Séraphine - L'enterrement - 1

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Séraphine - L’enterrement

Oma était là, dans cette boîte. Séraphine ne l’avait pas revue depuis l’été dernier. Quelques coups de téléphone, une carte postale, mais pas de vraie conversation depuis ces quinze jours de vacances en Touraine.

Pourtant, sa grand-mère l'accueillait toujours avec joie, si bien que la jeune fille attendait avec une grande impatience ces journées un peu folles qu’elle passait au château : des parties de cache-cache, de grandes promenades dans le parc arboré, des jeux sans fin, des rires… Tout cela était fini : Oma était morte.

L’enterrement avait lieu dans la chapelle du petit hameau de Quercus où se trouvait la demeure familiale. Le tombeau de ses parents et de son grand-père maternel était situé dans le petit cimetière attenant. Oma allait les rejoindre dans quelques instants. Séraphine se sentait anéantie par la douleur. Grand-papa et Grand-maman la soutenaient, l’entouraient de toute leur attention mais l’arrivée, hier, dans le petit château inoccupé, avait déjà bien affecté la jeune fille. Elle ne pouvait s’empêcher de chercher ses souvenirs dans chaque recoin : Séraphine associait chaque objet, chaque meuble à Oma.

Le domaine de Quercus appartenait à la famille de son grand-père maternel depuis près d’un siècle. Mais pour Séraphine, c’était depuis toujours le domaine d’Oma. Le château était si empreint de la présence de sa grand-mère que Séraphine était partie se coucher la veille juste après le dîner pour fuir ses souvenirs douloureux.

Les larmes ruisselant sur ses joues, la jeune fille se sentait coupable de n’avoir pas su être plus présente alors qu’elle aimait tant son aïeule, qu’elle lui était si reconnaissante pour tous ces moments heureux.

Depuis que les parents de Séraphine étaient morts dans un accident de voiture quand elle avait quatre ans, elle vivait chez ses grands-parents paternels. Ils étaient présents et attentionnés, mais ils ne comprenaient pas très bien leur petite fille, ne savaient pas vraiment s’y prendre. La responsabilité qui leur était incombée à la mort de leur fils unique avait été trop soudaine et trop douloureuse. Ils avaient pris en charge la jeune fille par devoir, mais ils se sentaient trop âgés pour élever une enfant. La vie de Séraphine devint alors bien terne, même si elle ne manquait de rien.

Il avait été convenu que Grand-papa et Grand-maman la laisseraient chaque année pendant une quinzaine de jours à Quercus, chez Oma. Séraphine n’avait jamais compris pourquoi elle ne vivait pas auprès de celle qui montrait tant d’enthousiasme en sa présence. Mais personne ne lui répondait vraiment quand elle posait cette question. Elle voyait bien, à l’air pincé de ses tuteurs, que sa grand-mère maternelle ne leur plaisait pas.

Chaque année, au moment de lui confier l’enfant, Grand-maman se permettait de donner à Oma une liste de conseils sur un ton condescendant qui gênait beaucoup la petite fille. Celle-ci ne comprenait pas un tel mépris à l’égard d’une personne qui lui semblait très respectable. A treize ans, excédée par les manières irrespectueuses et les sous-entendus indélicats de Grand-maman, Séraphine se révolta, prit la défense de l'outragée et demanda des comptes à l’accusatrice. Celle-ci sembla se réjouir de la curiosité enfin attisée de sa petite fille et c’est avec un plaisir visible et un peu malsain qu’elle lui raconta l’histoire mystérieuse d’Oma :

- Tu comprends, je ne voulais pas te raconter cela pour ne pas te choquer… Mais comme tu le demandes avec tant d’insistance…

Oma n’avait pas de passé : personne ne savait d’où elle venait. Elle était apparue un matin, complètement hagarde dans le parc du château de Quercus, quelques jours avant Noël, habillée de simples vêtements de coton malgré le froid de Décembre. Le propriétaire du domaine la recueillit quand il s’aperçut qu’elle n’avait pas toutes ses facultés mentales. Il était psychiatre : il la conduisit dans l’hôpital où il travaillait et l’y interna pendant une brève période. Elle se laissait faire, amorphe et la plupart du temps silencieuse. En l’interrogeant, il finit par conclure qu’elle était seulement amnésique, peut-être parce qu’il l’avait vraiment crue, peut-être parce qu’il était déjà épris d’elle.

Car, malgré toutes ces parts d’ombre et leur différence d’âge, il lui fit une cour acharnée après son départ de la clinique et au bout de quelque temps, il épousa la jeune femme bien que les rumeurs aient accusé Oma d’être une aventurière venue séduire le bon parti.

Séraphine avait vu dans la vieille demeure un portrait d’Oma qui datait de cette époque : l’attirance qu’avait éprouvée son grand-père n’avait rien d’étonnant. Elle possédait une beauté simple, un visage aux traits fins, des yeux bleus à l’expression douce mais un peu triste, et surtout une magnifique chevelure de ce blond vénitien dont la jeune fille avait hérité. C’est la pose raffinée, voire aristocratique de sa grand-mère sur le tableau qui frappait tout particulièrement . Elle aurait pu passer pour une reine, à la distinction naturelle que dégageait son attitude figée dans la toile. Elle ne dénotait pas du tout, immortalisée ainsi en haut du grand escalier de pierre, dans cette vaste entrée majestueuse où la lumière perçait les vitraux de la porte pour colorer le tuffeau des murs. Non ! Sa grand-mère n’était pas l’intrigante qu’on prétendait, elle avait vraiment perdu la mémoire, ou bien elle ne voulait pas qu’on connaisse ses origines pour de sombres raisons que Séraphine imaginait très romantiques.

Oma avait vécu heureuse avec son époux, décédé quand la jeune fille était encore un bébé. Puis elle resta seule au domaine, et n’y accueillait que son unique petite fille chaque mois d’août. Cependant, du fait de son séjour en asile, aussi bref soit-il, elle n’avait pas pu devenir sa tutrice légale.

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