Le gouffre

de Image de profil de MijakMijak

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Je sens la rage infuser en moi tandis que je fixe les barreaux de l’étroite ouverture qui file plusieurs kilomètres à travers le sol vers la surface, pour m’offrir la seule source de chaleur dans cette cellule.

Jiggha. Je n’ai été qu’un pantin à sa solde durant ces derniers mois où j’ai bossé pour lui. Il m’a fait croire à une réelle complicité, une association bénéfique pour nous deux, et voilà qu’à la place d’une fortune partagée, il empoche le résultat de nos efforts tandis que je croupis dans cette prison souterraine au fin fond d’une galaxie miteuse.

Dans quelque temps la nuit tombera, et je me prends une dernière fois à ressasser les souvenirs du moment où ils sont venus pour m’arrêter. Il a feint la surprise et l’impuissance face à mon arrestation, l’odieux bâtard. Il les a regardés m’emmener tandis qu’il tenait encore la queue de billard avec laquelle il avait empoché la mise de sa victoire. J’ai eu envie de lui hurler d’intervenir, de fracasser leurs crânes, mais j’ai vu ce qui se dissimulait derrière son visage. J’ai compris pourquoi il ne bougeait pas. Je lui ai jeté un sourire mauvais, en secouant la tête, hurlant ma promesse de le retrouver. Mais il a continué à protester avec véhémence, inutilement, ridiculement.

Le gong retentit. Je quitte avec rétiscence ma cellule par l’ouverture creusée dans le mur et rejoint la grande pièce principale, avec les autres prisonniers. Je regarde le gouffre devant nous ; chaque soir c’est la même routine, mais cette fois, ce sera mois qui tomberai. Je me rappelle soudain une sensation de mon enfance, sur la côte de la mer Kichari, en haut de cette falaise qui surplombait l’étendue argentée. Je me souviens de la sensation de puissance, et la peur du moindre pas, de l’impulsion qui pouvait me faire périr à tout moment. Mais à la fois, cette hauteur, ce surplomb sur le royaume des Océïdes. La sensation d’être tout-puissant.

La mer était un miroir pour l’infini rouge qu’était le ciel de la planète Kariba. C’était durant ces contemplations que j’avais pour la première fois, enfant, eu le désir de voyager au-delà du ciel.

De retour au présent. Le gouffre noir plonge dans les entrailles de Namirun, où est localisé le pénitencier.

— Qui, ce soir, offrira à Namirun le don de sa vie en échange de la survie de tous ses frères ?

La voix résonne dans les cavernes immenses creusées sous la surface invivable de ce monde oublié. Je fais un pas en avant vers le bord de l’abysse.

— Je propose l’offrande de mon corps à la déesse, Sentinelle.

— Prisonnier Kéthanon, acceptez-vous la fusion corale de votre être à sa Grandeur Majestueuse, pour le salut de vos frères ?

— Je me soumets volontiers à Sa faim dévorante et accepte le repos éternel.

— Ainsi soit-il.

La voix se tait et je garde mon regard fixé vers l’abysse. Ce soir, il n’y aura pas de drames, pas de combat acharné, de luttes pour la survie. Les prisonniers soufflent, je sens une main compatissante se poser sur mon épaule. Les pas s’éloignent et tous retrouvent leur cellule, près de l’ouverture minuscule qui dispense la maigre chaleur rémanente d’un soleil qui tout le jour a incendié la surface de Namirun.

Désormais seul, le cœur battant, je ferme les yeux et dis adieu à cet enfer misérable.

Le vide défile autour de moi alors que je tombe. La chute semble durer éternellement, et je me prends à douter de ma décision. Voilà que je regrette, même. Non, je ne peux pas paniquer. Je ne dois pas. Je dois être fort.

J’ai désormais atteint la limite de ma vitesse de chute. Droit comme un piquet, j’active le dispositif. Les picotements parcourent mon épiderme, j’entends des claquements d’arcs électriques. Et si ça ne fonctionnait pas ? Mon imagination me fait déjà ressentir la chaleur du cœur de Namirun. Mais c’est impossible.

Et puis soudain, tout mon corps se contracte, saisi par une tension électrique immense. Mon cœur manque de se crisper lui aussi, je le sens se serrer dans ma poitrine. Je hurle.

Et puis tout s’interrompt. Bourdonnement d’un réacteur ; un son familier. Je reprends une respiration que j’avais bloquée sans m’en rendre compte. Je reconnais autour de moi le décor métallique courbé et inutilement alambiqué d’un vaisseau Sintronide.

— J’ai mis les gaz. La Sentinelle doit déjà avoir repéré la téléportation. Content que ce vieux modèle électrique ait fonctionné.

Je lève les yeux et sourit à mon compagnon synthétique. Je saisis la main qu’il me tend et le suis vers le cockpit. Il est temps de recommencer à penser à Jiggha.

Science-fictionprison planèteévasion
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Contraintes...

Lancé par Jonas
Le but : écrire un texte (peu importe le genre) qui réponde aux contraintes ci-dessous. - Utiliser les mots suivants dans cet ordre : rage - pantin - prison - billard - falaise - miroir - planète - Utiliser le présent de l'indicatif - Insérer un dialogue - Décrire un tunnel (ou un espace souterrain) - Terminer sur une pirouette ou une chute inattendue, Bon courage !

Commentaires & Discussions

Le gouffreChapitre6 messages | 8 ans

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