La Bougie de Florence

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Cela faisait bien quarante ans que je vivais dans ce petit village du Cantal, et cinq ans que mon époux m’avait quitté.

Les journées me semblaient longues et répétitives. Je me demandais souvent quand mon dernier souffle serait expiré. Mais, tandis que la Terre continuait de tourner sur elle-même, mon cœur ne cessait toujours pas de battre dans ma poitrine.

J’étais lasse de vivre seule et de n’avoir que pour visites ceux des oiseaux, des lapins, des écureuils ou du facteur. Ma famille habitait trop loin de moi. Même les voleurs ne s’intéressaient guère à ma maison décrépie.

 

Collée dans mon canapé depuis une bonne heure, à broyer du noir, comme d’habitude, je décidais de partir faire un tour dans le bourg du village.

Arrivée sur le marché, mes jambes à l’agonie, j’avais d’abord commencé à inspecter les fruits et les légumes, puis les objets d’artisanat. Mais, devant un éventail de choix ordinaires et nullement originaux, je prenais la décision de rentrer me cloîtrer dans ma modeste chaumière.

C’est alors que j‘entrapercevais à côté de livres vendus par le libraire, une bougie qui attira immédiatement mon attention.

Longiligne, elle était colorée d’un bleu ciel, enlacée par des ornements jaune et rouge.

Je la trouvais très jolie et peu commune.

Heureusement pour moi, elle était en vente, et de surcroît à un prix raisonnable. J’avais exactement le compte dans mon porte-monnaie pour me la procurer.

Après l’avoir acheté, je rentrais chez moi, toute heureuse de mon acquisition.

Posée au centre de ma table de salon, sur une assiette, je la regardais fièrement.

Que tu es jolie, ma petite bougie.

Tandis que je prenais un livre au hasard dans ma bibliothèque, une histoire de western, d’indiens et de cowboys, je m’asseyais par la suite sur une chaise, un briquet à la main.

- Ne faites pas ça !

Avais-je rêvé ou bien une voix plaintive avait brisé le silence qui régnait dans mon salon ?

- Qui a parlé ?

A mon grand étonnement, la voix fluette me répondit.

- C’est moi, la bougie.

Je posais des yeux hagards sur ma bougie.

Voilà maintenant que j’ai des hallucinations auditives…

- Attendez, je vous en prie ! Ne voulez-vous pas connaître qui je suis avant de m’anéantir par le feu ?

Je la fixais, incrédule.

- Parles-tu vraiment ou bien mon imagination me joue-t-elle des tours ?

- Je vous parle réellement, madame. Je suis une bougie et je viens du royaume de Lumeria.

- Ah bon, rien que ça ?

Je me prêtais au jeu. Je ne savais guère si je faisais un rêve ou pas.

- Et comment se fait-il que tu sois ici ?

- Les créatures des ténèbres m’ont enlevé et jeter dans votre monde. Puis elles ont attaqué mon royaume...

J’avais entraperçu de la tristesse dans sa voix.

- Voilà une histoire bien étrange, petite bougie. Quel est ton nom ?

- Hessdalen. Et vous ?

Je pris une profonde inspiration avant de lui répondre. Je n’en croyais toujours pas mes oreilles. Je continuais pourtant à lui parler.

- Florence.

Toujours aussi surprise que ma bougie puisse parler, j’approchai mon visage et la considérai minutieusement.

- Bien. (Je reculais ma tête.) Je ne vois pas de bouche. Comment peux-tu parler dans ce cas ?

Il éluda la question.

- Plus important, je pensais que quelqu’un me viendrait en aide. Cependant, l’homme qui m’a vendu à vous était sourd.

- Il l’est depuis quelques années et refuse catégoriquement de mettre un appareil auditif. Ce n’est pas faute de le lui avoir conseillé toutefois.

Le silence s’installa quelques instants.

- Comment puis-je te venir en aide ?

- Il faudrait attendre que la nuit tombe et que l’obscurité envahisse complètement les alentours. A ce moment, vous pourrez allumer ma mèche. A la fin de la nuit, je pourrai rentrer et combattre aux côtés des miens l’armée des ténèbres.

- C’est tout ce que j’aurai à faire ?

- Oui, Florence. J’en appelle à votre bon cœur. Les miens comptent sur moi.

Sa voix était claire et limpide. L’écho de ses mots avait touché mon cœur.

 

Lorsque le ciel se teinta d’un noir intense, je pris le briquet et allumai la mèche qui trônait sur la tête de Hessdalen.

- C’est fait.

- Merci, Florence. Je ne pourrais jamais vous remercier, cependant…

Une idée traversa mon esprit.

- Cela te gênerait-il de m’en raconter davantage sur toi et ton monde ?

Il ne répondit pas immédiatement.

- Cela vous suffirait ?

- Hessdalen, je ne suis qu’une vieille femme qui attend sa mort. Toutes les choses nouvelles m’apportent une certaine joie. Bien qu’elle soit toujours de courte durée…

Le silence nous enveloppa de nouveau, avant qu’il ne commence son histoire.

- Dans le royaume de Lumeria, je suis un chevalier. Mon devoir est de veiller sur la princesse. Je prends à cœur cette nouvelle affectation.

Je le coupai, piquée dans ma curiosité.

- N’est-ce pas plutôt les charmes de la princesse qui inspirent cette passion ?

S’il avait été un homme de chair et d’os, je suis certaine que j’aurai pu surprendre ses pommettes rougirent.

- Lys est d’une beauté mystérieuse, ensorceleuse…

- Pourquoi ne pas lui avouer tes sentiments ?

Je l’entendis grogner, sans doute embarrassé d’avoir parlé à haute voix.

- Non ! Je… ! Ce n’est pas ce que je voulais dire !

- Quoi donc ? Cela s’entend à travers ta voix que tu es follement amoureux d’elle.

- Mais… C’est une princesse, et moi…

- Et toi, un grand et preux chevalier. Quand tu seras rentré, promets-moi que tu iras lui parler.

Il soupira longuement, avant d’accepter.

- Je vous le promets, Florence.

 

Les heures passèrent et le corps de Hessdalen fondait irrémédiablement.

Je le regardai du coin de l’œil.

- Que veux-tu dire ?

- C’est à vous de me raconter votre histoire.

- Il n’y a pas grand-chose à dire…

Je sentis comme si son regard était fixé sur moi.

- Arrêtes de me regarder.

- Mais je ne vous regarde pas, Florence !

- Si ! Je le sens !

- Mais, je vous assure que non… ! J’aimerais juste partager les derniers moments qu’ils nous restent pour entendre votre propre histoire.

Après un moment de réflexion, je décidai de me confier à Hessdalen.

- Je suis née dans un village, à quelques kilomètres d’ici. Durant mon enfance, j’aimais beaucoup lire. Le soir, je… J’allumais une bougie et je pouvais lire des heures entières des histoires d’aventures. Plus tard, quand j’ai atteints l’âge adulte, j’ai commencé à travailler. D’abord, comme caissière, puis plus tard, comme secrétaire chez un médecin de campagne.

- Avez-vous été marié, Florence ?

Je ne réussis pas à réprimer un sourire.

- Oui, avec le médecin du cabinet.

Nous nous sommes mis à rire, comme deux bons vieux amis. Puis je lui racontais comment mon mari m’avait fait sa demande.

- Nous avons ensuite eu deux beaux enfants, un garçon et une fille.

- Comment s’appellent-ils ?

- Florentin et Florentine. Je sais, ce n’est pas très original…

- Point du tout ! Je les trouve même magnifiques.

Hessdalen m’apprit qu’il avait un frère plus jeune et qu’il était devenu écuyer.

- Père et mère comptent sur moi pour le surveiller. Mais ils ne voient pas à quel point il se débrouille très bien seul.

- Les parents sont toujours comme ça.

- Vos enfants vivent dans le même village que le vôtre ?

Mon visage se figea. Il avait posé une question que je n’avais pas prévue.

- Ils habitent très loin. Trop loin…

- Les voyez-vous ?

- Très rarement. Mon fils vit au Canada et ma fille au Japon. Malheureusement, je n’ai pas l’argent pour faire ces voyages et leurs professions les accaparent trop…

- J’en suis profondément navré.

 

Le jour allait bientôt se lever. Dans quelques minutes, Hessdalen allait me quitter.

- J’ai été honoré de rencontrer une femme telle que vous, Florence. Je ne vous oublierais jamais.

Je rougis, gênée par sa sincérité.

- Je ne suis qu’une vieille femme ennuyeuse, pourtant.

- Je vous assure que non. Avoir parlé toute la nuit avec vous m’a fait oublier par moment les soucis que rencontre mon royaume.

- Et le temps m’a semblé très court à moi aussi, Hessdalen. Moi non plus, je ne t’oublierai pas.

Tandis que le silence inondait le salon, une soudaine tristesse m’arracha des larmes.

- Qu’y a-t-il, Florence ?

Une bougie qui parle aurait-elle comprit à quel point la solitude qui s’immisçait chaque jour dans mes pensées m’était insupportable ?

- C’est juste que…

- Il me vient une idée, Florence !

Je le fixai, m’essuyant les larmes qui coulaient sur mes joues.

- A chaque fois que vous achèterez une bougie bleue claire, j’apparaitrai et nous combattrons les ténèbres, ensemble. Qu’en dîtes-vous ?

L’émotion qui m’avait enlacé était maintenant plus vive.

- Oh, oui ! Ce serait un bonheur pour moi d’entendre tes aventures auprès de ta princesse bien aimée… J’attendrai toujours ta venue avec impatience. Me promets-tu que tu viendras ?

J’attendis quelques instants sa réponse, mais le silence enfouit mon écho dans l’oubli.

La lumière du soleil filtrait doucement par la fenêtre, tandis que je regardai l’assiette dorénavant vide.

Merci à toi, Hessdalen, d’avoir pris vie, et d’avoir fait de nouveau briller une lumière dans mon cœur taciturne.

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