serais rien dans un autre. Cela, je le sens.

 De l'éternité, il me paraît que j'ai émergé un jour où une autre personne que toi s'est penchée sur moi. Elle portait une arme mouchetée. Mais bien que mouchetée, elle était pointue et elle crachait du sang. Avec une étrange patience cruelle, elle m'a, méticuleusement, tranchée de part en part. Jusqu'à toute me tacher de ce sang impur, de ce sang noir dont je ne puis plus me débarrasser.

 Il me paraît avoir existé dès lors, car une fois terminé son abominable crime, cette personne m'a contemplée, m'a entièrement reluquée, sans pudeur. Et pendant qu'elle me regardait, je voyais un éclat dans ses yeux.

 Je crois avoir existé alors. Je crois avoir été pleine de magie. Car je pouvais susciter en cette personne une étincelle. Ce sang me salissait, et pourtant je devenais quelqu'un d'autre grâce à lui.

 Toi aussi tu m'as regardée, longuement. Tu m'as regardé en haut, puis en bas. Tes yeux passaient et repassaient sur mon corps plat, ils suivaient une ligne continue imaginaire. Ce sang noir paraissait émaner de moi-même.

 C'est sans doute ma magie qui a contrôlé les éléments sur tes yeux. J'y ai vu le feu et l'eau, et une perle en a glissé, et s'est jetée sur moi. Elle m'a tachée au centre, au milieu du sang. J'ignore si cette perle véhiculait la même force magique.

 Je l'ignore, car peu de temps après, je me suis retrouvée, sans trop comprendre, au milieu d'un brasier intense, qui m'a toute consumée. Les flammes m'ont grignotée, m'ont avalée, m'ont changée toute en poussière. À ce moment, alors que la dernière parcelle de ma peau s'évanouissait, je me suis sentie sortir de moi-même.

 Je ne sais ce qu'il s'est passé, je crois que c'était à nouveau de la magie. Ma conscience a mué, et j'ai vu les poussières de moi-même d'en haut. Je flottais alors.

 Je crois que tu ne le sais guère, car depuis, tu ne me regardes plus. Tu ne me prêtes plus aucune attention. Je crois avoir disparu de ta conscience. Tu crois sans doute que je suis poussières. Moi-même, c'est à peine si je me perçois.

 J'ai le sentiment confus que je ne devrais pas être ici. Que j'aurais dû rester poussières, et finalement m'évanouir. Et ma magie aurait été oubliée.

 Peut-être est-ce la destinée des êtres magiques que de ne jamais disparaître. Peut-être cette existence confuse est-elle leur existence naturelle.

 Depuis, tu restes à ce bureau. Tu parais y produire de nouveaux sortilèges. Sans doute les hommes sont-ils tous des sorciers.

 Sous ce bureau, j'ai remarqué un objet mystérieux. Il est en retrait, comme si tu le cachais. Je crois avoir su quelque part son nom. C'est le cimetière du papier.

 Peut-être est-ce là que terminent les êtres magiques. Peut-être l'as-tu oublié, peut-être t'es-tu trompée avec moi.

 Peut-être les flammes ont-elles un autre pouvoir magique, celui de changer les êtres en une vapeur éternelle, qui parcourt les alentours et leur propre mystère.

 Mais j'ai toujours ce sentiment que je ne devrais pas être ici. Sans doute les flammes aussi font-elles erreur. Peut-être est-ce elles qui pourraient m'aider à trouver la voie. Mais je ne les retrouve guère.

 Ou peut-être est-ce toi qui peux m'emmener. Puisque je t'ai déjà trouvée, c'est à toi de me retrouver. Je crois que tu as oublié que ton pouvoir était un pouvoir magique.

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