Yosemite

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Il faut près de huit heures pour rejoindre l’agglomération de San Francisco depuis Tonopah, par le parc de Yosemite et ses cols de haute montagne. Je me doutais que ce ne serait pas une partie de plaisir, mais je n’avais aucune envie de partager le volant avec ma passagère. Il me fallait malgré tout assurer un minimum de ravitaillement pour nous comme pour le véhicule. Je ne savais pas où j’aurais l’occasion de refaire le plein, aussi je décidai de recompléter le niveau à la sortie de la ville. J’ai repéré une station-service mitoyenne d’une supérette et j’ai envoyé Emily chercher des boissons et de la nourriture pendant que m’occupais du carburant.

Si j’avais été un salaud, j’aurais pu en profiter pour filer en douce, mais je me suis contenté de l’attendre au volant. J’aurais sûrement mieux fait de faire ça d’ailleurs, ça aurait évité pas mal de problèmes, mais j’avais compris que cette fille avait des soucis, et même dix après avoir quitté la Marine, il me restait un semblant d’honneur chevaleresque. On pourra toujours me dire que je ne voulais pas laisser filer si vite une nana aussi chaude, mais c’est mal me connaître. Je prends du plaisir quand l’occasion se présente, je ne le nie pas, mais c’est quand même mon cerveau qui commande.

Emily est ressortie du 7-Eleven * avec les bras chargés de deux gros sacs en papier. Je suis descendu pour ouvrir la malle arrière et lui permettre de déposer ses emplettes. J’en profitai pour jeter un coup d’œil. Outre deux packs de six et quelques sandwiches, je repérai quelques affaires de toilette et ce qui m’a semblé être une paire de strings bon marché. Ce n’est qu’à ce moment que je réalisai qu’elle voyageait sans aucun bagage.

Dès notre départ, j’entrepris de la questionner sur les raisons de son départ soudain de Vegas. Son désir d’éviter la police et son absence d’effets personnels me faisaient imaginer des scénarios plus problématiques les uns que les autres.

Elle ne me livra pas toute l’histoire en une fois et ce n’est qu’après avoir passé la limite du Nevada qu’elle se détendit un peu et consentit à m’en dire plus. Comme elle l’avait déjà raconté un peu plus tôt, elle avait fait l’objet d’une tractation entre deux voyous et offerte pour honorer une dette de jeu. Après avoir offert son corps à toute la table de poker, elle avait compris qu’elle allait rejoindre une équipe de tapineuses, au service de son nouveau maître. Elle avait décidé de filer en douce dès le petit jour, non sans avoir donné un coup de surin à l’un des hommes de main qui la surveillaient pour pouvoir prendre le large. Elle avait sauté dans un taxi jusqu’à la sortie de Vegas et là un camionneur l’avait prise en charge jusqu’à Beatty où elle avait jeté son dévolu sur moi.

— Je ne crois pas que ton mac se soit empressé d’aller te dénoncer aux flics, et même si c’était le cas, ils n’auraient pas envoyé un avis de recherche aussi rapidement dans tout l’état. Le couteau, c’était sérieux ?

— Je lui ai planté dans la cuisse, il n’a pas pu courir après moi !

— Ça saignait beaucoup ?

— Qu’est-ce que j’en sais, je ne me suis pas retourné pour regarder.

— Si tu as touché l’artère fémorale, il est probablement mort à l’heure qu’il est !

— Bien fait pour lui !

Je commençais un peu à cogiter. Je n’avais aucune idée de qui était son nouveau souteneur, mais s’il appartenait à un réseau de crime organisé, il fallait s’attendre à ce qu’il cherche à mettre la main sur elle au plus vite, pour venger l’affront et faire un exemple.

Dans l’immédiat, il y avait peu de chance qu’ils nous poursuivent dans la Sierra Nevada, mais il faudrait se montrer prudents à San Francisco.

Nous avions dépassé Benton et nous approchions de l’entrée du Parc de Yosemite. Je n’appréhendais pas particulièrement le contrôle d’entrée, car les rangers ne sont pas des policiers, mais je préférai préparer un petit scénario avec Emily, juste au cas où il leur viendrait l’idée de nous poser des questions. Le parc venait juste d’ouvrir après l’hiver et il n’y avait encore que peu de touristes. Nous étions un couple allant rejoindre de la famille à San Francisco, et nous avions décidé de passer par le parc et admirer les paysages grandioses qu’Emily ne connaissait pas. C’était presque la vérité.

Le ranger nous demanda si nous avions l’intention de séjourner dans le parc, car il n’y avait encore que peu d’hébergements disponibles. Il nous recommanda de prendre garde aux ours, qui sortaient juste d’hibernation et étaient attirés irrésistiblement par l’odeur de la nourriture. Nous l’avons chaleureusement remercié pour ses conseils avisés et nous avons accepté ses prospectus touristiques avant qu’il n’appose le ticket de règlement sur le pare-brise.

Je repris la route à vitesse raisonnable en direction du Lac Mono, puis comme la route commençait à s’élever, je fis un arrêt pour fermer la capote de la Mustang. Je voyageais avec des vêtements chauds dans mon sac de voyage, mais Emily n’avait rien pour se réchauffer. Je lui tendis un des sweaters.

— On va monter à plus de trois mille mètres, il y a encore de la neige là-haut.

— Tu crois qu’on va voir des ours ?

— Si on monte la tente dans la forêt, oui. Tu vas les attirer, tu as entendu le garde, ils ont faim !

— Tu n’est pas drôle. Ça me fait peur.

— Je n’ai pas l’intention de traîner dans le parc. On sera de l’autre côté avant la nuit.

Je verrouillai le toit de la voiture avant d’entreprendre l’ascension du col de Tioga.

La Navy m’a fait pas mal voyager, mais c’est en Californie que j’ai trouvé les paysages les plus grandioses. Emily ne pensait plus à ses problèmes et ne cessait de s’émerveiller à la vue des montagnes enneigées, des lacs aux eaux bleues et des forêts sans fin. Soucieux de l’horaire, et de la température extérieure, je préférai ne pas m’arrêter avant d’être redescendu dans la vallée, côté ouest.

Il était plus de dix-sept heures quand nous avons atteint la sortie du parc et il nous restait encore près de quatre heures de route pour San Francisco. Je décidai de faire une halte dans un motel à proximité de Moccassin. Je ne voulais pas attendre la nuit pour rechercher une chambre et je commençais à en avoir marre de conduire après les innombrables virages dans la montagne.

Je pris une chambre confortable, en laissant Emily dans la voiture. Je nous présentai comme un couple de touristes en voyages d’amoureux. Le réceptionniste ne posa pas de question et accepta mon paiement cash pour une nuit. Il nous indiqua une pizzeria, seul établissement ouvert dans la région, où l’on pouvait trouver des plats à emporter.

La chambre était spacieuse et très propre, avec deux grands lits et une kitchenette. Emily me dit qu’elle avait l’intention de prendre une douche et commença à se déshabiller. Je me précipitai pour fermer les rideaux. Il y avait pas mal de voitures sur le parking et je ne tenais pas attirer l’attention sur nous par un numéro de strip-tease improvisé.

Laissant Emily à ses ablutions, je sortis mon ordinateur de mon sac de voyage. Je ne m’en sépare jamais, c’est mon cordon ombilical avec ma vie sociale. Je préférai ignorer le réseau de l’hôtel et me connectai au travers de mon mobile et d’une série de pare-feu. Je commençai par m’assurer du règlement de ma prestation récente à Vegas. Je n’avais pas trop de craintes, et je fus agréablement surpris du niveau de la commission. J’avais vraiment assuré. Je visitai ensuite divers sites d’infos du Nevada, à la recherche d’un article relatif à l’incident ayant impliqué Emily sans rien trouver. J’envisageai un instant de me connecter au site du LVPD **, j’avais suffisamment d’outils pour y parvenir sans difficulté, mais je considérai que l’enjeu ne valait pas le risque. N’ayant pas de courrier urgent, j’éteignis mon portable et le rangeai dans mon sac.

J’entendais toujours l’eau couler dans la salle de bains. J’entrouvris la porte pour prévenir Emily que je sortais pour chercher des pizza.

— Regina pour moi, sans champignons, s’il te plait.

Vingt minutes plus tard, j’étais de retour dans la chambre. Comme j’entrais, j’entendis qu’elle raccrochait précipitamment le téléphone. Emily était assise sur un lit, une serviette autour des reins, les seins nus. Elle prit l’air d’une petite fille, surprise la main dans le pot de Nutella.

— Qui as-tu appelé ?

— Nina, une copine, elle m’a aidée à m’enfuir ce matin. Je voulais la rassurer.

J’eus soudain des sueurs froides dans le dos.

— Tu lui as dit où tu étais ?

— Ben oui, qu’est-ce que ça peut faire ? On n’est plus au Nevada !

— On en a rien à foutre de la police, elle ne sait même pas que tu existes, mais si ta copine bavarde, ce qui arrivera à coup sûr dans les minutes qui suivent, toutes les filles sauront que tu es en Californie, au pied de la Sierra Nevada. Et après, c’est ton mac qui le saura aussi, et ça c’est pas bon pour nous.

— Excuse-moi, je n’avais pas pensé à ça ! Tu es fâché après moi ?

— Je crois que tu n’es pas consciente de la situation. Dès demain, ils vont débarquer ici et se mettre à ta recherche, et crois-moi, des filles comme toi, dans le coin, il n’y en a pas beaucoup. Heureusement, le réceptionniste n’a pas vu ton visage. J’espère que tu n’as pas parlé de ma voiture !

— J’ai dit que c’était une décapotable.

— Bravo, ça limite le choix. Bon, on mange les pizzas, on boit deux bières et au lit. Au lever du jour, on fout le camp.

— Je pourrai dormir avec toi ? je serai gentille, pour me faire pardonner.





* 7-Eleven : chaîne de supérettes ouvertes de 7h du matin à 11h du soir.

** LVPD : Las Vegas Police Department

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