Nils - le bal - 1

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- Prince Nils !

Le jeune homme se réveilla d’un bond. La vieille Rodogune était devant lui, les bras croisés.

Les yeux encore gonflés de sommeil, il peinait à la fixer et marmonna un « quoi ! » agacé.

- Prince Nils, vous n’avez pas oublié le bal, j’espère !

- Le bal… Non, je… Je me dépêche, quelle heure est-il ?

- Vous êtes en retard, votre père a prévu de faire son entrée dans une demi-heure. Dépêchez-vous !

Nils renifla ses aisselles, il sentait la sueur.

- Je dois me laver…

- Oui ! Je ne veux pas être impolie, mais oui, Prince !

Cela faisait une semaine que Nils s’entraînait sans relâche jusqu'à l'épuisement. Il avait découvert des muscles de son corps dont il ignorait l’existence. Tous les soirs, il rentrait de l’entraînement, en nage, harassé de fatigue, et s’effondrait sur son lit.

Le jeune homme courut dans sa salle de bains, se déshabilla rapidement et entra dans la cabine hermétique. Il déclencha les jets de vapeur qui l’enveloppèrent et commença à prendre le grattoir pour frotter énergiquement sa peau. L’eau froide se mit ensuite à ruisseler et le débarrassa de toutes les impuretés. Il se sentait frais et prêt à affronter l’épreuve du bal.

Avant de quitter la pièce, Rodogune avait fait poser sur son lit son costume officiel, une redingote bleu nuit aux boutons dorés et un pantalon gris clair avec une bande du même bleu le long de la jambe. Il portait un képi rouge, surmonté d’une large houppette blanche. Une longue cape, bleue également, complétait sa tenue. Ses souliers de cuir, montant jusqu’aux chevilles, étaient soigneusement vernis.

Il avait dompté ses cheveux en leur imposant une raie sur le côté, ce qui n’était pas une mince affaire, vu que sa tignasse noire était généralement tout ébouriffée. Son père aurait aimé que ses cheveux raides soient coupés courts, mais Nils aimait les porter un peu longs. C’était sa liberté...

Nils vérifia qu’aucune mèche ne débordait dans le miroir près de son lit. Il s’observa un instant. Son regard cuivré, habituellement vif, était un peu éteint par la perspective de passer quelques heures au milieu de tous ceux qu’il détestait tant. Chaque bal donné à la cour était pour lui une véritable corvée. Il souriait à tous, avait un mot de sympathie pour chacun, mais il souffrait en silence.

Après avoir vérifié que son costume tombait bien, il quitta le refuge de sa chambre à regret et arpenta les couloirs du palais.

Quelques instants plus tard, le prince se trouvait devant les grandes portes ciselées de la salle de réception. Il fixa un moment les arabesques gravées sur le métal, inspira une grande bouffée d’air, poussa l’un des vantaux, et la musique de l’orchestre parvint à ses oreilles. Lentement, il monta les marches du grand escalier qui conduisait à la rotonde gigantesque que son père avait fait construire pour accueillir sa cour.

Devant lui, au centre des arches vitrées qui s’ouvraient sur la nuit rose, de nombreux courtisans pavanaient déjà dans leurs somptueuses toilettes. Sous les colonnes d’or et d’albâtre, les femmes portaient des robes aux couleurs chatoyantes, qui couvraient leurs chevilles, mais laissaient deviner le rebondi des gorges. Les mères imaginaient que leurs filles trouveraient plus facilement un mari si leur féminité était ainsi exposée. Nils préférait que les jeunes filles soient plus pudiques, d’autant qu’il était la principale cible de tous les regards, de toutes les sollicitations.

Rodogune était toujours aux aguets. Suivie par ses jumelles, Helga et Ysolde, elle s’approcha de Nils qui prit son mal en patience. Helga avait un visage fin et une belle chevelure châtain, mais son nez retroussé laissait apparaître des narines proéminentes qui la défiguraient. Ysolde était plus jolie : ses longs cheveux bruns, ses yeux bleus en amande et son teint pâle étaient des atouts pour la jeune fille. Mais Nils peinait à supporter son insipide conversation. Elle commençait à parler de la jolie robe de Bathilde, la belle marquise d’Ostrov. Il se montra courtois avec les deux sœurs, mais prétexta vite une obligation pour les fuir. Plus loin, un vieux ministre le retint et lui fit la conversation, à propos d’une mesure concernant le commerce des peaux. Nils acquiesça et lui donna rendez-vous dans son bureau le lendemain.

Il essaya de se frayer un chemin jusqu’au buffet, mais il fut encore interrompu trois fois avant d’y parvenir. Peu de courtisans dansaient, la plupart bavardaient en petits groupes et observaient les autres d’un œil moqueur. Les femmes se dissimulaient derrière leur précieux éventail, les hommes bombaient le torse dans leur costume d’apparat. Tous paradaient sous la lumière crue des lustres de la rotonde. Tant que son père n’avait pas fait son apparition, il était lui-même le centre de tous les regards. On le suivait des yeux, on observait chacun de ses gestes, on épiait ses fréquentations…

Imelda de Turk lui sauta soudain sur le râble.

- Prince Nils, comment vous portez-vous ? J’ai appris que vous aviez été malade la semaine dernière… Pourquoi ne pas me l’avoir dit ? Je vous aurais envoyé mon apothicaire, il est reconnu comme le plus compétent de tout Valdemar ! Il vous aurait soigné en un rien de temps !

- C’était un simple rhume, ce n’était pas grave !

- Oh ! Il ne faut jamais rien prendre à la légère… J’ai appris à ma fille Griselda qu’il fallait toujours chercher le meilleur remède à chaque problème. Elle est si sérieuse. Même pour venir ici, elle a réfléchi longuement avant de décider quelle robe elle allait porter. Vous allez voir, elle est ravissante ! Elle se demandait si elle aurait un cavalier pour ce soir, et je me disais que, peut-être…

Une fois encore, Nils se sentit pris au piège d’une mère qui cherchait à marier sa fille et ne savait pas comme s’en sortir sans se montrer particulièrement impoli. Depuis qu’il avait vingt ans, il était la cible de tout ce qui portait un jupon à Valdemar. Il n’était pas dupe : ce n’était pas parce qu’il était beau qu’on le convoitait ainsi. Son visage n’était pas très gracieux, il était au contraire plutôt anguleux. Ses pommettes saillaient un peu trop, ses yeux cuivrés étaient un peu trop petits. Il était trop grand, trop maigre… Non, il n’était pas séduisant : ce qui attirait à lui toutes les jeunes filles, c’était son titre, son statut de prince, et surtout la perspective d’être reine. Rien de plus…

Imelda aurait poursuivi ses insinuations si une agitation près du grand escalier ne l’avait pas interrompue : Magnus venait d’entrer dans la salle de bal.

Nils put s’éclipser : pendant quelques minutes, il n’exista plus. Tous les courtisans présents voulurent présenter leurs hommages à son père. Un attroupement avait lieu le long des grandes fenêtres, là où aboutissaient les marches que son père venait de monter. Nils s’éloigna de l’autre côté de la rotonde et sortit sur la large terrasse qui longeait les ouvertures. Franchissant la baie vitrée, il sentit soudain la morsure du vent glacial.

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