Le souffle des souvenirs (pt I)

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C’est tellement mystérieux l’Amour. La première impression est majeure, c'est comme un miroir reflétant partiellement notre être, lorsque nous ne sommes pas encore influencés par ce que nous savons ou pensons savoir de l'autre. Une période où nous ne nous modulons pas pour mieux paraître. Mais étonnamment, ce jour-là, c'était tout l'inverse. Ta rencontre avec lui remonte à un matin de novembre. Tu l'as vu pour la première fois adossé au comptoir du Liberty's, un des bars de la rue d'Alma. Un pub irlandais typique avec une atmosphère accueillante, reconnu pour son bon service hôtelier en plus de sa sélection de boissons.

Il portait un blouson noir de cuir et un t-shirt assorti qui dévoilait une musculature bien sculptée ainsi qu’un de ses nombreux tatouages. Un jean décontracté et troué aux genoux, incontestablement mis en valeur par ses bottines de cuir noir. Incontestablement, cet ensemble lui seyait à merveille. Son étui à guitare sur le dos, tu l’observes interagir avec cette barmaid, Aéliana. Elle lui a proposé un verre qu’il a refusé de manière énigmatique car il devait partir mais revenir plus tard. Il faisait tout pour attirer l'attention, y compris hausser la voix. Comme je le disais, un mec détestable. D’un clin d’œil, il te bouscule en sortant du bar, suscitant les rires moqueurs des clients à ton égard, une fois de plus. Et cette fois, ils avaient raison. Tu t'étais figée devant l'entrée sans t'en rendre compte alors que moi, je t'observais, confortablement assis sur une des banquettes rouges, sirotant une grenadine un peu trop glacée. Jamais d’alcool, c’est mauvais pour la santé.

— Excuse-moi ! A-t-il répondu avant de s'éclipser.

Ces simples mots ont suffi à t’atteindre en plein cœur. Son timbre de voix suave et profond, légèrement éraillé, s’est collé à tes pensées. Tu t’es excusée timidement pendant qu'il continuait son chemin, inconscient de l'impact qu'il avait eu sur toi. Il attisa ta curiosité et je ne suis pas surpris par l’effet magnétique qu’il t’a procuré. Les femmes ne semblent pas être immunisées contre ce type d’hommes. M’est avis qu’au plus ils paraissent peu fréquentables, au plus vous tombez pour eux.

Intriguée, tu ressens une impulsion irrésistible qui te pousse à le suivre. Aéliana te jette un regard interdit quand, en un simple geste de la main, tu refuses le latté du matin qu'elle t'a préparé. La décision est prise, la tension dans ta poitrine est trop forte pour être ignorée. Résolu à comprendre ce qui se passe dans ton esprit tumultueux, j'emboîte vos pas après avoir réglé mon latté supplémentaire, le liquide chaud contre ma langue contrastant avec le mystère qui se déroule devant moi. Notre différence magistrale résidait dans ma discrétion légendaire - à l'opposé de toi, je passais comme une ombre, inaperçu parmi la foule matinale. Jamais remarqué.

De manière presque réflexe, tes pieds se mettent à courir, ta silhouette à la fois fluide et déterminée navigue à travers la foule. L'air glacé de ce matin d'automne frappe ton visage, mordant tes joues et ton nez engourdi par le froid. Malgré cela, une flamme d'excitation arde dans ton cœur, anesthésiant tout autre ressenti. Le son rythmique de tes baskets frappant le pavé résonne dans les ruelles, écrivant une nouvelle symphonie urbaine en ton honneur. Les klaxons stridents des voitures retentissent lorsque tu t'aventures imprudemment sur un carrefour, forçant les conducteurs à freiner brusquement - une symphonie de protestations abruptes.

Il s'arrête abruptement à ton approche, son profil marqué se détachant distinctement sur la toile de l'aube. Ton manque habituel de coordination prend le dessus - tu trébuches mais te rattrapes par réflexe, désorientée. Tu n’avais pas besoin de courir. Si tu avais cette habitude, tu aurais compris qu’en marchant vite mais en gardant quelques passants entre vous, ce serait passé simplement. Mais non, l'urgence qui palpitait dans ton cœur avait dicté ton pas. Il fallait simplement marcher rapidement tout en gardant quelques passants entre vous. Une tension délibérée que seul un observateur attentif pourrait percevoir.

— Quelque chose ne va pas ? T'a-t-il demandé froidement.

Sous l'effet de la surprise, tu cherchais tes mots, paniquée et chagrinée par ton serre-tête Minnie endommagé. Il insiste, sec :

— T’es muette ou quoi ?

J'ai ri en observant la scène à distance. Muette. Sans le savoir, il vient de te donner une parade que tu as saisie au vol. Tu as sorti ton téléphone et a tapé ce message, en hâte : « Oui. Excuse-moi, j’ai un rendez-vous urgent. Je ne te suivais pas. » Bien sûr, il n'a retenu que la dernière partie de ton message. Il te contourne avec un sourire contraint tout en gardant ses distances. Consciente de ton ridicule, tu es retournée au Liberty's pour récupérer ton sac oublié et commandé un latté bien mérité.

Alors que tu anticipais une soirée tranquillement vide, — tu avais programmé une révision de tous tes cours du premier trimestre, tu te retrouves pour la troisième fois de la journée au Liberty's. Aéliana, ton unique amie depuis, a réussi à te convaincre de la rejoindre. Tu passes devant moi et la rejoins au comptoir. Elle te tannait depuis quelques semaines, voulant absolument te faire découvrir un nouvel artiste en devenir. Elle n’était pas de service ce soir.

— Tu verras, il est exceptionnel, te promet-elle en te donnant un latté. Il a ce côté torturé qui le rend tellement sexy...

Sa phrase reste en suspens sous son clin d’œil exagéré qui te tire un sourire. Soudainement, ton amie interpelle un jeune homme que tu reconnais tout de suite :

— Matthew !

Il se tourne vers toi, vos regards se croisent. Tu ne prêtes pas attention aux présentations, ni à Aéliana qui s'éloigne. Il te prend à part et te murmure à l’oreille sur un ton assuré :

— La prochaine fois, prend une photo chérie, ça durera plus longtemps.

Tu t’éveilles de ta torpeur mais il est déjà trop tard. Tu n'avais jamais affiché un tel embarras. Tes joues sont rouges grenat mais tu ne peux te résoudre à le quitter des yeux. Aéliana revient avec des verres que toi-même n'avait pas commandé. De nouveau, Matthew la remercie avec un clin d’œil, une marque de complicité qui a l'air de le caractériser, mais il t'évite. Une tension ingérable émerge et tu as le sentiment que la crise de panique est au bout du chemin. Tu te retiens mais Aéliana ne perçoit rien, contrairement à nous. Lui, mais il s'en fiche. Moi, car je sais à quel point tu es plus forte que ce que tu crois être. De plus, l'ambiance du bar ne convient pas à une discussion sérieuse. Alors que vous prenez place devant la scène, Matthew fait son apparition. Tu relèves la tête, tu ne l'avais pas vu partir. Ce soir, il joue au Liberty's ses plus beaux morceaux, en acoustique. Subitement, tu comprends — contrairement à moi, ce dont ton amie parlait. Sa performance scénique t'éblouit.

«Be my mistake And turn out the light She bought me those jeans The ones you like I don’t want to hug I just want to sleep The smell of your hair Reminds me of her feet So, don’t wait outside my hotel room Just wait till I give you a sign ’Cause I get lonesome sometimes Save all the jokes you’re going to make Whilst I see how much drink I can take Then be my mistake I shouldn’t have called ’Cause we shouldn’t speak You do make me hard But she makes me weak »

Il y a une sorte de halo magique qui vibre autour de lui, c’est impressionnant. Encore plus étonnant, il ne semble même pas conscient de cela. Son regard est lointain, comme prisonnier de sa musique. À ce moment, je dois admettre qu’il est doué. Ses paroles sont si puissantes que tout spectateur présent les ressent en profondeur.

C’est tellement mystérieux l’Amour. Au cours de cette soirée, en t’observant, j’ai réalisé que tu succombais pour lui de la même façon que moi je suis tombé pour toi. Une fois chez toi, tu repenses à vos échanges brefs mais intenses. À son sourire lorsqu'il t'a offert en exclusivité ses deux albums : le premier sorti il y a quelques mois tandis que le second est une réédition qui a dix nouvelles chansons de plus et que tu considères comme des cadeaux précieux. Et aussi à cette fois où il a sonné une cloche invisible lorsqu'il t'a surpris une fois de plus à l’observer. « Fais un vœu, ma petite Groupie. » Tu te questionnes sur cette tension palpable qui vous lie quand il effleure volontairement ta main en te quittant. Des dizaines de questions se bousculent dans ton cerveau. Tu sens cette attirance mutuelle, ce lien. Pourtant, tu te retiens, consciente de son caractère énigmatique.

« Dont' you see me ? I I think i’m falling, I’m falling for you And don’t you need me ? I... I think I’m falling, I’m falling for you On this night, and this light »

Ce soir, pour t'endormir tu lances une playlist aléatoirement composée de ses morceaux en boucle. Comme à ton habitude, tu mets le son au maximum mais il est atténué par des écouteurs et un oreiller. Ce n’était sans compter tes notifications de téléphone qui se sont déclenchées tardivement parmi lesquelles un message mystérieux. Les mots paraissent clairs et sont parfaitement contrôlés. Ils sont choisis avec soin. Tu en devines rapidement l’expéditeur et tu imagines la facilité avec laquelle Aéliana lui a cédé ton numéro. Matthew.

«I’ve just got one more thing to sat I’m sure that you’re not just another girl. »

Prise d’une autre impulsion, tu décides toi aussi de lui répondre au travers de l’une de ses musiques. Autant rester dans le thème.

« Remember my pain. »

Et sur ce dernier échange, ta journée s’achève tandis que tes yeux se ferment. Emportée par tes rêves, tu l’imagines torse nu devant une cheminée qu’il vient d’allumer grâce à ce vieux sapin. Il est vrai que la photo qu’il vient de t’envoyer t’aide grandement. Tu remercieras ton amie demain, toi qui avais prévu de lui faire une scène. Mais je te conseille tout de même de rester prudente. Les hommes comme lui ont bien plus à cacher que tout ce qu’ils pourraient t’apporter. Si tu recherches une vérité absolue, jamais tu ne l’as trouvera. Cherche la vérité qui s’applique à toi.

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